28 Jan

Franklin ou l’envers terrifiant du décor de la conquête des pôles

Ah oui, Jules Verne, Docteur Livingstone je présume, Les Voyages Extraordinaires tout ça. Oui, le XIXème siècle fut bien celui des grandes découvertes, une période dorée pour les aventuriers de tout poil et où la Terre a enfin dévoilé certains de ses plus beaux secrets. Mais pour un voyage triomphal, combien de désastres ? La tragédie de l’expédition Ross en est encore aujourd’hui hélas l’un des exemples les plus marquants. Franklin en est le récit en BD, glaçant dans tous les sens du terme.

Franklin, extrait de la couverture

Le 19 Mai 1845, les navires Erebus et Terror quittent les côtes anglaises. Leur but ? Tenter la première traversée du passe dite du Nord-Ouest, voie maritime fantasmée qui permettrait de traverser l’Arctique d’un bout à l’autre, le tout à bords de deux vaisseaux spécialement affrétés pour l’occasion, avec un véritable moteur de locomotive installé dans les cales, une coque renforcée en acier pour résister à la pression de la banquise et trois ans de vivres. Â la tête de l’expédition, le très expérimenté Sir John Franklin pour commander 128 officiers et marins.

Bref, a priori, tout était en ordre pour faire de cette mission une réussite. Sauf que pas un seul de ces hommes n’en reviendra vivant. Et pendant longtemps, personne ne saura vraiment su ni ce qui leur est arrivé ni où leurs corps étaient enfouis. L’épave de l’Erebus ne sera d’ailleurs finalement retrouvée qu’en 2014 par seulement onze mètres de fonds et celle du Terror deux ans plus tard, mais à 70 kms de là sans qu’on puisse expliquer ce phénomène. Seule certitude : pris par les glaces, les deux bateaux se sont visiblement retrouvés rapidement emprisonnés dans la banquise. Et après avoir épuisé leurs réserves de nourritures, les survivants ont dû se résoudre au cannibalisme avant de succomber à leur tour.

© Glénat / Durant

Le froid extrême, l’isolement, la perte progressive de sa propre humanité, les corps qui lâchent et finalement, la mort, inéducable. Tous ces éléments ne pouvaient qu’inspirer, aussi terrible l’histoire à raconter était-elle. En 2008, l’auteur fantastique Dan Simmons en tira le pavé Terreur où il fournit sa propre interprétation de ce qui s’est vraiment  passé dans la nuit arctique et dix ans plus tard, le réalisateur d’Alien Ridley Scott en coproduit l’adaptation en série télé.

C’est désormais au tour du dessinateur et scénariste Michel Durant de s’en emparer ici, mais en BD cette fois-ci. Contrairement aux Anglo-saxons, cet ex-collaborateur de Jodorowsky (entre autres) a choisi une approche très factuelle. Pas de monstres, pas de légendes prenant vie ou autres hallucinations. Non, juste des hommes si l’on peut dire partis la fleur au fusil et qui, petit-à-petit vont lutter mais aussi céder à la peur, à la folie, à la faim avant de commettre l’irréparable. Et de mourir, dans le froid arctique, loin de tout.

© Glénat / Durant

Franklin est un album sur la résilience mais aussi la fatalité. Le lecteur sait pourtant ce qui les attend, notamment grâce à un touffu appendice retraçant toute l’histoire, jusqu’à la découverte des épaves plus de cent cinquante ans plus tard. Mais difficile pourtant une fois plongé dans l’histoire d’en sortir, tant ces efforts en gros futiles pour échapper à la fatalité en deviennent fascinants. Difficile de croire, aussi, que tout ce qui est raconté a vraiment eu lieu…   

Durant a l’intelligence de laisser l’histoire, très forte, parler d’elle-même et n’a donc recours à aucun effet tapageur ni grandiloquence. Juste l’histoire d’hommes partis chercher la gloire et qui n’ont trouvé que la peur, la faim, la mort puis l’oubli.

