21 Juin

Ponce et les narquois

Ponce smocking Istres 2016Dès qu’il fut annoncé, le solo de Ponce à Istres a été critiqué. Plus la date approchait, plus les aficionados « sérieux » comme moi s’installaient confortablement dans leur  rejet. On n’allait tout de même pas traverser la Crau un dimanche de juin pour ce truc là. Ponce tout seul avec six toros probablement minuscules! Et le ténor (à moins que ce ne soit un baryton), et le répertoire néo-classique joué par l’orchestre, et les arènes décorées, et cette affiche kitchissime où l’on voit le torero en smoking! Et puis quoi encore!

La plupart de mes collègues d’arènes, comme moi, sont restés chez eux ou sont allés faire une pétanque. Certains des media taurins que je lis avec le plus d’intérêt ne faisaient que renforcer ce préjugé.

Dans Toros 2000, Patrick Beuglot, comme souvent, jouait les Cassandre:

Autant on pourra apprécier « une saeta » qui éclate, un jour de faenon, au Puerto Santa Maria, et encore à une condition: Que le tout ne soit pas prévu d’avance, comme on l’a vu, avec Padilla, l’an dernier… autant on refusera d’un bloc l’orchestre symphonique, les morceaux classiques si lointains du pasodoble torero, bref, le mélange des cultures et des genres… Au moment où tout le monde taurin proteste de la défense de « la Tradition taurine », il semble paradoxal de voir une affiche torera, avec un beau monsieur, vêtu de smoking, entouré de notes de musique et, presque « accessoirement » des têtes de six toros… Ponce est ici fort décevant et prête le flanc a ceux qui ont toujours voulu sa perte, ou nié en bloc ses mérites toreros. 

Dans Campos y Ruedos, Frédéric Bartholin, comme toujours, faisait son narquois:

« Symphonie de Ponce en 6 actes » (actes, sic !) et pour l’événement, la réalisation d’une affiche à faire blondir d’envie un Richard Clayderman qui en a vus d’autres : Henri de Valence, noeud pap’ et veste de smoking en véééélllouuuurs liserée de satin noir et pantalon noir pas tout à fait raccord mais assorti à l’implant brun-mat, la pochette bicolore et le sourcil droit légèrement arqué genre « ben quoi qu’est-ce qu’y a ?! » tel un subtil hommage à Elvis Golden Records volume 2 mais le rictus canaille en moins. Une merveille !

Non, définitivement non : pas question d’aller à Istres. D’ailleurs, mes collègues Michel et Zocato y seraient…

Après le cinquième toro, quand Zocato m’a téléphoné, j’ai d’abord cru qu’il ironisait encore. Mais au ton de sa voix, j’ai compris que j’avais raté un grand moment. Que j’avais rajouté nom à la liste de tous les imbéciles à qui on ne la fait pas. Je revois encore le type qui s’est levé après la corrida le vendredi de la feria de Pentecôte 83 à Nîmes avec ces mots : « eh ben moi, j’en ai marre, je m’en vais à Vic ». Le lendemain, nous découvrions Paco Ojeda… J’entends encore tous ceux qui, en mai 1989, ont préféré faire « n’importe quoi plutôt que se taper la mano à mano Mendes / Nimeño avec les Guardiola ».

Bon, j’en fait partie.

24 Avr

Macadam Toro, avril. Chapitre 4.

Samedi 23 avril 2016. Alcalá de los Henares, province de Madrid, hôtel AC, 10h05, 9°9.

Il y 400 ans jour pour jour mourait Miguel de Cervantes y Saavedra, l’auteur du célèbre « Don Quichotte de la Mancha ». Il était né ici à Alcalá, le 29 septembre 1547. Je suis photographié avec un gars sympa qui me dit être de la famille de Don Quichotte. Il n’y a aucune raison que je ne le crois pas.

Selfie pour collectionneurs. Zocato avec un prétendu descendant de Cervantés. Ou de Don Quichotte lui-même. Après tout, pourquoi pas?

