08 Avr

Dessoubre : l’alerte avait été donnée dès 1988

A quelques jours des nouvelles assises de la Loue et des rivières comtoises, rembobinons le film pour comprendre les enjeux d’aujourd’hui.

C’était au printemps 1988… Le rapport avait fait grand bruit à l’époque. Michaël Prochazka travaillait pour l’ancêtre de l’ONEMA, le conseil supérieur de la pêche. Avec la fédération départementale de la pêche du Doubs, ils avaient voulu alerter les pouvoirs publics de l’époque sur les sources de pollution des eaux du Dessoubre repérées sur l’ensemble de son bassin versant. Sur le terrain, ils avaient constaté que la qualité des eaux se dégradait, alors ils ont entrepris ce travail long et minutieux en espérant une rapide prise de conscience… De son côté, la commission de protection des eaux, très présente sur le terrain, continuait également son combat pour tenter de sauver le Dessoubre, avec si nécessaire des actions en justice.

26 ans plus tard, les truites et les ombres du Dessoubre sont atteints de saprolegnia, signe du mauvais état de la rivière. Le cri d’alarme n’a pas été pris toujours au sérieux et surtout à temps. Et pourtant, 19 millions d’euros ont été dépensé entre 2007 et 2013 pour la mise en conformité des STEP du bassin versant du Dessoubre.  Lundi 31 mars,  le dossier Dessoubre et l’état de santé des poissons étaient à l’ordre du jour de la réunion du groupe scientifique de la conférence départementale de la Loue et des rivières comtoises. Et aucun acteur local ne pourra dire «Ah, si on avait su…»

La couverture du dossier de 1988 sur l'état du Dessoubre

La couverture du dossier de 1988 sur l’état du Dessoubre

Le dossier est tapé à la machine et les photos collés à la main. Pas d’ordinateur, pas  de fichiers envoyés en un clic de souris. Qu’importe le temps passé à confectionner ce précieux rapport à destination des élus et des décideurs de l’époque, ces auteurs avaient la conviction d’être utiles :

 «Nous nous trouvons donc en présence d’une situation plus que préoccupante qui ne peut, si rien n’est fait pour rapidement pour l’améliorer, qu’être à l’origine d’un nombre croissant d’incidents sanitaires ou écologiques, lesquels pourraient rapidement prendre un caractère catastrophique. (…) Plus personnes ne peut aujourd’hui prétendre ignorer la gravité de la situation et les risques encourus par la collectivité. Des moyens techniques et financiers doivent donc être impérativement mis en oeuvre pour inverser, tant que cela est encore possible, le processus de dégradation actuel, encore aggravé par les étiages de plus en plus sévères et réguliers que connaît la région»

 Pour chaque commune du bassin versant, 60 au total, une fiche était dressée avec la description des installations d’assainissement, des activités agricoles (élevages,fromageries et porcheries) , d’artisanat et d’industrie.

 Prenons l’exemple de Belleherbe, une  situation particulièrement bien suivie par les bénévoles de la commission de protection des eaux. Au fil des ans, des progrès ont été réalisés mais il a fallu être patient. L’assainissement est une question complexe et coûteuse.

 C’est à peine croyable mais à la fin des années 70, l’eau du robinet des habitants était puisée dans une source polluée par les eaux usées du village. Un circuit fermé à l’origine de nombreuses épidémies d’hépatite virale ou de gastro-entérite. Vous pouvez lire tous les épisodes de cette histoire édifiante sur le site de la commission de protection des eaux. Autre fait surprenant qui, là, est partagé par de nombreuses autres communes. Les délais très long pour la réalisation des travaux. «L’ancienne «station d’épuration» de Bellherbe a pollué jusqu’en 2008 !» précise la CPEPESC. Malgré plusieurs actions en justice, les travaux n’ont été réalisés que tardivement. La DDT du Doubs a même pris un arrêté de mise en demeure il y a un an, le 13 mars 2013, à propos de la mise en conformité des eaux usées et pluviales, des travaux sont toujours en cours.

Pourquoi ces mises aux normes prennent tant de temps alors qu’il s’agit d’une question de santé publique et de préservation du milieu naturel ? D’autant plus, que la pêche est une activité économique importante pour la vallée du Dessoubre. Pour preuve, des commerçants et des restaurateurs ont rejoint le tout nouveau collectif  Doubs/Dessoubre. Lors de sa première réunion le 25 mars dernier, le collectif a créé un groupe de travail pour traiter les « points noirs » locaux. Et contrairement aux commerçants des environs de Goumois qui auraient été plus réticents pour participer à la manifestation de mai 2011, ceux de Saint Hippolyte vont se mobiliser pour faire de la manifestation du 17 mai un vrai cri d’alarme à la fois environnementale et économique. « C’est l’intérêt d’une vallée qui est en jeu » précise Christian Triboulet, au nom du collectif Doubs/Dessoubre. Un intérêt qui peut-être freiné, comme nous allons le voir, pour des raisons économiques…