Olivier Badin

Franklin de Michel Durant. Glénat. 15,50€.

© Glénat / Durant

27 Jan

Retour sur la réédition de l’une des premières adaptations (réussies) du prince albinos d’heroic fantasy, Elric

On a beaucoup parlé en Mai dernier de la sortie du quatrième et dernier volume de l’adaptation BD consacrée à la saga tragique du héros d’heroic fantasy phare de l’auteur anglais Michael Moorcock, Elric. Une véritable réussite, pilotée par deux scénaristes français et qui s’achevait en beauté avec l’adaptation de La Cité Qui Rêve, tout premier texte consacré au prince maudit Elric et publié à la base en 1961. Sauf que ce n’était pas la première adaptation. Et aujourd’hui, cette première tentative (re)fait opportunément surface.

Si l’on met de côté celle réalisée par Druillet en 1971 (non autorisée, elle n’a jamais été republiée) cette vraie-fausse ‘première’ adaptation a donc été publiée à l’origine en 1982. Elle est alors pilotée par Roy Thomas, véritable ‘star’ du monde des comics grâce aux deux décennies qu’il avait alors passé au sein de MARVEL en tant que responsable éditorial et scénariste. Parmi ses nombreux succès, on lui doit, notamment, Conan Le Barbare et au détour d’un épisode de 1977 resté célèbre parmi les fans, il s’était d’ailleurs amusé à imaginer le Cimmérien rencontrant, justement, un Elric coincé entre deux dimensions.

Elric reste un anti-héros à part, le dernier représentant d’une longue lignée de prince de Menilboné, peuple cruel et craint  jadis dominateur mais désormais en pleine décadence. Elric lui-même est un albinos à la santé fragile, l’obligeant à avoir recours à la magie et à des potions pour tenir son rang. Â la fois exalté et cynique, il est amoureux de sa cousine dont le frère Yrkoon rêve de lui subtiliser le trône. Jouet des dieux mais surtout d’Arioch, souverain du chaos, il voit sa destinée liée à Stormbringer, une épée magique consciente qui se nourrit de l’âme des êtres dont elle prend la vie. Ensemble, les deux vont provoquer la chute du royaume de Melniboné et la mort de la bien-aimée d’Elric, les condamnant à un exil éternel.

© Delcourt / Roy Thomas & P. Craig Russell

On l’a oublié mais c’est à partir des années 80 que ce héros maudit a enfin été consacré par la pop culture, notamment grâce à la scène rock (Hawkwind) ou heavy-metal (Cirith Ungol, Magnum) en enfin par la tribu jeu de rôle. Or le mouvement a été bien accompagné par la publication par MARVEL de cette première adaptation dont le premier volume fut discrètement traduit deux ans plus tard en France avant de disparaître des écrans radars depuis.

Alors avant d’apprécier l’objet, deux postulats s’imposent : primo, le tout s’adresse avant tout aux connaisseurs de la saga. Pas d’introduction des personnages, pas de retour en arrière, pas de mise en contexte ici, non on entre de plein pied dans l’aventure, à prendre ou à laisser. Et secundo, même si les noms de Thomas et de Moorcock sont tout en haut de l’affiche, la vraie star ici se nomme P. Craig Russell.

© Delcourt / Roy Thomas & P. Craig Russell

Dire que ce dessinateur américain, hélas peu connu en France, a un style flamboyant est un doux euphémisme. Ultra-coloré, presque psychédélique par moments et en même temps ouvertement influencé par certains grands peintres comme Klimt, le contraste avec le côté très cyberpunk et ultra-noir de la dernière version en date de ce récit tragique saute aux yeux, littéralement. Même constat en terme de ligne éditoriale : même si les deux versions sont très fidèles à l’œuvre originale, alors que celle réalisée par les Français ont fait d’Elric un être torturé en même temps très cruel et violent, quasi-cyberpunk sur le plan visuel, il devient ici une sorte d’héros wagnérien, balloté sur les eaux du destin et impuissant à changer le cours des choses.

