13 Juil

Le casse-cailloux, les rivières et le comté

pbmatique casse cailloux

Aujourd’hui, « casse-cailloux » est un mot clivant. Dans le massif jurassien, le casse-cailloux est au cœur d’une confrontation entre agriculteurs et environnementalistes. D’ici peu, cette opposition pourrait évoluer en discussion pour aboutir à un consensus . Le casse-cailloux est un engin capable de casser de la pierre et ainsi de remodeler les paysages du massif jurassien. Pour les agriculteurs, cela leur permet de regagner du terrain et de passer leurs tracteurs. Pour les environnementalistes, c’est une atteinte grave à l’environnement.

Cette polémique, latente depuis plusieurs mois, a éclaté lorsque la video des travaux effectués à Remoray-Boujeons par la société Lonchampt père et fils a été publiée sur les réseaux sociaux. La violence des échanges sur youtube ou facebook trahit, en fait, l’absence de réel dialogue entre agriculteurs et environnementalistes. Ce dialogue est pourtant devenu indispensable en raison de l’enjeu majeur de cette problématique spécifique au massif jurassien.

C’est l’illustration parfaite de l’un des objectifs de ce blog : comment économie et environnement peuvent cohabiter sur un même territoire ? En l’occurence, un pays fait de rivières, de lacs et de sols calcaires. Cette histoire géologique vient d’être magnifiquement racontée par Jean-Philippe Macchioni dans son film « Jura, le temps d’une montagne » réalisé pour le parc naturel régional du Haut-Jura.

En regardant ce film, nous comprenons l’urgence de la préservation d’un patrimoine unique. La dégradation de la qualité des eaux des rivières comtoises et les fortes mortalités de poissons sont la conséquence d’activités économiques tant agricoles qu’industrielles ou domestiques. C’est ce que met en avant les recherches d’une équipe du laboratoire Chrono-environnement de l’universite de Bourgogne-Franche-Comté en insistant sur « une déstabilisation des sols ».

Vingt-et-un universitaires du laboratoire de Chrono-environnement ont tiré la sonnette d’alarme en demandant  dans une lettre ouverte au prefet de région de mettre

un terme sans équivoque à ces pratiques qui transforment irrémédiablement la montagne jurassienne en détruisant des milieux d’une grande richesse biologique, en favorisant la pollution des cours d’eau et en artificialisant un patrimoine paysager qui fait la réputation de notre région.

En Franche-Comté, il suffit de regarder les cours d’eau pour comprendre qu’il y a urgence. Dans son communiqué de juin 2017, SOS Loue et rivières comtoises précise, à propos de l’usage du casse-cailloux, qu’

Il est probable que cette pratique « décolmate » les calcaires : la couche de sol superficielle qui protège les calcaires et limite un peu les infiltrations de polluants est détruite par cette pratique. Plus de polluants sont transférés aux rivières.

D’autres part, les haies « permettent de retenir l’eau et de limiter le ruissellement », une fonction utile en cette période de réchauffement climatique.

C’est la partie la plus visible de cet enjeu mais le problème est plus vaste. Le débat sur l’usage du casse-cailloux révèle un questionnement sur le rôle et le sens de l’agriculture sur un territoire. Comment vivre correctement de son métier d’agriculteur avec les technologies d’aujourd’hui tout en préservant la spécificité de ce terroir ?

C’est en référence à ce questionnement que nous avons tourné le reportage à Remoray-Boujeons, Châtelblanc et Reculfoz. Avec mes confrères, nous avons voulu comprendre les points de vue des uns et des autres.

Avec Matthieu Lonchampt ,Lonchampt TPAF père & fils; Eric Vuez,agriculteur Gaec des clochettes; Pierre-Henry Pagnier
agriculteur, Président de l’association régionale de développement agricole et rural du massif du Jura et membre de la chambre régionale d’agriculture, Pierre-Marie Badot, biologiste au laboratoire Chrono-environnement de l’Université de Bourgogne Franche-Comté; François Tarby, agriculteur Gaec Tarby des Essarts, Denis Michaud, membre du parc naturel régional du Haut-Jura.
Reportage I.Brunnarius, F.Le Moing, JF Perret, X.Beisser, S.Schneider

Cette recherche d’équilibre entre économie et environnement est au coeur de l’actualité. Avant les États généraux de l’Alimentation, Stéphane Travers et Nicolas Hulot, les ministres de l’Agriculture et de la Transition écologique et solidaire ont justement

affirmé leur volonté de travailler de concert et redit tout leur intérêt pour les solutions que peuvent apporter la recherche et l’innovation agronomiques au service de modèles performants sur le plan économique et environnemental

lors d’une visite à l’INRA le 10 juillet dernier à Versailles. 

Les scientifiques ont un rôle à jouer pour que agriculture et environnement puissent converger vers des intérêts communs. Les universitaires du laboratoire de Chrono-environnement de l’université de Bourgogne-Franche-Comté travaillent régulièrement avec les agriculteurs de la Zone AOP Comté. C’est ensemble qu’ils trouveront des solutions pour concilier rendements suffisants et préservation des sols. Comment rendre compatibles dès objectifs comme le maintien des haies, des murs de pierre sèche, des milieux « mosaïque »  et la tenue d’une exploitation agricole avec la contrainte d’une main d’oeuvre réduite ?

