09 Oct

Dans quel état seront les rivières comtoises en 2045-2065 ? 

Conférence du BRGM à Ornans sur la ressource en eau des rivières comtoises. Octobre 2016.

Conférence du BRGM à Ornans sur la ressource en eau des rivières comtoises. Octobre 2016.

Quel avenir pour la ressource en eau des rivières comtoises ? C’est la question posée par les experts du BRGM, le service géologique national. Une interrogation d’autant plus cruciale que la préfecture du Doubs vient de prendre un arrêté mettant en place des restrictions d’usage de l’eau. L’Etat demande d’éviter tout gaspillage de l’eau pour préserver les rivières et la ressource en eau.

La réponse est claire : Dans les années 2045-2065, la quantité d’eau qui va alimenter les nappes d’eaux souterraines (ce que les scientifiques appellent la « recharge ») devrait baisser, pendant les périodes estivales, de 25 à 50% par rapport à aujourd’hui. C’est l’un des résultats de leur étude présentée mercredi 5 octobre à Ornans, juste au lendemain de la date de l’arrêté préfectoral.

Le BRGM dispose d’une équipe spécialisée dans le domaine de l’hydrogéologie des régions karstiques. Une de ses activités de recherche est ciblée « sur l’évaluation de l’impact du changement global (climatique et anthropique) sur l’évolution de la ressource en eau ».

En soi, dans le contexte de réchauffement climatique, ce résultat n’a rien de surprenant mais la rigueur de la méthode scientifique utilisée par Jean-Baptiste Charlier et Yvan Caballero du Bureau de Recherches Géologiques et Minières, condamne toute politique de l’autruche. On ne pourra plus dire que l’on ne savait pas !

Le BRGM s’est penché sur cette question cruciale dans le cadre d’un vaste programme de recherche « Caractérisation de la recharge des aquifères et évolution future en contexte de changement climatique. Application au bassin Rhône Méditerranée Corse » dont le rapport final a été rendu public en mai 2016. L’étude franc-comtoise prolonge la réflexion en intégrant des données locales.

Les systèmes karstiques des sources de la Loue et du Lison font  partie des huit secteurs étudiés par l’équipe de scientifiques. Le bassin versant de la Loue est particulièrement intéressant pour cette étude. Les scientifiques disposent de données collectées pendant de nombreuses années et,notamment lors des périodes d’étiage (basses eaux), lorsque les rivières sont essentiellement alimentées par des eaux souterraines.

En fait, dans notre région karstique (composé de roches calcaires), le débit des rivières est principalement alimenté par les eaux souterraines. Et comme l’accès au sous-sol peut se révéler compliqué, les analyses réalisées à partir des prélèvements faits aux sources de la Loue et du Lison ainsi qu’à la station de la Loue à Chenecey Buillon peuvent permettre de déduire ce qui peut se passer sous terre.

Quels sont les enseignements de cette étude ?

Tout d’abord, il s’agissait de dresser un constat déjà largement partagé, il fait plus chaud. Pour Besançon, les températures minimales et maximales annuelles ont augmenté d’environ 1.5° entre les années 70 et aujourd’hui. Côté  précipitations, il ne peut pas plus.

Dans ce contexte, les scientifiques s’interrogent : le climat et les activités humaines vont-ils avoir un impact  sur la ressource en eau ? Pour se projeter, il faut d’abord regarder dans le rétroviseur. Sur les plateaux du département du Doubs, entre les années 70 et aujourd’hui, la quantité d’éléments minéraux dans l’eau a augmenté et elle est plus chaude. Pour les dix dernières années, à la source d’Arcier, près de Besançon, la température de l’eau s’est réchauffée  en moyenne de 0.2° et la présence de calcium a progressé de 8 mg/l ( le calcium et le bicarbonate sont les éléments les plus présents dans les eaux qui circulent à travers la roche calcaire).
A Chenecey-Buillon, l’eau de la rivière s’est réchauffée en moyenne de 0.7° en dix ans, c’est essentiellement la conséquence de la disparition des arbres le long des berges.

Quels scénarios pour les années à venir ?