Si sa brièveté (65 pages) et ce choix d’un format intermédiaire ne permettent forcément de profiter pleinement de l’expérience, on croise juste les doigts que DELCOURT sorte par la suite les quatre autres volumes, également sortis dans les années 80. Et ce malgré le relatif demi-succès en France des trois tomes préalablement sortis et consacrés à CORUM, une autre création d’heroic fantasy signée Michael Moorcock…

Olivier Badin

Elric – La Cité Qui Rêve de Roy Thomas et P. Craig Russell. Delcourt. 13,50 euros.

26 Jan

Victor Hubinon – Une Vie en dessins : un autre regard sur l’oeuvre du dessinateur de Buck Danny et de Barbe-Rouge

Buck danny, son personnage de prédilection, a beau être plus connu que lui, Victor Hubinon a pourtant réussi à se hisser au panthéon des grands dessinateurs de la bande dessinée franco-belge tendance réaliste. Son trait précis, ses planches aux compositions parfaites, ont embarqué des générations de lecteurs à bord des avions de l’US Air Force et déclenché nombre de vocations…

Et dire qu’à ses débuts, Victor Hubinon préférait le dessin d’humour ! Loudemer, Durdefeuille, Rik Junior, Blondin et Cirage… Victor Hubinon affûte ses crayons auprès de Jijé et de quelques autres grands de la BD avant de se lancer avec maestria dans le récit réaliste via L’Agonie du Bismarck en compagnie du scénariste de génie Jean-Michel Charlier. Les deux hommes ne se quitteront plus, enchaînant les aventures de Buck Danny et de Barbe-Rouge jusqu’à la mort du premier, en 1978.

Cet imposant ouvrage de plus de 300 pages paru aux éditions Champaka Brussels dans la collection Une Vie en dessins réunit quantité de photos, d »illustrations, couvertures, planches, cases agrandies, le tout accompagné de textes signés Daniel Couvreur sous la direction éditoriale d’Eric Werhoest.

Inutile de vous dire que les fans de la grande époque des éditions Dupuis et de la bande dessinée franco-belge réaliste y trouveront leur bonheur. C’est beau, c’est captivant… Un livre indispensable pour approcher au plus près le génie de l’artiste !

Eric Guillaud

Victor Hubinon, Une Vie en dessin, Champaka Brussels – Dupuis. 55€

© Champaka Brussels – Dupuis / Hubinon

25 Jan

Le Poids des héros : un récit autobiographique sensible de David Sala autour du souvenir et de la transmission

Raconter son enfance, raconter sa famille, c’est bien, encore faut-il avoir quelque chose à raconter et une façon de le raconter. Et sur ce point, David Sala coche toutes les cases, Le Poids des héros est une histoire personnelle qui touche l’universel avec les mots et les images qui vont bien…

Le grand-père de David est en fâcheuse posture. Les médecins de l’hôpital l’ont renvoyé chez lui sans espoir. Quelques mois et ce sera fini. Mais on ne survit pas à la guerre d’Espagne et à quatre ans d’enfermement au camp de Mauthausen sans développer un sacré caractère et une certaine détermination. De fait, le grand-père a décidé de ne pas mourir avant son bourreau, Franco, et il va y parvenir.

Parti, le grand-père n’en est pas moins présent. Présent à travers ce portrait accroché au mur de la maison, un tableau réalisé pendant sa captivité, présent par les souvenirs qu’il laisse forcément à chacun, présent enfin et surtout par son histoire, forte, faite d’engagements et de souffrances.

C’est à travers toi maintenant que mon histoire va survivre. Tu ne dois pas oublier mes souffrances

Dans cette France des années 80 qui tente de passer à autre chose, écoute Renaud, découvre les radios locales, le début du rap, lit Strange et regarde les premiers essais d’une télévision en relief, David reçoit ce passé en héritage, un passé parfois pesant, du poids des héros. Car oui, son grand-père était un héros. Son grand-père maternel comme son grand-père paternel d’ailleurs, lui aussi d’origine espagnole, lui aussi réfugié en France à la veille de la seconde guerre mondiale et lui aussi entré en résistance contre le nazisme.