Selfie pour collectionneurs. Zocato avec un prétendu descendant de Cervantés. Ou de Don Quichotte lui-même. Après tout, pourquoi pas?

Le surréalisme de ce tournage qui s’achève demain à Burgos, a atteint aujourd’hui son zénith.

Il n’est plus question de caniche albinos et hurlant, de patou en laisse, de toros au campo ou de lapins qui filent fissa. Nous avons quitté la faune pour la race des hommes et tout cela n’est pas très joli-joli. Explications, montre en main :

10 h10

Devant l’hôtel, le fourgon d’El Cid. Tiens, tiens, que fait-il-là vu qu’il n’est pas au cartel ? On apprend qu’il remplace Rafaelillo.

11 h 05 guichets des arènes.

Je récupère les accréditations. Je jette un coup d’œil dans le bureau, la pancarte annonçant la substitution traîne sur la table…

11 h 45 

Interview contre la barrera de Victorino Martin sur « Cobradiezmos », son toro gracié à Séville. Il est ému, se rappelle de sa vuelta avec Manuel Escribano, confirme qu’il ne sera jamais à vendre mais que dans quelques temps, il enverra des « paillettes » à ses amis ganaderos mexicains pour rafraichir leurs lignées.

12 h 30 

Montée sur les corrals pour assister au sorteo. Ambiance bizarre. Tout le monde semble en « statu quo ». Les pros parlent entre leurs lèvres, il se murmure que l’impresario doit des sous à Rafaelillo, d’où le bulletin médical. L’entourage d’Escribano et du Cid (peut-être aussi Victorino), veulent des garanties avant de toréer.

13 h 08

On profite de ce temps mort « financier » pour interroger face à la caméra, Félix, le mayoral de Victorino, Manuel Escribano et son père, toujours à propos de Séville. C’est en boite, mission accomplie, on était d’abord venu pour cela et ceux-là, vu qu’on les reverra à Vic pour pentecôte.

13 h 37 

Agitation, sorteo, mises en box. Le différent boursier a semble-il-été résolu. Tiré du chapeau, non pas un lapin, mais un ami de l’impresario (un riche de l’immobilier local, nous dit-on) qui signe les « pagarés », les traites, afin de garantir le paiement tous les acteurs. On sait par expérience, ce qu’il en est des traites mais aussi des traîtres dans le toreo…Le père Escribano me raconte qu’il a neuf kilos de chèques sans provision dans son coffre de Gerena.

15 h 40 

Retour à l’hôtel après gamelle au resto sous les gradins. L’épaule d’agneau de lait dépasse l’assiette de 10 cm de chaque bord. Bon, à manger pour quatre affamés de Cro-Magnon. Ticket moyen, 20 euros. Recommandable à souhait. Si pas satisfait, remboursé.

16 h 17 

Ascenseur, 3ème étage, surréalisme à gogo. Dans le couloir, Manuel Escribano galope. Il essaie sa taleguilla version époque de Cervantès. Un boléro impossible plus « opérette du Chatelet » que torero. Un truc avec des épaulettes argentées du style de celles dorées de Gaston Ouvrard chantant : « j’ai la rate qui se dilate, j’ai le foie qu’est pas droit… ». Fou-rires général. Michel lui remet le DVD de notre tournage du golf à Salamanque, il y a deux ans. Manuel (handicap 7) est ravi. Cela déconne plein tube, on perçoit déjà que la corrida n’aura pas lieu.

Costumes à paillette, de style "goyesque" ou "cervantesque" : les toreros d'une manière ou d'une autre sont toujours déguisés

Costumes à paillette, de style « goyesque » ou « cervantesque » : les toreros d’une manière ou d’une autre sont toujours déguisés

17 h 30, patio de caballos

El Cid arrive avec un costard d’Arlequin vert pomme. Je me planque derrière l’ambulance pour ne pas m’esclaffer devant lui. Un à un, les peones franchissent la porte, tous de noir vêtus, costumes loués à Madrid, époque Cervantes. À David Saugar  Pirri , je demande s’il n’a pas trouvé une pièce en or dans une des poches. Je pose la même question à l’Alcalarreño, il me répond finement : « oui mais je l’ai déjà revendue ».

