04 Sep

Yunghi Kim, le storytelling d’abord

A l'exposition « Le long cheminement de l’Afrique : de la famine à la réconciliation 1992-1996 » la légende suivante décrit ce cliché "Camp de Kibumba, près de Goma, Zaïre, août 1994. Un million de Rwandais ont fui les combats entre Tutsis et Hutus, entraînant, selon les organisations humanitaires, le plus grand exode de réfugiés de l’histoire moderne. Le monde était sous le choc et les services d’urgence n’étaient pas préparés, ce qui a favorisé la propagation rapide du choléra dans les camps, provoquant la mort de milliers d’autres personnes. © Yunghi Kim / Contact Press Images"

« Camp de Kibumba, près de Goma, Zaïre, août 1994. Un million de Rwandais ont fui les combats entre Tutsis et Hutus, entraînant, selon les organisations humanitaires, le plus grand exode de réfugiés de l’histoire moderne ». © Yunghi Kim / Contact Press Images

De 1992 à 1996, Yunghi Kim, photoreporter américaine (Visa d’or News en 1997), a couvert quatre ans de conflits africains, de la Somalie à l’Afrique du Sud, en passant par le Rwanda. Ni ses clichés, ni ses légendes ne prennent la mesure de ces drames. Pour elle, l’émotion de l’instant prime sur le contexte. Aussi tragique soit-il. 

Entourée d’une vingtaine d’admirateurs de son travail, Yunghi Kim présente au couvent Sainte-Claire son exposition « Le long cheminement de l’Afrique : de la famine à la réconciliation, 1992-1996 ». Un travail mené lors de la famine en Somalie, avec les réfugiés du Rwanda ou encore lors de la libération de Nelson Mandela en Afrique du Sud. « Il n’y avait jamais eu autant de morts en Afrique que durant cette période. »

Ce sont surtout les réfugiés rwandais qui ont nourri son travail. En août 1994, elle était parmi les exilés hutus dans le camp de Kibumba (Zaïre). Les légendes sont concises : « Rwandais ayant fui les combats entre Tutsis et Hutus ». Dérangeant, lorsque l’on sait qu’à cette époque les seconds venaient de massacrer les premiers. A aucun moment, le visiteur mal renseigné ne peut comprendre que des bourreaux se sont peut-être glissés dans ces photos.

La plupart des clichés datés de 1994 ne mentionnent aucun mois. Comme si l’on pouvait prendre la même photo en avril, au moment du génocide, et en août, après la fuite des génocidaires. De retour deux ans plus tard, toujours parmi les Hutus, elle les suit sur les chemins du retour au Rwanda. Là encore, les considérations esthétiques et l’émotion du moment l’emportent. « Je n’étais pas présente pendant le génocide, se défend Yunghi Kim. J’étais là pour suivre les réfugiés. Leur exil, puis leur retour étaient le résultat de la guerre civile, et j’étais là pour montrer ce résultat. » Après un silence, elle ajoute : « En 1996, c’était une crise humanitaire, pas un génocide. »

« Je ne me considère pas comme une photoreporter, mais comme une photographe »

Pour Yunghi Kim, c’est toujours la petite histoire qui prime. « J’adore saisir l’instant, notamment les moments d’intimité au milieu des grands évènements. Le photojournalisme, c’est du storytelling ». Une méthode de travail assumée. Devant la photo d’un enfant mort, le visage à moitié drapé, abandonné sans sépulture par une file d’humains hagards, elle explique : « Il y a de la compassion, c’est le message. Ce n’est pas facile de photographier les morts. Mais c’était un tel chaos. Pour prendre la photo, j’ai simplement posé l’appareil sur le sol, j’étais dans un état second. Dans ces situations, l’objectif fait rempart. La douleur m’est revenue, intense, lorsque j’ai développé les clichés. Ca m’a ramené à ce moment ».

Yunghi Kim ne paraît s’interroger ni sur la misère, ni – lorsqu’il s’agit des réfugiés hutus – sur la responsabilité de ceux qu’elle a si longuement côtoyés. La maladie, la détresse et la peur transparaissent à travers ses photos. Mais on comprend mal ce qu’elle veut montrer. Le storytelling d’abord.

Ryad BENAIDJI et Hendrik DELAIRE