David grandit, passe le cap de l’adolescence puis celui de l’âge adulte, assiste impuissant au divorce de ses parents, à la dépression de son père, entre à l’école Emile Cohl, survit grâce au RMI, devient auteur de bande dessinée, un parcours qui n’a rien d’un long fleuve tranquille mais qui n’a rien de comparable avec la vie de ses grands-parents.

Je vivais constamment sous la statue imposante de mes grands-parents. Et je ne cessais de me répéter : ton malheur n’est rien mon garçon.

Certes, David n’a pas connu la guerre, la peur, le froid, l’humiliation, l’exil, la torture, l’odeur de la mort, ni celle des corps empilés et des fours crématoires mais il porte tout ça en lui, comme des blessures que personne ne peut parvenir à soigner.

En cela, Le Poids des héros a peut-être valeur de catharsis, David Sala ouvrant grand son coeur pour nous raconter son parcours, explorer son enfance, son adolescence et plus tard sa vie de jeune-homme à l’ombre de ces figures tutélaires. Il y a beaucoup de tristesse, de mélancolie, dans ce récit, il y a aussi beaucoup d’amour et de fierté pour sa famille et notamment ses grands-parents. Transmettre leur histoire était pour lui presque un devoir, c’est aujourd’hui un devoir accompli.

Et pour raconter cette histoire, David Sala a rassemblé ses souvenirs et tenté de s’approcher au plus près de son ressenti de l’époque, y compris visuellement. D’où cette option graphique proche de la peinture avec un trait déformé et des couleurs flamboyantes qui viennent judicieusement atténuer le propos souvent grave du récit.

Après la trilogie Replay rééditée en intégrale en 2018 et l’adaptation du chef-d’oeuvre de Stefan Zweig, Joueur d’échecs en 2017, David Sala confirme ici un immense talent d’auteur complet. Pas encore un héros mais presque…

Eric Guillaud

Le Poids des héros, de David Sala. Éditions Casterman. 24€

© Casterman / Sala

 

20 Jan

Le magazine Spirou souffle les 70 bougies du Marsupilami

Soixante-dix ans et toujours aussi bondissant le Marsupilami ! De quoi lui dédier un numéro entier du journal Spirou disponible en kiosque le 26 janvier…

Vous le reconnaissez ? Mais oui bien sûr, il s’agit bien du Marsupilami, Marsu pour les intimes. Né sous la plume du génialissime André Franquin au début de l’année 1952, le personnage a survécu à son maître, traversé les aventures, les années, , changé de siècle, survécu aux changements de maisons d’édition, à l’invasion des super-héros, au covid pour aujourd’hui encore nous interpeller et nous étonner. Une véritable énigme à lui tout seul ce Marsu !

Histoire de fêter dignement ses 70 ans, le journal de Spirou en date du 26 janvier s’est mis aux couleurs du Marsu, auteurs et personnages habituels du journal s’appropriant le personnage avec une mention spéciale pour les quatre pages proposées par DAV. Magnifique !

Eric Guillaud

Edgar P. Jacobs Le Rêveur d’apocalypses : la biographie dessinée de l’un des plus grands auteurs du neuvième art signée Rivière et Wurm

Il y a 75 ans débutaient dans les pages du journal Tintin les aventures d’un duo choc qui allait révolutionner la bande dessinée et embarquer dans un imaginaire mêlant fantastique et réalité plusieurs générations de lecteurs. Ils avaient pour nom Blake et Mortimer et pour créateur Edgar P. Jacobs auquel François rivière et Philippe Wurm consacrent aujourd’hui une biographie bien évidemment dessinée à la manière du maître…

Qui mieux que François Rivière et Philippe Wurm pour s’atteler à un tel projet ? Le premier a rencontré Jacobs de nombreuses fois et publié un recueil d’entretiens avec lui. Quant à Wurm, son trait l’inscrit dans la lignée de Jacobs et de la ligne claire.