18 h 00

Les trois toreros tâtent le sable du bout de leurs mocassins. C’est cousu de fil blanc, combiné depuis le matin. La corrida « Cervantina » n’aura pas lieu, la location a été un désastre, à peine 1000 places vendues, un 10ème de plaza, à vue de nez prés de 80.000 euros à perdre.

18 h 42

Les toreros sont repartis. Quelques spectateurs ont sifflé. Peu en comparaison de ce hold-up. Ici, les gens sont gentils mais on ne les y reprendra plus, surtout qu’il a fait beau à l’heure du paseo et jusqu’à la nuit tombée. Si nous voulons bousiller notre passion, continuons ainsi à se moquer du peuple. Inutile de convoquer Brigitte Bardot, les phoques et les végans.

20 h 58

Les fourgons des toreros quittent l’hôtel. Le Cid rentre à Séville, Escribano part à Saragosse pour la corrida-concours où l’attend Rafaelillo qui va beaucoup mieux. Chechú reste chez lui à Alcala. C’était son unique contrat, il n’a pas eu droit à la parole.

Nous partons dîner. En laisse, passe un chien.

Macadam toro, Zocato

23 Avr

Macadam toro, avril. Chapitre 3

Vendredi 22 avril 2016, Soto Del Real, hotel Prado, 8h30. 9 degrés.

Je demande des nouvelles du caniche albinos. Le temps que la patronne me dise qu’il dort encore, apparaît un molosse Mâtin Espagnol de 87 kg, tenu en laisse par une frêle jeune fille. Le surréalisme se poursuit.

mayoral BI

Domingo, mayoral depuis 26 ans chez Baltasar Ibán!

 

09h30, arrivée chez Baltasar Iban en longeant un camping où s’entassent caravanes et petits chalets en bois. A gauche, sur le chemin de terre, trente vaches astifinas, deux lapins devant la voiture. Domingo, mayoral depuis 26 ans nous embarque sur le pick-up et un à un nous présente les sept toros de la première corrida de Vic-Fezensac 2016. Du beau monde au balcon…

13h30 : Colmenar Del Arroyo, 1532 habitants et un consensus dans le village : des dizaines de citations, de vers, de phrases poétiques écrites à la main sur les murs blancs des maisonnettes.

 

On déjeune à la casa Mariano où Michel a mangé l’avant-veille quand il est venu repérer la ganaderia des frères Quintas. A 15h00, « Goyo » le patron, nous rejoint pour le café et nous embarque (nouveau pick-up) vers ses champs, filmer le toro de la corrida-concours vicoise. Un tío… Sur ses trois fincas, 1500 bêtes de combat, trois lignées, Domecq, Santa Coloma et Martínez. Il vend des novilladas avec où sans picadors et des toros pour les encierros de rue, juteux négoce, à 5000 euros par frontal. En le quittant devant un café crème, « Goyo » nous avoue qu’il aurait aimé posséder les ascenseurs de la Tour Eiffel. De la France, il ne connait que Paris. Dix euros, quatre ascenseurs, 60 personnes par ascenseur, il a vite calculé le velours…

19h43, par la rocade M50, nous contournons Madrid pour parvenir à Alcala de Henares. Je somnole. Soudain, à cent mètres devant nous une garde civile nous fait signe de nous garer. Michel à franchi une ligne blanche pour éviter de bifurquer à droite vers Torrejón de Ardoz. Il n’est pas le seul, trois voitures attendent leurs P.V.

-C’est 100 euros d’amende. Papiers, permis de conduire, por favor ordonne la fliquette. Et-là, le surréalisme, mis de côté depuis le Patou matinal, revient plein galop. L’autre policier, la trentaine, ramène les papiers à Michel et nous dit texto à travers la portière : « Moi je suis aficionado, mordu de corrida. Je vais vous sortir un mouchoir blanc pour vous gracier ».

