12 Jan

Que sont devenues les plaintes après les épandages illégaux de Cour-Saint-Maurice et Vaufrey ?

Une action passible d'une contravention selon la loi sur l'eau.

Une action passible d’une contravention selon la loi sur l’eau.

Souvenez-vous, c’était en février dernier. Les affaires avaient fait grand bruit. Deux déversements sauvages de lisiers avaient provoqué l’indignation et la révolte des défenseurs des rivières. A Cour-Saint-Maurice, quelques centaines de mètres au-dessus du Dessoubre, un agriculteur avait été pris en flagrant délit de déversement illégal de lisier. Les photos avaient fait le tour des réseaux sociaux. L’agriculteur avait plaidé une erreur humaine. Quelques jours plus tard, à Vaufrey,  sur le bassin versant du Doubs franco-suisse, un agriculteur suisse  avait vidé sa fosse à lisier dans un champ situé sur France.

Le conseil général du Doubs et la fédération de pêche du Doubs ont porté plainte auprès du TGI de Montbéliard. Dix mois plus tard, que sont devenues ses plaintes ? 

La fédération de pêche du Doubs m’assure n’avoir reçu aucune nouvelle de la justice depuis le dépôt de plainte des deux dossiers. Contactée par téléphone, le substitut du procureur du tribunal de Grande Instance de Montbéliard, chargée des dossiers environnementaux,  m’a précisé qu’il y avait eu un accord entre la justice et l’agriculteur de Cour Saint Maurice afin de trouver une solution alternative aux poursuites. Les plaignants n’ont pas été informés de cette décision.
Pour Vaufrey, le magistrat est, pour l’instant, dans l’impossibilité de me donner des informations. Le conseil général du Doubs précise avoir envoyé en décembre dernier un courrier au procureur de la République confirmant le souhait du Département de se constituer partie civile en cas de poursuites.

Les récentes photos d’épandage prise en décembre dernier dans le Haut-Doubs et les réactions qu’elles ont entraîné m’ont incité à chercher à savoir si, effectivement le dépôt de plainte était une action utile pour éviter que, chaque année, des épandages soient pratiquer alors que la végétation n’en a pas besoin à ce moment-là.

Epandage du 18 décembre 2014

Epandage du 18 décembre 2014

Le 22 décembre dernier, le collectif  Loue et SOS rivières comtoises, dénonçait une fois de plus la pratique d’épandage en période hivernale et ses conséquences sur les truites :

 « On constate en effet depuis le 15 décembre des mortalités de truites sur les frayères du Doubs Franco-Suisse et du Dessoubre. Ces mortalités précoces sont dues à des épandages tardifs de lisier pendant une période où la végétation ne peut rien absorber. Ces épandages sur des sols gorgés d’eau et en période de forte pluviosité apportent directement les effluents toxiques  pour les poissons en pleine période de reproduction depuis les  élevages  vers nos rivières  par le ruissellement superficiel et souterrain  karstique . Et de là  parfois  jusqu’à nos robinets d’eau « potable » et  alors  avec quel impact sur la santé publique ?

Il faut reconnaître que M. Prieur, Président de la Chambre d’Agriculture, a déclaré publiquement à plusieurs reprises que les épandages ne pouvaient pas être pratiqués pendant les périodes de repos végétatif. Novembre, décembre, nous y sommes.
Loin de vouloir jeter le discrédit sur l’ensemble d’une profession, nous entendons dénoncer fermement les agissements de ceux qui épandent à contretemps, ne se souciant que de convenances personnelles et se moquant éperdument des conséquences de leurs actes pour l’environnement et la santé publique. Ces irresponsables portent à la fois atteinte à l’environnement, à l’eau reconnue comme patrimoine national et à l’image de ceux de leurs collègues qui s’orientent progressivement vers des pratiques plus compatibles avec un développement durable.
Quand le législateur et les responsables de l’Administration auront-ils le courage de transformer en dispositions réglementaires contraignantes ce qui n’est actuellement que recommandations de bon sens insuffisamment respectées ? »

Deux jours plus tard, préfecture du Doubs et conseil général du Doubs réagissaient ensemble en publiant à leur tour un communiqué dont voici l’essentiel :