A partir de ces données des années passées, les scientifiques utilisent des modèles qui leur permettent de se projeter dans l’avenir. C’est le cas pour les différents scénarios climatiques. Et comme l’exercice est par nature délicat, pour diminuer l’incertitude, les scientifiques du BRGM ont utilisé plusieurs modèles pour estimer l’évolution de la recharge des nappes (le renouvellement de la ressource en eau).

Une certitude : en période estivale,  il y aura une baisse de ce renouvellement en 2045-2065. Une baisse estimée en moyenne entre -25 et -50% par rapport à aujourd’hui. Nous voilà prévenus !

Dans la salle de l’hôtel d’Ornans, l’assistance était particulièrement attentive. Ce n’était que des spécialistes ! Agence de l’eau, DDT, SOS Loue et rivières comtoises et d’autres associations environnementalistes, chambre d’agriculture du Doubs, syndicat mixte de la Loue, les spéléos du GIPEK, l’EPTB… L’intérêt d’une telle rencontre est de confronter des points de vue, d’échanger des informations et de partager ces interrogations. Cette augmentation du taux de calcium dans l’eau va-t-elle se poursuivre ? Si cela n’a pas d’impact négatif pour l’eau potable (Une partie de l’eau potable de Besançon est prélevée à Chenecey), les spécialistes s’interrogent sur les conséquences de cette progression sur les écosystèmes. Tout est effectivement lié ! Manon Gisbert, du Conservatoire des espaces naturels de Franche-Comté, cherche justement à savoir comment mesurer l’impact des mesures de restauration des zones humides et des tourbières sur ces ressources en eau.

Ce système karstique est particulièrement fragile, il y a peu de sols capables d’assimiler les effets des activités humaines, tout va très vite dans le transfert des eaux depuis la surface vers les réserves en eau souterraine. Ces réserves se logent dans les interstices, les fissures de la roche calcaire. On appelle cela l’aquifère.

Le système karstique des plateaux du Doubs dessiné par Bichet & Campy 2008

Le système karstique des plateaux du Doubs dessiné par Bichet & Campy 2008

Quel avenir pour la ressource en eau des rivières comtoises ?

L’eau souterraine dans les bassins des rivières comtoises est donc une ressource fragile du fait du contexte karstique du massif du Jura.

« Les enjeux de la préservation de cette ressource sont importants car elle approvisionne l’essentiel de la population. Mais les eaux souterraines jouent également un rôle fondamental dans le régime hydrologique des rivières qui sont alimentées principalement par les sources qui drainent les plateaux. La dégradation chronique de la qualité des eaux des rivières comtoises pose la question de la bonne santé des eaux souterraines et de leur vulnérabilité face aux évolutions du climat et des activités anthropiques. » résume Jean-Baptiste Charlier.

Les élus, les habitants doivent donc prendre conscience qu’en période estivale, l’eau se fera plus rare dans les rivières et les sous-sols des plateaux du Doubs. Comment les syndicats des eaux vont-ils pouvoir anticiper cette diminution de la ressource ? C’est dommage, comme l’a souligné Maurice Demesmay, président du syndicat mixte de la Loue, que les représentants de ces syndicats des eaux n’aient pas été invités. Autres absents, les loueurs de canoë-kayak, les pêcheurs… Cet été, faisait remarquer Philippe Koeberlé de SOS Loue et rivières comtoises, le débit de la Loue était de 4 à 5 m3/s à Vuillafans. Comment descendre la Loue, comment pêcher avec un débit qui pourrait descendre à ces valeurs plus fréquemment chaque été? Quant au réchauffement de l’eau, les truites détestent, m’explique Philippe Koeberlé « A 19-20°, elles ne se nourrissent plus et à 22°, elles meurent ».

D’où l’importance de poursuivre l’étude des rivières pour agir de façon plus radical. Pour Jean-Baptiste Charlier, il faudrait « mieux étudier les relations entre pluie-débit,  les échanges dans le karst et les rivières, et aussi développer des outils de prévision plus performants ».

Prochaine étape, aborder cette question des ressources en eau avec ce que l’on appelle « le grand public ». Un vrai défi pour l’Etat, les élus et pour les scientifiques qui vont devoir vulgariser. Les medias locaux ont relayé le récent avertissement de la préfecture du Doubs demandant de ne pas gaspiller l’eau. Mais, finalement qui s’en soucie réellement dans son quotidien ?

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius@francetv.fr