Eberlués on se regarde avec Michel. On lui dit où on ne lui dit pas ?

Ensemble, d’une même voix et quitte à le vexer nous lui répondons que pour la grâce, c’est le mouchoir orange. Il se tape le front : « bien-sûr, suis-je bête, c’est le « naranja » !

Après le Victorino de Séville, le second « indulto » en neuf jours, c’est pour Michel.

Macadam Toro,Zocato.

P.S. : Parole d’honneur, jamais, avant qu’il ne nous gracie nous n’avons évoqué notre métier taurin.

07 Mar

Cinq minutes avec Juan Leal

IMG-20160307-WA0001On peut me voir sur la photo blanc & noir de Maurice Berho. Je suis au fond de l’image, dans un coin de burladero, une minuscule caméra dans les paluches. Mais personne ne me voit. Ce qu’on regarde bien sûr, c’est Juan Leal : tout un torero en appui sur la pointe d’un pied.

Le jeune toro revendique sa puissance de tous ses naseaux. Plus ses cornes cognent le vide, plus ses sabots labourent le sol. Il fulmine tellement qu’on le croit disposé à foncer la tête la première dans le sable.

Juan Leal, ployé au dessus de lui, semble au contraire sur le point de prendre son envol. Cette muleta, pour l’instant, montre à la bête le chemin. Qui sait si un jour elle ne se transformera pas en aile?

Il fait un froid de gueux. Nous sommes dans les installations de la ganadería Tierra d’Oc à Cardet, dans le piémont cévenol. C’est un pur dimanche d’hiver. Les gens du club taurin de Rieumes ont fait le voyage depuis la région de Toulouse pour passer une journée taurine. Sévillanes, paella, discours. Plus tienta de deux vaches et lidia de trois novillos.

Les toreros invités?  Mehdi Savalli et Juan Leal. Le bétail de Tierra d’Oc vient tout droit de la prestigieuse ganadería Sánchez Arjona.

Les vaches sont faiblotes, mais elles coopèrent.

Les deux novillos de Mehdi sont des brutes incertaines. Mehdi est sapé comme un milord. Il les torée sans transpirer. Il part bientôt pour le Pérou, c’est là-bas qu’il a des contrats. Il ne reviendra en France qu’au mois d’août, son premier engagement est à Béziers.

Juan Leal s’est habillé comme un jeune gentleman qui se disposerait à passer une journée tranquille à la campagne. Son novillo est un sparring-partner de premier choix. Il a la fougue et la noblesse caractéristiques du sang Domecq.

Il y a peu de monde pour assister à ce corps à corps qui dure un peu plus de cinq minutes. Les gens de Rieumes, le ganadero Damien Donzala, les cuadrillas, moi.

C’est un spectacle poignant. Le toro charge comme si ça vie en dépendait. Juan Leal torée comme si la suite de sa carrière dépendait de ce moment. La semaine prochaine, il torée la première corrida espagnole de sa saison à Fitero, Navarre. En mai il confirmera l’alternative à Madrid.

Il tient du bout des doigts sa muleta grâce à quoi il prendra peut-être cette saison son envol. Moi, je m’accroche à ma petite caméra pour vous montrer ça.

 

18 Mai

Indispensable Curro Díaz

CurroSauf erreur ou omission, Curro Díaz n’est programmé en France que le 20 juin à La Brède, en compagnie de Juan Leal et de López Simón (si ce dernier est remis de ses blessures). Pour tout, dire, il n’est guère plus demandé en Espagne. Un seul contrat signé, le 15 août à Villarobledo, un patelin de 25000 habitants dans la province d’Albacete.

Puisqu’il n’est pas question de soupçonner les organisateurs d’ignorer le talent de ce torero, on est  en droit de se demander quel aveuglement ou quelle combine peut bien être la cause de cette quasi absence.!

