04 Avr

Courbet aurait-il eu une dent contre le curé d’Ornans ?

Conférence de Thierry Savatier au musée Courbet à Ornans

Conférence de Thierry Savatier au musée Courbet à Ornans

L’histoire de l’art a parfois des airs d’enquête policière. L’historien Thierry Savatier nous l’a déjà prouvé lors de ses enquêtes pour raconter l’histoire de L’origine du Monde, le célèbre tableau de Gustave Courbet. Cette fois-ci, Thierry Savatier s’est plongé dans l’histoire du Retour de la Conférence et des pamphlets anti-cléricaux du peintre d’Ornans. Une fois de plus, le musée Courbet propose aux visiteurs d’approfondir leur visite de l’exposition temporaire « Le retour de la conférence, un tableau disparu » visible à Ornans jusqu’au 18 avril prochain.

Cette conférence n’a rien à voir avec celle des curés de l’époque de Courbet ! Il s’agit plutôt d’une nourriture de l’esprit ou comment donner vie à des petits livres exposés dans la dernière salle de cette exposition érudite. Cette intervention a rencontré un tel succès que le musée a du refuser son accès à des visiteurs. Compréhensif, Thierry Savatier a même accepté de présenter deux fois de suite le fruit de ses recherches dans le petit espace aménagé pour cette conférence mais cela n’a pas suffit à satisfaire tout le public curieux d’histoire de l’art.

Pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’écouter l’historien, ils peuvent toujours lire son texte publié dans le catalogue de l’exposition. Un ouvrage coédité avec l’Institut Courbet aux Editions du Sekoya.

L’historien d’art émet des hypothèses et reconnait qu’il ne peut toutes les vérifier mais ses recherches l’amènent à avancer des idées qui nous permettent de progresser dans la connaissance de l’oeuvre et de la personnalité de Gustave Courbet.

Premier enseignement tiré des recherches de Thierry Savatier, le peintre d’Ornans s’est inspiré de faits réels pour ses pamphlets anticléricaux. En histoire de l’art, les enquêtes dévoilent souvent les intentions et les sources d’inspiration des artistes.

 

La mort de Jeannot. G.Courbet

La mort de Jeannot. G.Courbet

Prenons  La mort de Jeannot. Ce petit livre publié et illustré par Courbet en 1868 raconte l’histoire d’un curé cupide qui promet le paradis à un vieil homme agonisant en échange de toutes ses économies versées par son compagne Jeannette. Thierry Savatier pense que le journaliste proudhonien Pierre Denis aurait pu écrire les deux pamphlets présentés dans l’exposition du musée Courbet.

« J’ai fait écrire, notait Courbet dans une lettre à Ferdinand van der Haagen, deux notices, ou histoires de faits véridiques à ma connaissance qui ont donné lieu à ces tableaux. (…) On va rire. Le texte n’est pas écrit selon mon gré, mais ça n’est pas important ».

Thierry Savatier avance ses pions un peu plus au fur et à mesure de ses trouvailles. Selon lui, le curé sans scrupules de La mort de Jeannot serait le curé d’Ornans, Benjamin Bonnet (1801-1865). L’historien appuie sa démonstration sur une ressemblance possible entre deux tableaux. Le curé de Un Enterrement à Ornans, identifié par l’historien, Jean-Luc Mayaud à partir des archives municipales et des actes notariés et celui de La mort de Jeannot.

 

Détails d'Un enterrement à Ornans et de La mort de Jeannot de Courbet

Détails d’Un enterrement à Ornans et de La mort de Jeannot de Courbet

Un écrit pourrait corroborer cette affirmation, une lettre que Gustave a adressée à ses parents en 1866. Il qualifiait alors le prêtre de « voleur misérable et de bas étage ». Consciencieux, Thierry Savatier est allé jusqu’à vérifier auprès des archives diocésaines la moralité du père Bonnet. Aucune trace de turpitudes mais cela ne veut rien dire selon l’historien. Autre élément soulignant la véracité des faits ayant inspiré le peintre d’Ornans, Jeannot et Jeannette seraient en fait Petit Pierre et Pierrette . Courbet n’aurait pas voulu que le nom d’Ornans apparaisse dans ce pamphlet mais il a glissé quelques indices dans ses écrits. Dernière information, au moment de la succession du peintre, sa soeur Juliette inscrit au catalogue une oeuvre sous le titre « La mort de Petit Pierre » et non la mort de Jeannot.

Impossible de raconter ici toutes les anecdotes, les découvertes, les analyses de Thierry Savatier tellement elles sont nombreuses. Toutes ces recherches établissent clairement l’anticléricalisme de Courbet. Un trait de la pensée du peintre estompé par ses proches ou sous-estimé par des spécialistes du peintre. Robert Fernier aurait parlé d' »anticléricalisme faisandé  !« . L’histoire de l’art est vivante, les regards sur des oeuvres peuvent ainsi évoluer au gré des découvertes des spécialistes. En 1977, Hélène Toussaint révèle que le véritable titre du tableau longtemps nommé La toilette de la mariée serait en fait La toilette de la morte. Un titre donné par un commissaire priseur une fois Courbet mort. Un peintre aurait même mis des couleurs au corps de cette femme à la peau cadavérique. Plus vendeur sans doute.. Et, si aujourd’hui nous regardons ce tableau à l’aune de l’anticléricalisme de Gustave, Thierry Savatier souligne l’absence de transcendance : « Ni prêtre, ni religieux, ni croix ne sont représentés, précise l’historien. Pas de tristesse, pas de peur. La mort est représentée sans référence à la religion ». Une clé pour observer ce merveilleux tableau.

La toilette de la Morte. 1850-1855. Gustave Courbet

La toilette de la Morte. 1850-1855. Gustave Courbet

Vous avez jusqu’au 18 avril pour visiter cette exposition temporaire du musée Courbet et vous perdre dans les pensées du maître d’Ornans :

« Je n’ai jamais eu d’autres maîtres que la nature et mon sentiment »

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius@francetv.fr