Résultat ? Edgar P Jacobs le rêveur d’apocalypses est un très bon livre mêlant bien évidemment la stricte réalité des faits et des propos à une part d’imagination subjective histoire de lier le tout et de le rendre digeste. Et ça marche, l’album se lit d’un trait et nous ouvre les portes d’un univers et d’un auteur, d’un artiste, singulier qui rêvait de devenir baryton et se retrouve à faire de l’illustration publicitaire puis de la bande dessinée dans l’ombre d’un autre géant, Hergé, avant de connaître lui-aussi son heure de gloire avec les aventures de Blake et Mortimer.

Le tout est véritablement captivant, à la fois instructif et divertissant, même pour ceux qui ne connaissent pas spécialement l’œuvre de Jacobs. On y comprend la forte influence du contexte international de guerre froide sur son univers et on partage sa vie au quotidien auprès de sa chère et tendre dans sa maison isolée du monde au sud de Bruxelles.

Pour tout vous dire, le livre de François Rivière et Philippe Wurm a réveillé en moi une envie : relire tout Blake et Mortimer. Je vous laisse…

Eric Guillaud 

Edgar P. Jacobs Le Rêveur d’apocalypses, de François Rivière et Philippe Wurm. Glénat. 22,50€

© Glénat / Wurm & Rivière

16 Jan

Spirou et les petits formats : un récit, trois façons de le (re)découvrir

Publié dans les pages du Parisien Libéré puis dans celles du Journal de Spirou avant de sortir finalement en album, le récit Spirou et les petits formats a connu plusieurs vies que Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault dévoilent et commentent ici pour le plus grand bonheur des amoureux de Franquin et Roba…

Fantasio transformé en statuette. L’inquiétude est grande à Champignac lorsque Spirou découvre ce en quoi son complice de toujours a été réduit. Car Spirou en est certain, ces quelques centimètres appartiennent bien à Fantasio. La ressemblance avec le vrai Fantasio est frappante, le journal qu’il a acheté la veille est dans la poche de son veston et même les empreintes du petit format concordent avec celles du grand Fantasio. De quoi bien occuper notre Spirou…

Les fans de Franquin connaissent bien évidemment cette histoire. Publiée dans Le Parisien Libéré entre septembre 1960 et janvier 1961 puis dans les pages du journal Spirou et enfin en album, Spirou et les petits formats a connu plusieurs formats de parution et plusieurs mises en couleur. Cet album commenté par les deux spécialistes des éditions Dupuis, Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault la présente sous trois versions, la première, recoloriée au début des années 2010 d’après les indications originelles de Franquin, la deuxième avec son format de prépublication en six bandes dans le quotidien français, la troisième enfin, sous forme de fac-similé des planches originales.

Bref, de quoi apprécier une nouvelle fois, pou une pas dire trois nouvelles fois, le génie de Franquin mais aussi de Roba venu prêter main forte au maître débordé et signer du coup ses premières publications professionnelles avant de se lancer dans les aventures de Boule et Bill.

Comme toujours, le couple Pissavy-Yvernault apporte un plus incontestable au livre avec son érudition en la matière et son écriture limpide. Le tout est passionnant, parfaitement documenté et richement illustré, de planches bien sûr mais aussi de croquis, de couvertures, de photos. Pour les amoureux de Franquin, de Spirou, du neuvième art.

Eric Guillaud

Spirou et les petits formats, de Roba et Franquin, commenté par Christelle et Bertrand  Pissavy-Yvernault. Dupuis. 28,95€

© Dupuis / Franquin & Roba

Nord Sud : Deux voyages de christophe Blain en un seul carnet

Initialement publiés en deux volumes distincts, Carnet polaire et Carnet de Lettonie trouvent ici un magnifique écrin pour une réédition bienvenue à quelques semaines de l’exposition consacrée à Christophe Blain à Angoulême…

Nord pour la Lettonie, Sud pour l’Antarctique, ce livre au format à l’italienne réunit deux carnets de voyage, Carnet polaire et Carnet de Lettonie, signés Christophe Blain et respectivement sortis en 1997 et 2005.

