28 Juil

Toro Va ! Le torero à cheval

Il s’appelle Gabin Réhabi. C’est un des meilleurs picadors français à l’heure actuelle. Il est originaire d’Arles, et était hier à Beaucaire, pour piquer la corrida du Curé de Valverde.

Sur son compte twitter, on peut lire cette devise tomasiste : « Vivir sin torear no es vivir »…

24 Juil

Chiasme (mon oeil !)

Juan José Padilla à Mont-de-Marsan

Dans les années soixante-dix, on en aurait certainement pondu quelques pages savantes dans une revue de Sciences Humaines. On aurait intitulé ça :

« Volonté de spectacle et spectacle de la volonté« ,

et on aurait glosé à l’infini sur le « Paradoxe Padilla »…

Soyons honnêtes : tout ça n’aurait jamais dû se produire. Il y a deux ans, Juan José Padilla, sympathique torero spectaculaire de la fin des années 2000, se dirigeait tout tranquillement vers une retraite moyenne, comme la carrière qu’il déroulait depuis l’année 1994, au cours de laquelle il prit l’alternative.

Mais le 7 octobre 2011, dans les arènes de Saragosse, un toro de Ana Romero vint trancher, de la pire des manières, dans la chair biographique cousue d’avance. Padilla trébuche au moment de la pose d’une paire de banderilles, et reçoit un coup de corne dans le visage : traumatisme facial sévère, lésions auditives et du maxillaire irréversibles, perte de l’œil gauche… Les choses basculent. Et la presse raconte à l’infini cette carrière interrompue.

Mais à voir réécrire ainsi, sous le seul œil qui lui reste, la fin de son histoire, Padilla décide qu’il tiendra lui-même la plume. Et la muleta. Car démentant toutes les prévisions, il annonce à sa sortie de l’hôpital qu’il reviendra dans les arènes la saison suivante. Hochements de têtes. Mais bien sûr : après tout, il a bien droit à sa tournée d’adieux, comme un compagnon de la chanson borgne.

L’histoire taurine, qui a la mémoire longue, célèbre plusieurs borgnes, souvent pour leur courage, jamais pour leur longévité dans l’arène. Ainsi Manuel Domínguez Campos « Desperdicios », premier borgne de la tauromachie, l’œil droit énucléé par le toro Barrabas, le 1er juin 1857 dans les arènes du Puerto de Santa Maria : après la cornada, Domínguez s’arracha lui même le globe oculaire, pendant et inutile, avant de rejoindre à pied l’infirmerie. Cinquante trois jours après, le maestro « Desperdicios », borgne, reprenait l’épée…

Mais de Lucio Sandin à Luis de Pauloba, on sait que les toreros d’un seul œil ne font jamais long feu dans une arène…

En mars 2012, pour la feria d’Olivenza, la première de la saison, Juan José Padilla fait donc le paseo, un bandeau noir à l’ancienne posé sur l’œil. Pour cette première corrida, comme pour celles qui suivent, les gens viennent d’abord saluer le courage insensé de  celui qui ne se rend pas. Qui, bandeau de pirate sur l’oeil, refuse la fatalité. D’ailleurs, cette histoire de pirate, c’est pas si mal : pourquoi est-ce qu’on ne creuserait pas l’idée ? Après tout, il s’agit, ici aussi, plus ou moins, de marketing et de désir du public. Va pour le pirate. Spontanément, les peñas s’emparent de la mise en icône, et les drapeaux de circonstance – tête de mort blanche sur fond noir – fleurissent dans les gradins, surgissent en marées houleuses à chaque vuelta. Et puis pourquoi ne pas garder ce bandeau, alors que la chirurgie esthétique vous refait un visage et un œil comme si de rien n’était ?…

Résultat des courses à la fin 2012 : Soixante et onze corridas toréées en France, en Espagne et aux Amériques : beaucoup plus que dans n’importe lesquelles des dix sept saisons qui précédèrent celle-ci !

Car petit à petit, le projet a prit forme : vendre, avec Padilla et sa tauromachie joyeuse, violente, populaire, l’image de l’infini courage, et du spectacle de son engagement. Il faut certes plus que du courage pour continuer à toréer, comme si de rien n’était – banderilles incluses – à toréer « comme avant », comme quand on avait deux yeux pour voir venir le danger – cornes incluses… Jusqu’à la blessure, c’était la volonté de Juan José Padilla de donner du spectacle, qui s’organisait dans ses apparitions. Désormais, c’est le spectacle de cette volonté que l’on met en scène.

