30 Jan

2015, une année stratégique pour la Loue et les rivières comtoises

La Loue à Cléron vue par Jean-Claude Gagnepain

La Loue à Cléron vue par Jean-Claude Gagnepain

2015 est une année clé pour les rivières de Franche-Comté. C’est la date butoir pour se conformer à la Directive européenne sur l’eau, c’est aussi l’année de la fin des quotas laitiers, c’est une année d’élections départementales et régionales. Enfin, les préconisations tant attendues des scientifiques doivent être rendues publiques lors de ce premier trimestre.

C’est une certitude, les objectifs fixés par la directive européenne sur l’eau (DCE pour Directive Cadre sur l’’eau) ne seront pas atteints par la  France. Le Grenelle de l’environnement a ensuite décliné cette ambition européenne en décrétant qu’en 2015, 66% des rivières françaises devaient avoir un bon état écologique.

En décembre 2011, l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée et Corse précisait que

« 51% des rivières des bassins Rhône-Méditerranée et Corse affichent un bon état écologique.Trois ans plus tard, des progrès ont été encore été faits, notamment dans le traitement des eaux usées mais les 66% ne seront pas obtenus. Aujourd’hui, la pollution par les pesticides et les altérations physiques des rivières constituent les principaux facteurs de dégradation de la qualité de l’eau. »

Parmi les masses d’eau de surface qui n’ont pas atteint le bon état,

« 75% ont au moins un problème de morphologie ou continuité, 42% un problème de pollution par les pesticides, 27% un problème lié aux prélèvements et à l’hydrologie, et 23% un problème de pollutions par les matières oxydables et organiques. »

précise l’Agence de l’eau.

 Quelles conséquences concrètes aura cet échec ? « Il ne devrait pas y avoir de pénalités financières, cette barre de 66 % est une règle franco-française, précise Laurent Teissier, le directeur de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse. Ce qu’impose l’Europe est de travailler par cycle : 2010-2015 est le premier, d’autres suivent. L’ objectif est de tout mettre en œuvre pour atteindre le bon état écologique. Les objectifs peuvent être reportés jusqu’en 2027, le délai ultime.

D’ici là, les truites et les ombres ont le temps de continuer de mourir… D’autant plus que le Loue est déjà en bon état écologique. En 2010, lors de la première crise de la Loue, l’Etat et ses services avaient mis du temps à réagir mettant en avant ce « bon état écologique » de la rivière avant d’admettre que finalement il y avait un problème..

Mais qu’est qu’un « bon état écologique » ? La directive-cadre européenne sur l’eau précise que :

« La grande majorité des Etats membres converge vers cette valeur. Elle correspond à un niveau de « bon état » dans une logique de développement durable : les milieux aquatiques sont dans une situation permettant le développement d’activités économiques de façon équilibrée (l’état des milieux aquatiques leur permet de conserver de bonnes capacités d’auto-épuration, les niveaux d’efforts de dépollution demandés aux activités ne sont pas disproportionnés). »

Trouver cet équilibre est justement tout l’enjeu pour assurer l’avenir de la Loue. C’est aussi très relatif puisqu’une rivière peut être à la fois en bon état écologique et à l’agonie. C’est le paradoxe de la Loue.

Sur le terrain, quelles sont actions entreprises pour parvenir à ce bon état écologique ? Les principaux outils sont les contrats de rivières. Celui de la Loue s’est achevé fin 2011 et un contrat de territoire est entrain d’être mis en place pour poursuivre les actions.

Comme me le précisait, l’Agence de l’eau, la restauration de la morphologie et de la continuité de la Loue est un des objectifs prioritaires à atteindre pour améliorer la qualité de l’eau. Dans le contrat de rivière Loue, l’entretien et la restauration des milieux aquatiques sont des piliers des actions à entreprendre. Mais, ces actions ont eu du mal à se mettre en place. « Trop grand nombre d’actions, une disparité spatiale et un manque de hiérarchisation » analysait dans son bilan le cabinet Reilé. sur les 51 fiches actions rédigées pour lutter contre la dégradation morphologique et l’altération de la continuité écologique, 27 fiches n’ont pas été réalisées, 9 sont en cours et  5 sont terminées.

D’emblée, on pourrait croire qu’il est plus facile de restaurer la continuité de la Loue que de diminuer les apports de nutriments. En clair, qu’il est plus facile d’araser des seuils que de changer les pratiques agricoles et d’avoir des stations d’épurations efficaces. Mais, en fait, c’est aussi compliqué ! Prenons l’exemple de Rennes-sur-Loue. Une association s’est montée pour empêcher la destruction de ce barrage, le miroir de Rennes-sur-Loue est réputée et il s’agit de préserver un patrimoine. C’était il y a un an. Depuis, des études de faisabilité ont été réalisées par le syndicat mixe de la Loue mais c’est tout !

