27 Juil

Gustave Courbet s’invite en Touraine

A Loches, les rues invitent à visiter L'exposition "Courbet s'invite chez Lansyer" .

A Loches, les rues invitent à visiter L’exposition « Courbet s’invite chez Lansyer » .

La maison est haute perchée et un nom s’inscrit en grand : Lansyer. A Loches, cité royale du val de Loire, impossible de passer à côté de cette maison du peintre Lansyer d’autant plus que, cet été, le nom de Gustave Courbet y est associé. Le touriste grimpe dans les rues encadrées de maisons Renaissance. Fanions et inscriptions au sol le guident vers cette maison bourgeoise du XIXe siècle.

Mis à part le guichet de vente et les quelques objets souvenirs, tout est fait pour vous plonger dans l’ambiance Second Empire. Revues, vaisselles, meubles… Le quotidien d’Emmanuel Lansyer est reconstitué. Celui d’un notable qui fit don de sa maison et de sa collection de 6000 objets à condition que soit créé à sa mort un musée portant son nom. Rien que cela !

Emmanuel Lansyer s’éteint à Paris, en 1893, couvert de gloire et d’honneurs. L’année où Gustave Courbet peint L’origine du monde, en 1866, Emmanuel Lansyer devient un peintre officiel, ses oeuvres sont achetées par l’état.

« Sa carrière de paysagiste culmine en 1881 avec sa décoration de la Légion d’honneur et son élection au Salon des artistes français, précise le musée Lansyer. Peintre à succès, Lansyer n’en a pas moins été injustement oublié. A l’origine d’aucune rupture artistique, c’est entre classicisme et modernisme que se situe son style pictural. Pour autant, le regard réaliste qu’il pose sur la nature le distingue radicalement des Impressionnistes, plus attachés à rendre ce que leur inspire un paysage que d’en reproduire la réalité. »

Réalité, réalisme … Le maître d’Ornans a exercé une certaine influence sur Emmanuel Lansyer tout comme sur la jeune génération des Impressionnistes qu’il fréquentait dans les cafés et les ateliers de peinture.

Emmanuel Lansyer (Portrait d'après moi 1870. Ville de Loches) et Gustave Courbet ( portrait de Etienne Bocourt , Institut Courbet)

Emmanuel Lansyer (Portrait d’après moi 1870. Ville de Loches) et Gustave Courbet ( portrait de Etienne Bocourt , Institut Courbet, photo  C-H.Bernardot)

Cet été 2016 est particulièrement riche en expositions pour comprendre l’impact de l’oeuvre de Gustave Courbet sur ses contemporains ( musée Courbet à Ornans) et les artistes d’aujourd’hui ( abbaye d’Auberive en Haute-Marne et musée de l’Abbaye à Saint-Claude). A Loches, l’Institut Courbet et le service du patrimoine de la ville ont construit un parcours émouvant et pédagogique. Le néophyte découvre les grandes étapes de la vie de Courbet et surtout le sens de son oeuvre. L’admirateur du peintre se régale des lettres, des gravures, des tableaux peu connus qui lui font encore mieux connaître Courbet. L’épisode de l’atelier du 83 rue Notre-Dame-des-Champs à Paris est succulent.

C’était en 1861. A cette époque-là, Courbet est déjà célèbre. « Il incarne l’artiste libre et indépendant, admiré par les jeunes générations d’artistes, las des enseignements académiques ». Entre en jeu l’ami de Gustave Courbet, Jules Castagnary. Ce journaliste et critique d’art persuade Gustave d’ouvrir son propre atelier d’enseignement… C’est l’homme de plume qui organise tout. Il prévoit une première rencontre entre les étudiants à la brasserie Andler, rue Hautefeuille.

Parmi la quarantaine de jeunes élèves, Emmanuel Lansyer fait partie des premiers inscrits et il sera même le « massier », celui qui collecte la « masse », les 20 francs mensuels destinés à couvrir les frais de location de l’atelier. C’est également le peintre originaire de Loches qui rédige le règlement intérieur de l’atelier, assez semblable à ceux de l’époque. Et c’est un article  de Léo de Bernard, publié dans Le Monde illustré du 15 mars 1862 qui nous donne le ton de cet atelier aussi original qu’éphémère.

« Les modèles choisis par cet atelier se trouvent sous la main et n’ont rien de l’apprêt des modèles académiques. Une semaine, c’est un taureau conduit par un paysan qui donne la pose, une autre c’est un cheval fourbu mené par un palefrenier. Les bêtes alternent avec le nu humain les leçons d’enseignement. Ces études sont profitables surtout aux paysagistes et aux peintres de genre, qui trouvent une grande variété de bons motifs, car, encore une fois, M.Courbet n’apprend pas et ne peut pas apprendre à faire un bon tableau, mais il a le talent et l’autorité nécessaires pour guider rapidement dans ces recherches indispensables. »

Imaginez, juste un instant, un chevreuil, un poney, un boeuf entre quatre murs et devant des chevalets… C’est la nature qui vient à l’atelier et non les peintres qui s’engagent sur les chemins forestiers ! « L’atelier devient un lieu de curiosité, assiégé par les badauds et les journalistes » mais l’expérience tourne court, le propriétaire veut en finir avant que son bien se transforme en écurie. Champfleury admet que Courbet n’a pas la fibre pédagogique : « le professeur, bon enfant, peu autoritaire, venait parfois corriger les boeufs de ses élèves » et puis « un atelier n’est pas organisé comme une étable ». L’expérience aura duré quatre mois, de décembre 1861 à mars 1862. Emmanuel Lansyer a même tenté de poursuivre l’enseignement en recherchant d’autres lieux. Mais l’aventure tourna court.

L'atelier Courbet dans la revue Le Monde Illustré

L’atelier Courbet dans la revue Le Monde Illustré

Quel a été l’enseignement de Courbet ? Le maître voulait que ses élèves peignent « plus vite que la photographie ». L’exposition de Loches est particulièrement éclairante pour comprendre ce qui distinguait la peinture de Courbet de celles des peintres officiels. Courbet utilisait des couteaux, des petits ustensiles à la pointe métallique, pour appliquer directement les couleurs sur la toile.

« Il prenait avec son couteau ( …) du blanc, du jaune, du rouge, du bleu. Il en faisait un mélange sur sa palette; puis avec son couteau, il l’étendait sur la toile et raclait d’un coup ferme et sûr.  « Faites donc, nous disait-il, faites donc avec un pinceau des rochers comme cela » ».

 

Grandes roches au pied du sémaphore. E.Lansyer. Ville de Loches. Photo : F. Lauginie

Grandes roches au pied du sémaphore. E.Lansyer. Ville de Loches. Photo : F. Lauginie

Les roches Noires à Trouville de G.Courbet. Institut Courbet.

Les roches Noires à Trouville de G.Courbet. Institut Courbet.

Lansyer peut également peindre vite même si sa formation d’architecte l’amène à dessiner avant de peindre. L’élève partage avec le maître ce rapport au réel. Une réalité recomposée, mise en scène pour donner vie à la peinture. Paysages de mer, sources et sous-bois peints par le maître et l’élève en sont la démonstration limpide. C’est tout cela que le visiteur découvre au musée Lansyer.

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius@francetv.fr

Et voici le reportage tourné par mes confrères de France 3 Tours :


Courbet s’invite à Loches