J’exagère peut-être, mais j’affirme que Curro Díaz est un des matadores les plus intéressants du circuit. Son allure, la douceur et et le délié de ses gestes, son arrogance tranquille : tout en lui respire le toreo grande.

Il vient de Linares, pays de mineurs. Hier à Alès, pays de mineurs, il n’a pas seulement surclassé ses compagnons de cartels, il a donné deux somptueuses leçons d’art tauromachique.

 

12 Jan

Les vœux de Juan

JuanTout le monde est supposé les ignorer, mais chacun les connaît dans les grandes lignes. Les cartels de la feria d’Arles seront rendus publics samedi prochain et le public qui remplira, comme chaque année, la vaste salle des fêtes du boulevard des Lices feindra de découvrir le programme des festivités.

On s’enthousiasmera devant telle juxtaposition audacieuse: Untel et Untel mano a mano, quelle surprise! On se réjouira de l’inclusion de tel autre devant tel élevage.

On se lamentera de telle ou telle absence.

Comme le faisait judicieusement remarquer Marc Lavie dans l’éditorial de la dernière livraison de Semana Grande, le vieillissement du public des arènes accompagne le vieillissement des toreros engagés.

Arles n’échappe pas à cette règle, on en aura la confirmation probable samedi prochain. Un des toreros locaux, Juan Leal, ne cache pas qu’il sera absent de la feria. Il n’en nourrit aucune amertume. C’est ce qu’il dit. Feignons de le croire…

 

03 Nov

Rafael de Paula « détient la vérité »

rafael-de-paulaJe détiens la vérité, en tant qu’être humain, je reste fidèle à moi-même. Je ne me trahirai jamais. Avant qu’il soit trop tard, cette vérité, je veux la dire.

Ainsi s’est exprimé Rafael de Paula, samedi dernier, 1er novembre, devant les journalistes qu’il recevait chez lui à Jerez de la Frontera. La veille, il était sorti libre, mais inculpé, d’un commissariat de la ville après avoir menacé son propre avocat.

Le torero a refusé de commenter en détail les faits qui lui ont valu de passer la nuit au poste. On sait simplement que l’avocat Manuel González Gamero travaillait bénévolement pour Rafael de Paula en raison de l’admiration qu’il lui vouait. Il s’agissait de tâches juridiques subalternes, visant à l’aider à régulariser certains documents.

Mais l’avocat avait refusé d’accéder à la demande du torero qui lui demandait de porter plainte contre la Duchesse d’Albe, l’éleveur Álvaro Domecq et l’homme d’affaires Pedro Trapote, considérant que cette requête « n’avait ni queue ni tête ».

Il semble que tout remonte, dans l’esprit de De Paula, au festival organisé en son hommage, et à son bénéfice, en 2006 à Madrid. À l’exception du matador Joselito, aucun des protagonistes de cet événement ne trouve grâce aux yeux de Rafael. Ni Enrique Martín Arranz (apoderado de Joselito), « un voleur » ; ni Morante qui a facturé à prix d’or sa participation ; ni Álvaro Domecq, « une mule », qui a voulu, semble-t-il, empêcher la célébration de cet événement, tout comme Pedro Trapote qui avait eu l’insultante idée de vouloir venir en aide au torero en organisant une fête flamenca plutôt qu’une corrida.

Il m’est resté un peu d’argent, explique Rafael de Paula, mais je ne peux pas dire combien. Je ne compte jamais les billets, pas même à la banque.

Profitant de cette tribune, Rafael de Paula se livre ensuite à un de ses exercices favoris : le dézinguage systématique de ses collègues, en exigeant des journalistes qui recueillent ses propos de les publier dans leur intégralité.

En voici le florilège.

Curro Romero

C’est un torero que j’admire, mais c’est un voleur. Lui qui aime tellement dormir, je me demande comment il trouve le sommeil après m’avoir quitté le pain de la bouche.

Manzanares

C’est un soldat romain.

Ponce

Il saisit le capote comme on accroche une chemise à un cintre et il triche avec la muleta.