Ainsi, quelque chose s’est installé, impeccablement, avec la dose de cynisme dont les taurins sont aussi capables, et que l’on prit plaisir à observer la semaine dernière à Mont-de-Marsan, où Padilla triompha vraiment devant un bon toro de Joselito.
Un triomphe de plus dans cette étrange marche glorieuse qui, depuis sa terrible blessure, fait de Padilla un homme riche et adulé. Dans le callejon, le maigre Diego Robles, qui veille sur sa carrière, ne dit, dans un sourire forcé, pas autre chose :

« Dans notre malheur, le pire c’est que ça ne nous soit pas arrivé trois ans plus tôt »…

19 Juil

callejon

Le callejon est, dans une arène, l’endroit où se réunissent les professionnels indispensables au bon déroulement de la corrida. (Mont de Marsan, jeudi 18 juillet 2013)

18 Juil

Toro va !… Les larmes aux yeux

On le sait, le mot irrationnel est un de ceux qui s’appliquent le mieux à cet étrange monde des toros. Est irrationnel ce qui est en dehors de la raison, comme par exemple s’habiller en lampion avec des bas roses pour affronter un toro de cinq cent kilos. Ou certaines superstitions, qui ne s’expliquent pas.

Mercredi matin à Mont de Marsan, lors du tirage au sort de la corrida de Fuente Ymbro, les cuadrillas unanimes mirent tout de suite de côté un des toros : « Non, celui-là, non. On le garde comme remplaçant, mais il n’est pas dans les six de départ… » Dans ces cas-là, inutile d’aller savoir pourquoi…

Or, ce paria, ce recalé du matin, il a bien fallu que le Juli le torée, en remplacement du quatrième, qui s’était à moitié tué en tapant contre le montant d’un burladero. Le toro est donc finalement sorti, plutôt bien, magnifique de tête, de corps, de présence, et il a même laissé une de ses oreilles dans la besace du madrilène… Aussi a-t-on cherché à savoir pourquoi le matin les cuadrillas n’avaient pas voulu de lui. Et la réponse du callejon est venue, simple, désarmante :

« Il avait les larmes aux yeux !… »

16 Juil

La route des autres

Un balcon à Pamplona

Chaque année, c’est la même chose : on quitte la maison endormie à la petite aube, et on attrape l’autoroute en se faufilant entre les caravanes bataves qui débordent de vélos. On essaye d’imaginer leur destination, leurs jours futurs : à leur tête, on voit s’ils en reviennent, ou s’ils y partent… C’est la question que m’a posé, mercredi soir, la pompiste de Biriatou. Je lui tendais ma carte Total en me répétant à voix basse, comme un mantra, le kilométrage de la voiture de France 3 que la machine allait exiger, lorsqu’elle m’a demandé en souriant : « Vous y allez, ou vous en revenez ?… » Moi, désespéré parce que je savais déjà qu’elle m’avait fait oublier mon kilométrage : « Pardon ? » Elle, avec un mouvement de menton vers mon cou : « Je dis, vous y aller, ou vous en revenez ?… » Je comprends qu’elle montre le foulard rouge à mon cou que j’ai oublié d’enlever en partant de Pampelune une heure plus tôt : je suis donc en uniforme de San Fermin, et elle veut savoir si j’y étais, ou si je m’y rends… Ainsi sur cette route neutre qui va d’une arène à l’autre, cette route qui ne nous appartient pas, à nous autres aficionados, on croise parfois les signes de notre monde secret. Vers Toulouse, l’an dernier, sur une aire de l’autoroute, j’avais remarqué une petite bande de jeunes espagnols sympathiques et chahuteurs qui blaguaient à propos de la nourriture sous plastique… En sortant sur le parking, je suis tombé sur la camionnette de Fernando Robleño, et j’ai tout de suite compris que je venais d’en croiser la cuadrilla, comme moi entre deux arènes (ne jamais quand même oublier qu’on n’y prend pas, eux et moi, les mêmes risques…). Je suis rentré dans la station service et je les ai recherché entre les machines à café et les stands de DVD. Quand je leur ai demandé où ils allaient toréer, quelque chose de joyeux et de fraternel nous a tout de suite réuni au milieu des vacanciers, en plein coeur de ce monde étranger. On s’était reconnu. Tout ça a duré quelques minutes précieuses et, chacun de notre côté, nous sommes repartis vers nos horizons, presque en apnée. Car la route des toros est aussi la route des autres…

Jean-Michel Mariou