Voilà un exemple des difficultés pour une rivière qui est déjà en bon «état écologique ». Imaginez les obstacles pour les autres rivières. Sur le site de l’Agence de l’eau, vous pouvez connaitre l’état de santé de vos cours d’eau préféré. L’Agence a même développé une application pour smartphones. Onze points de suivis ont été mis en place pour le Haut-Doubs. En 2013, sept stations affichent un état « moyen », deux sont jugés « médiocre » ( Arçon et Mouche) et un carrément « mauvais » pour Morteau. Un état « mauvais » que l’on retrouve pour la masse d’eau du Doubs sur de nombreux kilomètres. Cliquez sur cette carte et elle agrandira.

L'état écologique des rivières de Franche-Comté en 2011-2012. Source : Agence de l'eau

L’état écologique des rivières de Franche-Comté en 2011-2012. Source : Agence de l’eau

Lors de la présentation du contrat de territoire pour la Loue et une partie du Doubs, l’impact des pollutions industrielles sur le Doubs a été évoqué. La chambre de commerce et d’industrie du Doubs est justement entrain de mener une opération auprès des industriels du bassin versant de la Loue pour faire le point avec chaque entreprise. Une étude indispensable avant d’aider concrètement et financièrement les entreprises à réduire leurs impacts sur les milieux aquatiques. Des actions collectives de ce type ont déjà eu lieu dans les secteurs de Besançon, Pontarlier ou Belfort. Pour le Haut-Doubs, L’Agence de l’eau envisageait que le Pays Horloger soit le porteur de ce projet mais finalement, cela serait plutôt les communautés de communes de ce secteur qui pourraient répondre à cette proposition de l’Agence de l’eau.

Autre levier d’action, un contrat de rivière pour la « vallée du Doubs et Territoires associés » a été signé en juillet dernier. Un premier bilan vient d’être dressé par l’EPTB. Sur les 58 actions programmées, 59% ont été lancées. Un bon signe pour cette rivière elle aussi emblématique de la Franche-Comté.

Il reste douze ans pour parvenir à ce « bon état écologique » pour le Doubs. C’est à la fois beaucoup et peu. Tout dépend de la volonté des acteurs locaux.

Des hommes et femmes politiques bien occupés en 2015 par les élections départementales en mars et les élections régionales en décembre prochain. Et c’est bien connu, les années d’élections ne sont pas bonnes pour les projets… Tout se fige, personne ne décide et tout traîne…

Troisième enjeu, la fin des quotas laitiers en 2015 à partir du 1er avril par l’Europe au nom de la libre circulation des marchandises. Cela peut avoir un impact direct sur la qualité des eaux puisque les agriculteurs, en théorie, pourront produire plus de lait si ils le désirent. Mais le Comité Interprofessionnel de Gruyère de Comté redoute un effondrement des prix et milite pour le maintien de règles de production. Au risque de recevoir les foudres de l’Europe qui voit d’un mauvais oeil tout frein au marché ( encore un paradoxe…) Claude Vermot-Desroches, le président du CIGC  préconise la limitation de la productivité pour chaque éleveur à 4600 litres de lait par vache et par hectare. Un « garde-fou » selon l’expression de Claude Vermot-Desroches et une sorte d’assurance pour les rivières de ne pas se dégrader plus.

Mes confrères, Emmanuel Rivallain, Richard Negri, Karl Monnin et Emmanuel Blanc ont rencontré début janvier Olivier Régnier, agriculteur à Granges-Maillot et Claude Vermot-Desroches. 

Dernier enjeu de 2015 et pas des moindres : la présentation des résultats scientifiques par les spécialistes de la Conférence départementale de la Loue et des rivières comtoises. Des résultats très attendus car les élus, les services de l’Etat et les collectivités devraient s’appuyer sur ces résultats pour décider de leurs nouvelles actions en faveur des rivières. Le plus intéressant sera de savoir quels seront les seuils retenus. Des seuils qui pourraient déterminer, par exemple, les quantités de phosphates et de nitrates que la bassin versant est capable d’ingérer sans porter préjudice aux rivières. En clair, parvenir à avoir sur son territoire des  rivières en bon état écologique tout en développant des activités économiques de façon équilibrée comme le dit la directive-cadre sur l’eau. C’est le réglage de ce curseur qui est le plus délicat. 2015 est bel et bien une année stratégique pour les rivières de Franche-Comté.

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius@francetv.fr