Morante

Il est radin, il aurait dû laisser sa maison à son épouse après s’en être séparé. Ce n’est pas un artiste, même s’il a de la grâce. Il a du talent pour poser les banderilles et bien se positionner en piste pendant le deuxième tiers. Mais quand je l’ai pris en main (2006), il ne savait même pas tenir la cape et la muleta. C’est moi qui le lui ai appris. Et quand il torée correctement, c’est qu’il se souvient de mes leçons. Mais après toutes ces années de métier, il ne sait toujours pas conduire un toro vers le cheval de picador. Il a moins de jugeote qu’un moustique.

 

Pour conclure, Rafael a déclaré:

J’ai trois souhaits. Saluer le président Obama, car c’est un homme de bien; être reçu par sa Sainteté le Pape; donner l’accolade à Sœur Lucie (une religieuse qui anime des émissions à la télé) que je vois sur la 4 et que j’aime d’un amour platonique. 

On peut rire de cette situation. On peut ressasser la sentence de Chateaubriand. On peut trouver tout ça pathétique.

On peut se dire aussi qu’il doit être douloureux de continuer à vivre « normalement » après avoir été le dédicataire et l’inspirateur de « La música callada del toreo ».

27 Oct

L’élégance de Frascuelo

Frascuelo chapeauJ’ai demandé son âge à Frascuelo, c’est une faute de goût évidente, on ne pose pas cette question aux toreros qu’on chérit. Ni aux dames. Je n’ai pas d’âge, a-t-il répondu. Il marchait sur un chemin bordé de roseaux où les voitures d’aficionados étaient garées en désordre. Il était 17h30, le soir tombait selon le nouvel horaire inauguré le matin même.

Un type qui venait de s’éloigner pour faire pipi dans la roubine avant de reprendre sa voiture nous croisa et félicita le maestro qui le remercia et reprit la conversation avec moi.

On finit tous par devenir vieux, me dit Frascuelo qui s’était arrêté au soleil, mais si on devient vieux en continuant à toréer, c’est vraiment mieux. D’ailleurs il ne dit pas « devenir vieux », je traduis mal, il dit « prendre de l’âge ». Les rides de son visage parurent avoir un relief plus fort dans la lumière.

Il venait de toréer, mano a mano avec Camille Juan, 4 méchants novillos de l’élevage « La Cravenque » dans les petits arènes de Gimeaux pleines à craquer d’un public venu là pour passer un bon moment de détente. De ce point de vue, ça a été plutôt raté. On a distribué en tout et pour tout une oreille, et encore n’était elle pas totalement méritée. Ni Frascuelo ni Camille n’ont été à proprement parler « heureux avec les aciers » comme on disait dans les revues taurines du temps où Frascuelo était jeune (et moi aussi). Et les toros n’étaient pas du genre à autoriser la fantaisie.

Mais pour l’émotion, nous fumes servis! Carlos Escobar Frascuelo, tellement préoccupé par la perfection de sa silhouette qu’il en est presque raide, a donné une faena pleine de défauts sans doute, mais basée sur la très haute idée que cet homme se fait de l’élégance en général et de la sienne en particulier. Un régal.

J’ai laissé l’interview qui suit la faena en version originale. Je suis persuadé que même ceux d’entre vous qui ne parlent pas le castillan comprendront tout.

10 Mar

Dimanche aux arènes : Police partout, Justice nulle part !

Pour les gens qui partagent la belle passion des toros, les dimanches de corrida dans les Landes ont un parfum unique, irremplaçable. Pas simplement parce que l’aficion de ces terres taurines là est à nulle autre pareille, mais parce que le partage va bien au-delà des deux heures que durent le spectacle.

En général, on arrive le matin, et il n’est pas rare que quelques carcassades de canards gras vous attendent sur une bonne braise, pas loin des portes des arènes.

Puis c’est le bar du village, la lecture commentée à voix haute, entre deux cafés, du Sud Ouest du jour, mauvaise foi comprise.