L’exemple de Belleherbe peut continuer de nous éclairer. Joint par téléphone, le maire de Belleherbe, Philippe Franchini, nous a expliqué les raisons de cette lenteur. Effectivement, la station d’épuration, inaugurée en 2008, a beau fonctionner normalement, il y a toujours des rejets nauséabonds dans la nature… En fait, toutes les maisons du village ne sont pas encore raccordées et cela prend du temps. La commune réalise des travaux mais, après, c’est aux habitants de faire en sorte que leur habitation soit reliée au système collectif. Et ce n’est pas toujours le cas. La municipalité a du accorder un délai supplémentaire de six mois pour une vingtaine de maisons qui n’étaient toujours pas raccordées. A Belleherbe, le coût pourrait varier, selon le maire, de mille à quatre mille euros.

Cette fois-ci, les travaux devront être réalisés avant le 30 juin prochain sous peine de pénalités financières. Restera encore une douzaine de maisons à faire leur raccordement dans les … deux ans à venir. D’après le maire, ce sont ces non-raccordements qui seraient à l’origine des pollutions encore constatées ces derniers temps. Philippe Franchini est formel, si les mises aux normes sont si longues à obtenir, c’est uniquement pour des raisons financières et non d’un désintérêt pour les enjeux environnementaux. Quant à la commune, il aura fallu patienter six ans entre la décision de construire une nouvelle station d’épuration et son inauguration. Six ans, pour les études préalables, les appels d’offres, les montages financiers, les travaux… Pendant ce temps là, la qualité des eaux du Dessoubre pourvait continuer à se dégrader…

Et pourtant, les budgets sont là. Pour financer les 1 420 478 euros HT  nécessaires à la construction de la STEP, Belleherbe et la muncipalité voisine de Charmoille ( reliée à la même STEP) ont été aidées par le conseil général du Doubs (41%) et l’Agence de l’eau (37%). Restaient donc à la charges des deux communes, de la fromagerie et de la station d’eau les 22% restants.

Chaque année, le conseil général du Doubs consacre 7 à 8 millions d’euros de son budget pour les aides financières aux communes du Doubs en matière d’assainissement. Environ 19 millions d’euros ont été dépensés entre 2007 et 2013 pour la mise en conformité des communes du bassin versant du Dessoubre ( études, travaux et suivis pour les STEP, réseaux et les fromageries). L’agence de l’eau y a participé à hauteur de près de 6 millions d’euros. Selon l’Agence de l’eau, il reste encore quelques problèmes en particulier sur les réseaux avec des non-raccordements et la situation n’est pas satisfaisante au moment des fortes pluies, il y a encore des débordements en milieu naturel faute de construction de bassins d’orages.

«On ne subit pas l’avenir, on le fait» Cette phrase de Georges Bernanos était en exergue du dossier sur les recherches des sources de pollution du Dessoubre de 1988. Elle est toujours d’actualité et pourrait être la devise des Assises de la Loue et des rivières comtoises

 Isabelle brunnarius

isabelle.brunnarius@francetv.fr

 Pour information voici le point sur plusieurs bourgs et villages du bassin versant du Dessoubre. Un travail établi grâce aux informations fournies par le conseil général du Doubs et la CPEPESC : 

BONNETAGE : mise en service en 2008, arrêté de mise en demeure du 13 mars 2013 concernant la mise en conformité de la collecte des eaux usées et pluviales. Des travaux sont en cours.

CERNAY L’EGLISE : le village est relié à la STEP intercommunale de Maîche ( Maîche, Cernay L’Eglise, Belfays, Ferrières le lac et Damprichard)

CHARMOILLE : Il aura fallu trois ans pour que les égoûts de cette commune soit raccordés à la STEP de Belleherbe. C’est fait depuis le 28 avril 2011. Tout est détaillé sur le site de la CPEPESC

CHAMESEY : Suite à une mise en demeure du 11 mai 2011, une nouvelle STEP est en place depuis l’automne 2013. Des détails sur le site de la CPEPESC

CHARQUEMONT : Une STEP a été mise en place en 2007.

DAMPRICHARD : la commune est reliée à la STEP intercommunale de Maîche.

LES ECORCES : d’après la CPEPESC, les capacités d’épuration de la STEP sont dépassées. L’association est préoccupée par un rejet d’eau mousseuse d’origine industrielle via le réseau pluvial de la commune.

PIERREFONTAINE LES VARANS :  La STEP existante date de 1976, sa réhabilitation a fait l’objet d’un appel d’offre en 2011 et des travaux sont en cours. Lors de sa visite en février dernier, la CPEPESC précise que « le point de rejet de la STEP ravine une ancienne décharge publique qui demanderait à être nettoyée ».

ORCHAMP VENNES : la STEP actuelle a été mise en service en 1977. Aujourd’hui la population compte 600 habitants de plus qu’en 1977 soit 1300 habitants précise la CPEPESC. D’où son interrogation sur « la capacité actuelle et réelle du système d’assainissement dont le rejet souterrain se situe en tête de bassin du Dessoubre ».

