01 Sep

“De Hara-Kiri à Charlie” : Xavier Lambours, une référence de l’irrévérence

Comment prendre une photo irrévérencieuse de Lambours ? « Tu te démerdes », répond-il, avant de se mettre en scène, mimant un de ses clichés. © Justin Mourez

Comment prendre une photo irrévérencieuse de Lambours ? « Tu te démerdes », répond-il, avant de se mettre en scène, mimant un de ses clichés. © Justin Mourez

Heureusement que Photoshop existe ! Sans le logiciel de retouches qui hérisse les poils de certains, nous – simples spectateurs – n’aurions jamais pu découvrir un cliché d’exception.

En 1981, Xavier Lambours, photographe, fait partie de la rédaction du journal satirique Hara-Kiri. Un mardi soir, après le bouclage, il se retrouve avec le Professeur Choron, co-fondateur du journal, au restaurant le Dodin Bouffant, à Paris. « C’était notre cantine. » François Mitterrand, alors en campagne présidentielle, dîne derrière eux. Le Professeur Choron se met à chanter à tue-tête. De la pure provocation, le style Hara-Kiri, quoi. « J’ai juste eu le temps de prendre mon appareil. J’ai fait une photo à hauteur de la ceinture, sans viser. Je me mordais la lèvre pour ne pas me marrer. »

En 1981, Xavier Lambours immortalise Choron au restaurant le Dodin Bouffant, où dîne François Mitterrand. © Justin Mourez

En 1981, Xavier Lambours immortalise Choron au restaurant le Dodin Bouffant, où dîne François Mitterrand. © Justin Mourez

Xavier Lambours se souvient de cet instant incroyable. Il expose cette photo pour la première fois, avec celles de son compère Arnaud Baumann à Visa pour l’Image, dans la caserne Gallieni, à Perpignan. « A l’époque, je me suis dit qu’elle était foutue. Le négatif était transparent. C’est ma fille qui a réussi à la retravailler avec Photoshop pour en faire quelque chose. » Il y a quelques mois seulement. Un petit « miracle numérique ».

Le cliché fait aujourd’hui partie du livre souvenirs des deux photographes « Dans le ventre d’Hara-Kiri ». Tous les deux ont vécu au sein de Hara-Kiri de 1974 au milieu des années 80. Puis Lambours a pris un virage différent, s’est en quelque sorte « peopolisé ». Au sein de Libération d’abord, avec notamment des photos du Festival de Cannes et ses célèbres portraits de stars, mais aussi d’hommes politiques. Pourtant, quand on le voit débarquer ce lundi à Visa, l’homme ne transpire pas le bling-bling, il sue à grosses gouttes à cause de la chaleur étouffante des lieux d’exposition.

Le photographe raconte, sur un ton léger d’abord, les années passées avec ces dessinateurs, disparus pour la plupart. Les anciens, Cavanna, Choron mais aussi Reiser, Gébé – ses « chouchous », dont il parle la gorge serrée. Mais également ceux assassinés, en janvier dernier, dans les locaux de Charlie Hebdo, « le petit frère » d’Hara-Kiri : Cabu, Wolinski, et les autres.

« Photographier Reiser était magique. » Le dessinateur était l'un des chouchous de Xavier Lambours. © Justin Mourez

« Photographier Reiser était magique. » Le dessinateur était l’un des chouchous de Xavier Lambours. © Justin Mourez

Fabius « vampirisé »

Xavier Lambours a fait ses armes avec eux. Après une intégration qui tenait du bizutage, il a vécu avec eux des moments exceptionnels de création et d’autodérision. Un style qu’il a intégré. « Pour Libé, j’ai photographié Laurent Fabius qui venait d’être nommé Premier ministre, en 1984, avec son état-major. J’ai mis la lumière en-dessous. Et en fait, on dirait des vampires ! » Une irrévérence presque innée.

Même scénario quand il doit photographier Yasser Arafat, président de l’Autorité palestinienne. Alors qu’il n’a que quelques minutes pour lui tirer le portrait à Tunis, il le fait sortir puis poser comme une star de ciné devant des palmiers. « Aujourd’hui, c’est plus possible. On doit envoyer les clichés aux attachés de presse. Tout est codifié. »

Mais tant pis, le photographe sait encore jouer de son irrévérence en se mettant en scène. Pas en vampire, ni en star de ciné, mais en monstre. « Reivax » (l’anagramme de Xavier) est un mélange de Nosferatu et de chauve-souris, coiffé d’un bonnet. Et le comble dans tout ça, c’est qu’il ne fait pas les photos: « Je joue le personnage et je mets en scène. C’est un ami qui fait les clichés. On va en faire un roman-photo. » Il revient à ses premières amours, les histoires à bulles parlantes inventées pour Hara-Kiri. Reivax existe déjà sur le web. Il a même sa page Facebook. « On fait du stop-motion, des vidéos, des sons. » Ce super-héros 2.0, il espère l’incarner encore longtemps.

Il continue de faire des portraits d’acteurs, s’invite sur les tournages, joue avec les pellicules, explose les cadres. Ça reste sa signature. D’ailleurs, comment le prendrait-on, lui, à Visa ? Facile. Il sort de la salle, se place derrière une fenêtre et prend la pose. « Vous voyez, on dirait que je suis une photo. »

MARINE LANGEVIN & JUSTIN MOUREZ


Retour sur les grandes dates des journaux satiriques Hara-Kiri et Charlie Hebdo :