L’auteur du Réducteur de Vitesse, d’Isaac le pirate, de Quai d’Orsay et plus récemment du Monde sans fin partage ici ses impressions et sa fascination pour les voyages, les terres lointaines, les paysages enneigés, glacés, la mer, les icebergs mais aussi les hommes et les femmes qui les peuplent, ici des Lettons et Lettones anonymes, là des scientifiques et techniciens de la base Dumont-d’Urville en Antarctique.

En noir et blanc ou en couleurs, au crayon ou à l’aquarelle, les dessins de Christophe Blain sont d’une grande sensibilité et d’une belle humanité. Mais s’ils se passent aisément de commentaires, certains regretteront tout de même la disparition de ce qui faisait le charme des deux albums dans leur version initiale, à savoir des textes et annotations de l’auteur qui accompagnaient chaque dessin et donnaient à l’ensemble un côté carnet de voyage plus affirmé.

Cette réédition s’inscrit dans le cadre de la grande exposition rétrospective qui sera consacrée à l’auteur lors du prochain festival de la bande dessinée d’Angoulême entre le 17 et le 20 mars.

Eric Guillaud

Nord Sud de Christophe Blain. Casterman. 30€ (en librairie le 26 janvier)

© Casterman – Blain

14 Jan

« Je rêve de faire une bande dessinée inadaptable au cinéma » : rencontre avec Pascal Rabaté, auteur et réalisateur atypique

Que ses récits se déroulent pendant la révolution russe, au début de la deuxième guerre mondiale ou dans les années 60, Pascal Rabaté n’a toujours eu qu’une ambition : raconter son époque. Rencontre avec l’un des plus grands auteurs français – et nantais d’adoption – à l’occasion de la sortie de sa nouvelle bande dessinée : Sous les galets la plage…

© éric guillaud

Il y a comme un air de révolte. Et pas seulement dans le titre habilement détourné d’un slogan de mai 68 mais dans le récit en lui-même et assurément dans l’esprit de son auteur. Rien d’étonnant quand on connaît un peu le bonhomme. Pascal Rabaté n’a jamais suivi le même chemin que tout le monde.

Déjà tout petit…

Le dessin ? Plus qu’une évidence, un besoin. « J’ai dessiné avant d’écrire. Comme beaucoup mais moi j’étais dyslexique, ce qui m’a freiné dans la prose. Donc le dessin fut mon premier moyen de communication. Je n’étais pas bon, j’étais juste moins mauvais que les autres ».

La suite ici

11 Jan

Esad Ribic ou comment sublimer le tragique chez les super-héros

Esad Ribic ne rentre dans aucun moule. Ce croate, qui fêtera cette année ses cinquante ans, détonne aussi bien par son style très sculptural que par son parti-pris graphique à la fois majestueux et froid. Et comme il se fait très rare ces dernières années, préférant se consacrant à la réalisation de couvertures, chacune de ses sorties est un mini-événement en soit. Ça tombe bien, il y en deux ce mois-ci !