MAICHE : la STEP intercommunale a été mise en service en 2008 pour un budget de plus de 4 millions d’euros.

LES BRESEUX : la STEP intercommunale a été mise en service en 1978

LORAY : une nouvelle STEP a été mis en place en 2011 à la suite de la mise en demeure du 28 juillet 2010

LONGECHAUX : la STEP a été mis en place en 1970. La CPEPESC a relevé des problèmes d’entretien

GRANDFONTAINE SUR CREUSE : la STEP a été mise en place en 2003

PLAMBOIS DU MIROIR : la STEP a été mise en place en 2010, les rejets sont à revoir selon la CPEPESC

ROSUREUX : les rejets du village débouchent tout droit dans le Dessoubre.  La commune a opté pour l’assainissement individuels : ces rejets polluants illégaux doivent donc disparaitre.  La CPEPESC sera particulièrement vigilante en 2014.

FRAMBOUHANS : C’est une STEP intercommunale. Les égouts de Frambouhans sont reliés à une STEP située aux Fontenelles, elle a été mise en service en 1995 pour traiter les effluents des deux communes. La CPEPESC, est intervenue à plusieurs reprises « au sujet d’une station de relevage des égouts qui débordait par un trop plein dans une doline-perte ». Le problème aurait été apparemment résolu en décembre 2013. L’agence de l’eau a financé une mise en séparatif des réseaux.

AVOUDREY : La STEP est ancienne. La CPEPESC se dit vigilante car elles s’interroge sur « l’éventuel dépassement de ses capacités épuratoires. »
MONTANDON : Une nouvelle STEP devrait être mise en service cette année. La commune avait reçu une mise en demeure pour mettre en conformité son traitement des eaux usées avant le 30 juin 2014.

LONGEVELLE LES RUSSEY : l’assainissement est non collectif d’après le conseil général du Doubs.

LE BELIEU : le village est relié à la STEP de Morteau

 VOS COMMENTAIRES ( ENVOYEZ-LES MOI PAR MAIL, CELA EST PLUS PRATIQUE !)

Bonjour,
Il faut se rendre à l’évidence, le travail sur le terrain et un gage de réussite qui se réalise à long terme et qui fera référence dans le temps. Ce travail est bien plus efficace que de longs discours, qui en règle générale ne mènent à pas grand-chose. 
On ne peut que déplorer qu’il faille systématiquement mettre l’appareil judiciaire en marche  pour avoir des résultats concrets sur les points noirs, pourtant dénoncés depuis si longtemps.
De même, il est particulièrement regrettable que l’être humain ne soit pas suffisamment adulte et responsable pour comprendre qu’il creuse lui-même sa tombe.
Dommage, enfin, qu’il faille attendre que sur certains terrains de jeu tels, que celui de la pêche, soient en danger pour que les adhérents pratiquant ce sport s’aperçoivent subitement  que la pollution est tellement présente qu’elle les empêche de pratiquer leur hobby !
Aujourd’hui, on brasse du vent autour de ces pollutions, qu’en restera-t-il demain ? Quelques lignes dans les journaux  ….
– Pourtant, depuis combien années cet impact sur les rivières est vérifié  problème récurant dénoncé par certaines associations de protection de l’environnement, et autres gardes pêche’? Quelle soit d’origine agricole, forestière ou domestique 
– Combien de dossiers sont allés jusqu’au contentieux, les uns derrières les autres, pour permettre l’élimination de ces points noirs ?
– De même, que font les consommateurs d’environnement  (aussi appelés les cueilleurs chasseurs pécheurs) pendant ce temps ?
-Aujourd’hui ils, ces derniers crient au loup, mais se sont-ils vraiment impliqués pour empêcher ce désastre écologique et sanitaire?
-Pourquoi nos élus ont-ils fermé les yeux  sur cette situation? D’ailleurs, les ont-ils réellement ouverts à présent, ou font-ils simplement semblant de les ouvrir ?Car au travers de ces questions, on peut se demander si la récente prise de conscience de nos élus locaux n’est due qu’à un enjeu électoraliste.
Jusqu’à quand devrons-nous regarder, impuissants et démunis, nos rivières devenir de véritables égouts à ciel ouvert ?
Pourquoi tant de questions subsistent et restent encore et toujours en suspend ? C’est cette question principale qui se pose aujourd’hui et qui doit enfin trouver une réponse.
En conclusion, malgré la volonté d’une poigné de défenseurs de cet environnement qui nous est si cher, le combat reste inégal devant le laxisme général. Il est temps d’agir en masse, et de ne plus simplement rester à l’état de discours revendicateur. Des mesures doivent être prises et concrètement réalisées, sans quoi la situation deviendra irréversible, et donc, par là-même, catastrophique pour nos enfants ou petit enfants.
Charlie automne

 

 

 

Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre, encore que la vivre ce soit encore la rêverProust Marcel