Cette question devrait être abordée dès la rentrée lors des rencontres d’un groupe d’agriculteurs volontaires mis en place par le Parc Naturel du Haut-Jura dans le cadre du programme européen Leader. Il s’agira d’un groupement d’intérêt économique et écologique. « C’est l’un des outils structurants du projet agro-écologique pour la France » explique le ministère de l’agriculture.

Si la France s’est engagée dans la voie de l’agro-écologie en réformant son enseignement agricole et en prônant auprès des agriculteurs une évolution de leurs pratiques, c’est sans doute parce que l’Etat s’est rendu compte du danger qui nous guette tous. Dans son édition du mercredi 12 juillet, Le Monde titrait : « Alerte rouge sur l’extinction des espèces ». Plusieurs publications scientifiques mettent en évidence la chute de la biodiversité. Pas seulement d’espèces rares comme les guépards ou les lions d’Afrique. En France, relate le journaliste du Monde, « le chardonneret a enregistré une baisse de 40% de ses effectifs depuis dix ans ». D’après ces publications scientifiques,

la Terre est entrée dans sa sixième extinction de masse. les disparitions d’espèces ont été multipliées par 100 depuis un siècle, soit un rythme sans équivalent depuis l’extinction des dinosaures il y a 66 millions d’années. Le cocktail mortifère est désormais connu : destruction des habitats – sous l’effet de l’agriculture, de l’élevage, de l’exploitation du sous-sol –, chasse et braconnage, pollution et réchauffement climatique.

En Franche-Comté comme ailleurs, les atteintes à la biodiversité existent. Une thèse soutenue par une chercheuse du laboratoire chrono-environnement, en partenariat avec le Comité Interprofessionnel de Gestion du Comté, démontrait qu’en l’espace d’une dizaine d’années, la biodiversité avait chuté. Le nombre d’espèces de végétaux n’étant pas l’unique indicateur. Dans les prairies du massif jurassien, des « espèces banales et opportunistes » prennent la place de variétés plus rares.

Mon confrère du Monde rappelle dans son éditorial que les « milieux naturels rendent des services aussi nombreux qu’essentiels, qu’il s’agisse de la pollinisation ou de l’amélioration de la productivité des terres, de l’assainissement de l’air et de l’eau et du stockage du CO2 ». Sa conclusion m’a fait froid dans le dos. « D’après les scientifiques, le temps est compté -deux ou trois décennies au maximum-. Il en va de la survie de la biodiversité et du bien-être de l’homme ».

isabelle brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr

VOS COMMENTAIRES :

Je ne partage pas du tout la vision « bisounournours » de votre article, je résume : « il suffirait que des gens intelligents se parlent et on trouverait des solutions ». Moi qui suis parfois traité d’extrémiste (récemment à Amancey lors de la nuit de l’Agro-écologie), je vais répéter ici ce que j’ai dit à Mr. Vermot-Desroches. Sommes nous dans un état de droit ? Le passage du casse-cailloux en Zone Natura 2000 est-il autorisé ? Je pourrais dire la même chose à propos d’une autre polémique récente : le « glysophatage » du Lison. L’agriculteur a-t-il enfreint la loi en utilisant le glyphosate dans une zone Natura 2000? Et, je reviens sur le casse-cailloux, bien que n’étant pas juriste, mais il me semble que le sous-sol n’appartient pas au propriétaire des lieux. Donc casser de la roche pour se constituer un sol artificiel, est-ce légal ? Et je peux encore ajouter : vider sa cuve à lisier au Cirque de Consolation ?? épandre son lisier sur la neige ?? pulvériser par grands vents ou par temps de pluie ??
Je ne crois pas à l’appellation LES agriculteurs, ils sont multiples dans leur pratiques (et c’est vrai aussi pour LES fonctionnaires, LES patrons, LES journalistes …). Mais nous observons tous, depuis des années, une impunité totale envers les agriculteurs voyous, bien protégés par le puissant syndicat FNSEA (souvent lui même en infraction avec ses opérations coup de poing qui conduiraient tout syndicaliste CGT directement en prison) et avec la complicité des pouvoirs publics.
Donc, étape 1 du dialogue, que LES agriculteurs, le puissant syndicat agricole, les Chambres d’Agriculture, le ministre de l’Agriculture, arrêtent d’être complice de CES agriculteurs voyous qui font n’importe quoi, et qui sont hors-la-loi !! L’économie de marché ne permet pas aux agriculteurs français de vivre, et ils sont aidés par beaucoup d’argent public. Il me semble que le moins qu’on puisse attendre d’eux et de respecter les lois et règlements. Finalement, si les fermes sont devenus des usines chimiques et mécaniques, et bien que les produits et les pratiques ne viennent pas polluer les habitants de cette région. État de droit ! Y.Henry.