Aussi talentueux qu’il soit par contre, cela ne l’empêche de se ‘rater’ parfois… Comme avec cette nouvelle adaptation de la série Les Éternels, à l’occasion de la sortie de l’adaptation cinématographique sortie un peu en catimini en France en Novembre dernier. Il faut dire que sur le vieux continent, la série est loin d’avoir l’aura qu’elle a aux Etats-Unis.

 l’origine, Les Éternels est une création du ‘king of comics’ Jack Kirby, la superstar absolue de la maison MARVEL. Kirby était intouchable dans les 60’s (Quatre Fantastiques, Thor, Captain Americaetc.) mais après s’être fâché avec MARVEL, il avait filé à la concurrence avant de revenir finalement quelques années au bercail. Publié en 1976, Les Eternels est peut-être sa dernière grande œuvre. On y découvre une race d’être immortels (ces fameux éternels donc) crées par des extra-terrestres il y a un million d’années dans le but alors avoué de faire évoluer ensuite l’espèce humaine. Mais leur conflit avec les plus génétiquement instables déviants, leurs cousins en quelque sorte, les obligent à se cacher pendant des siècles, jusqu’à ce qu’ils soient redécouverts par hasard.

Pour faire simple, jamais avant ou après Kirby (qui signait ici aussi le scénario) n’a été aussi mystique, jonglant avec des concepts assez complexes tournant autour de l’immortalité, de l’ordre du cosmos et ce genre de choses assez fumeuses. On ne comprenait pas tout mais c’était beau, très beau car rarement le King n’avait été aussi emphatique.

© J.M. Straczynski et Esad Ribic

Et bien avec cette nouvelle mini-série de cinq épisodes tous réunis pour cette version française, c’est un peu la même chose. Le scénariste Kieron Gillen a beau essayer à la fois de réinventer la mythologie tout en y restant fidèle, les longues plages de dialogues assez abscons – avec d’incessantes références antérieures au récit que seuls les initiés comprendront – risquent de décourager même les plus braves. Même le d’habitude très expansif Ribic semble un peu étriqué dans cet univers bavard malgré les couleurs très chatoyantes et où les quelques scènes d’actions ou l’intervention du super-méchant Thanos ne semblent avoir été rajoutés que pour tenter de raviver l’intérêt général.

Non, en fait, si on veut vraiment prendre la pleine mesure du croate, il faut se jeter sur Silver Surfer : Requiem, édité qui plus est en version grand format. Il fallait au moins ça pour s’en prendre plein les mirettes et ainsi assister à la mort de l’un des personnages les plus christiques si l’on peut dire de MARVEL et ancien héraut de Galactus le mangeur de planète.

© Kieron Gillen et Esad Ribic

C’est simple, avec Loki et Thor : Le Massacreur de Dieu, ceci est sûrement LE chef d’œuvre de Ribic, un chant du cygne (littéralement) aux accents tragiques presque shakespeariens et d’une force émotionnelle intense. Presque un comble, tant la critique récurrente qu’on entend à propos du croate est justement le côté parfois trop figé et donc peut-être un désincarné de ses dessins.  Sauf qu’ici, tout a été fait pour magnifier son style majestueux. Il faut dire que le scénario est (volontairement) des plus minimaliste : atteint d’une sorte de cancer et se sachant condamné, le surfeur d’argent décide ici en quelque sorte de solder les comptes et d’aller revoir son monde natal une dernière fois avant de mourir.

© Kieron Gillen et Esad Ribic

Ce n’est pas pour rien que le quatrième de couv’ parle d’une édition « qui met en valeur les (…) peintures de l’artiste ». Parce qu’on parle bien ici de véritables peintures, où cet être impassible au corps intégralement chromé et lancé à travers l’espace sur sa planche cosmique devient des plus émouvants alors qu’il apprend petit-à-petit à accepter son destin. Impossible d’ailleurs de ne pas penser au mythique La Mort De Captain Marvel sorti en 1982 et où le scénariste Jim Starlin avait réalisé un récit introspectif aussi tragique qu’émouvant et où le héros mourait, déjà, d’un cancer.

Pas de bastons épiques, pas de convulsions scénaristiques et encore moins de coups de théâtre. Juste un dessinateur au sommet de son art et un personnage stoïque face à son destin. Chef d’œuvre !

Olivier Badin

Le Éternels : Seule La Mort Est Éternelle de Kieron Gillen et Esad Ribic. 20,99€.

Silver Surfer : Requiem de J.M. Straczynski et Esad Ribic. 28€.