05 Sep

Un train pour le bout du monde

Un médecin et une infirmière du « Matvei Mudrov » font passer un électroencéphalogramme à Nadegda Gaskevitch. Elle a fait une chute sur la tête en 2003 et a besoin depuis de soins réguliers. © William Daniels / Panos Pictures / National Geographic Magazine

Un médecin et une infirmière du « Matvei Mudrov » font passer un électroencéphalogramme à Nadegda Gaskevitch. Elle a fait une chute sur la tête en 2003 et a besoin depuis de soins réguliers. © William Daniels / Panos Pictures / National Geographic Magazine

La lecture d’un article aura suffi à William Daniels pour choisir sa prochaine destination. En mars et mai 2013, il monte à bord du Matvei Mudrov, le train médical qui longe la Baïkal Amour Magistrale (BAM), ligne ferroviaire parcourant l’Extrême-Orient russe sur 4 000 km. Avec un objectif, photographier les oubliés de la Taïga.

« J’aime les bouts du monde, ces endroits délaissés auxquels quelques irréductibles s’accrochent coûte que coûte ». Après l’Afrique, la Russie. Après les couleurs chaudes et la lumière éclatante, l’atmosphère feutrée et glaciale de la steppe hivernale. Deux mondes s’affrontent dans les clichés du photographe. Le confinement et la tiédeur des wagons, et dehors de grandes étendues blanches et glaciales. L’exaltation d’un moment de fête cède ensuite la place à un espace silencieux et vide que la neige a figé.

Au milieu de ce décor, ceux qui participèrent à la construction de la BAM, plus cher projet de l’époque soviétique, sont passés du rang de héros à celui d’oubliés. Les villes promises sont restées à l’état de village pour devenir des hameaux que la jeunesse fuit tandis que les infrastructures ont presque toutes disparues.

William a traversé de nombreux villages, comme celui de la photo, délaissés depuis les années 90. © Céline Petit

William a traversé de nombreux villages, comme celui de la photo, délaissés depuis les années 90. © Céline Petit

Coupés du monde, les habitants qui longent la BAM attendent le train médical qui passe deux fois par an, dernier trait d’union entre eux et le reste de la Russie. Ce qu’ils attendent moins, c’est un photographe intéressé par leur quotidien. Pas simple alors de se faire accepter. « La méfiance a commencé dans le train. A bord du wagon du chef technique, mon appareil photo était confisqué. Il me traitait, en riant à demi, d’espion. Humour ou pas, en sa présence, pas de photo possible. »

« Pour eux, les médias sont le symbole de la propagande »

Accompagné de sa guide, qui lui sert également d’interprète, William choisit ses haltes le long de la BAM. « J’optais pour les lieux les plus isolés possibles, là où tout fait défaut. »

Faire comprendre son projet à ceux pour qui les médias sont avant tout un moyen de propagande est pour le photographe un challenge : « Leur rapport à l’image n’a rien à voir avec le nôtre. Etre journaliste et occidental n’arrange rien. » Beaucoup rechignent à être immortalisés. « Ils sont bloqués par la peur de participer à un acte anti-patriotique. Donner son image est vécu comme un geste risqué pour l’ancienne génération. »

Une difficulté accentuée par la barrière de la langue. « L’une de mes astuces pour créer le contact était d’offrir des tours Eiffel. Les Russes aiment la France, un atout quand on ne peut pas communiquer avec des mots ».

Une fois la glace brisée, les « oubliés des dieux », comme ils aiment se nommer, ouvrent leurs portes à William. Ils partagent avec lui un peu de leurs soucis, laissent échapper quelques plaintes quant à leur condition. Mais le soir venu, l’heure est au réconfort. Les verres de vodka s’entrechoquent sur fond de chants slaves. La musique et la fête remplacent la monotonie quotidienne.

Une exposition à Visa pour l’image plus tard, William Daniels pense à la suite. « Ce projet pour moi n’est qu’une ébauche. J’ai une impression de « pas terminé ». Je veux creuser un peu plus dans la vie des gens. Qu’ils me racontent leurs histoires. Il me reste quelques mois avant l’hiver prochain pour me préparer et surtout me mettre au russe ! »

Céline PETIT