 « Depuis début décembre et compte tenu de la sensibilité de la période à venir (période de frai), l’office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA) et la fédération départementale de pêche du Doubs, dans leur rôle de sentinelles, ont réactivé le protocole d’observations des rivières comtoises. Ce suivi permet de quantifier les mortalités piscicoles et d’évaluer l’ampleur du phénomène. Au 16 décembre 2014, 7 mortalités de truites ont ainsi été observées (1sur le Dessoubre, 1 sur la Loue, 5 sur le Doubs franco-suisse). Pour autant, eu égard aux causes multifactorielles intervenant dans les phénomènes de mortalités piscicoles, le lien direct entre les épandages dénoncés par le collectif SOS Loue et rivières comtoises et les mortalités constatées ne peut être établi à ce stade.
Pour ce qui concerne plus spécifiquement le volet agricole, il faut rappeler que l’année 2014 a conduit à un renforcement substantiel de la réglementation applicable aux plus petites exploitations. Que ce soit en termes de capacités de stockage au plus tard en 2020 ou s’agissant des conditions techniques d’épandage, les règles applicables à ces exploitations sont désormais analogues à celles concernant les plus importantes qui relèvent du régime des installations classées de l’environnement.
La chambre d’agriculture interdépartementale, au travers d’un travail important de sensibilisation et de pédagogie auprès des exploitants sur le volet gestion des effluents d’élevage, vise une appropriation par tous les agriculteurs des pratiques d’épandage les plus respectueuses de l’environnement.
A l’instar de ce qui a été réalisé en 2014, les services de l’État reconduiront, en 2015, un plan de surveillance et de contrôle multi-services et multi-thématiques ciblé entre autres sur les territoires à enjeux du département (milieu karstique et zones touchées par les mortalités piscicoles). Ils s’attacheront en outre à traiter dans les meilleurs délais les signalements dont ils auront connaissance. Si à ces occasions des infractions par rapport au respect de la réglementation et/ou des pollutions du milieu devaient être constatées, l’ensemble des poursuites prévues par les textes, qu’elles soient administratives ou pénales, seront engagées. »

 

C’est dans ce communiqué que le conseil général précisait qu’ « en cas d’action négligente ou interdite conduisant à des mortalités piscicoles qui jette en outre le discrédit sur l’ensemble de la profession agricole et remet en cause l’action de la collectivité départementale en faveur de la préservation de la qualité des eaux sur notre territoire, le Département, comme à chaque fois, portera plainte et se constituera partie civile faisant valoir un préjudice écologique envers son territoire (article L 142-4 du code de l’environnement). »

 Balle au centre.. Chacun joue son rôle. Le collectif dénonce, le conseil général du Doubs et l’Etat rappellent leurs engagements pour lutter contre la pollution. Quant au représentant des agriculteurs, Daniel Prieur, joint par téléphone en décembre dernier, il m’a précisé ne pas vouloir réagir « pour entretenir quelque polémique ».

Bref, si je me réfère aux affaires de Cour-Saint-Maurice et Vaufrey, j’ai comme l’impression que la menace des poursuites judiciaires n’est pas forcément  dissuasive. C’est sans doute le cas pour les épandages mais pas pour tous les dossiers. En Franche-Comté, la Commission de protection des eaux a en cours 400 affaires d’atteinte à l’environnement au sens large ( pas seulement les rivières) . Une vigilance qui porte ses fruits dissuasifs quand les contrevenants doivent mettre la main au porte-monnaie.

Pour les magistrats, ces dossiers de pollutions des rivières ne sont pas simples. Contrairement aux cas de Cour-Saint-Maurice et Vaufrey,  les enquêteurs ont généralement du mal à remonter aux origines des pollutions.

Truite amaigrie, photo prise le 18 décembre 2015.

Truite amaigrie, photo prise le 18 décembre 2015.

Mais pour les collectifs SOS Loue et rivières comtoises et SOS Doubs-Dessoubre,

« S’il n’y a effectivement pas de preuve scientifique de lien entre les lisiers et les mortalités, l’absence de preuve ne constitue pas la preuve de l’absence de lien. En conséquence les deux collectifs demandent que la question des lisiers, en excédents structurels sur les plateaux, soit étudiée en profondeur dans les travaux scientifiques en cours sur un bassin test. »

C’est ce qui devrait être entrepris dans le cadre du contrat de territoire qui doit être mis en place qui vient d’être adopté. Une des actions s’intitule « Mieux gérer le stockage et l’épandage des effluents d’élevage ». D’ici 2019 dans le Doubs, 100% des élevages devront avoir des capacités de stockage suffisantes avec plans d’épandage et carte de sensibilités mises en place. Il est aussi question de développer les opérations pilotes pour la maîtrise des effluents avec poursuite du programme de recherche sur le bassin versant test de Plaisir Fontaine.

Et, lors de la dernière réunion de la Commission Locale de l’Eau, Le comité interprofessionnel du Gruyère de Comté a évoqué une incitation à la mise en place de plans d’épandage individuels.

La limitation des apports en azote et en phosphore dans les rivières comtoises est l’une des priorités retenues pour améliorer la qualité de l’eau, c’est aussi l’une des plus délicates.

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius@francetv.fr

VOS COMMENTAIRES :

« Nous avons porté plainte auprès du Procureur de la République de Montbéliard pour les deux affaires que vous évoquez. A ce jour nous n’avons aucune réponse ni information sur nos plaintes malgré nos relances téléphoniques ou écrites.
Quelques semaines auparavant nous avions déposé plainte contre le Maire de Belleherbe dont la STEP polluait gaillardement un ruisseau qui rejoignait le Dessoubre. Plainte déposée en gendarmerie avec constat et photos sur place de deux gendarmes. Hélas, , le Procureur nous a indiquer qu’il la classait sans suite… »
Gérard Mougin
Président de l’AAPPMA Les Deux Vallées (Dessoubre)