Les amis arrivent, surtout ceux que l’on n’attendait pas. On reprend un café, un Perrier, on est au soleil, à considérer l’art si particulier qu’on a, par ici, de tailler les mûriers-platanes.

On s’inquiète déjà de ce qu’on va manger à midi.

Ici ou là, une messe se termine : on voit passer, en petits groupes vifs, les fidèles qui se pressent vers le pâtissier. La messe, on s’en fout, on n’y était pas. Et puis on n’aime pas les gâteaux. Ou alors les tartes aux fraises, avec une très bonne pâte brisée.

En fait, c’est surtout la messe, qu’on n’aime pas, souvenirs d’enfance des petites lâchetés des uns et des autres, des silences et des omissions. Oui, la messe, on fait plus que s’en foutre, mais grâce à elle, et aux platanes, on se croirait dans une chanson de Charles Trénet. Alors c’est bien comme ça.

Une vieille dame passe : elle vient de chercher son pain chez le boulanger de la place. On regarde l’heure. On se dit que chaque jour, au même moment, à cinq minutes près, elle doit passer ici, près de la table où l’on s’est installé. Le pain sous le bras, le journal…

D’ailleurs, l’église ou la Mairie vient d’envoyer les cloches : il est midi.

On passe au rosé glace.

On ferme les yeux. Le soleil s’empare tout à coup des visages. On voit rouge.

Deux jeunes filles sortent d’une ruelle, juste derrière le café. Elles rigolent en regardant leur téléphone portable. Quand elles arrivent à la hauteur de la terrasse du café, elles ne voudraient pas, mais leur allure, leur pas, changent imperceptiblement. Elles savent le regard des attablés.

D’autres amis arrivent. Ils sont en retard. Rien de grave : encore cinq ou six heures avant les toros. On se demande quand est-ce que la vieille dame au pain a vu sa dernière corrida…

Ces moments de douceur, ces instantanés de village au goût de toros à venir, je prétends que seules les arènes landaises sont capables de les offrir à l’aficionado attentif. Vous ne trouverez jamais ailleurs une telle qualité d’atterrissage, d’accueil au sens propre du terme. Ou il faudrait aller bien loin, dans quelques villages d’Andalousie. Mais la douceur landaise est unique, éclairée de l’intérieur par une lumière très particulière.

BlogbarrageFlic

Je pensais à ça, dimanche à Samadet, en passant à pied le troisième barrage de gendarmes qui bouclaient, à partir de neuf heures du matin, l’intégralité du centre. Je me disais : « C’est ça que nous perdons avec toutes ces conneries de manifestations d’anti taurins : la douceur, et le temple. Cette manière géniale de laisser passer les heures qui nous inquiètent. Ensemble, en considérant les autres. »

Au dernier barrage, le gendarme m’a rendu ma carte de presse avec un mot aimable. En m’éloignant, je me suis entendu lui dire : « Merci, et bon courage. »

Je me suis figé un peu plus loin. Au fait, bon courage de quoi ? Bon courage quand il faudra que tu casses la tête à un jeune couillon de Hambourg ou de Besançon venu manifester contre ce qu’il pense être une « barbarie » hors d’âge ? Bon courage pour nous empêcher de traîner en terrasse, les narines à l’air ?

 BlogGendarmesMules

Le bon sens et l’Observatoire auront raison de m’objecter que c’est le couillon d’Hambourg et pas le gendarme de Clermont Ferrand qui m’empêche de bader. Bien sûr.

Mais c’est plus fort que moi, je n’y arrive pas ! Aller aux arènes comme ça, protégé comme les Maîtres de Forges lors d’une grève, désolé, je ne peux pas.

Comme je n’arrive pas à me réjouir qu’on arrête ces gosses qui nous insultent à l’entrée des arènes. Je n’arrive pas à leur souhaiter le panier à salade, les claques préventives, la garde à vue désespérante. Ils ont le droit de manifester, de trouver que nous sommes de vieux réactionnaires sans excuses, ils ont le droit de le dire et de le penser. Simplement, ce qui serait super, c’est qu’ils fassent ça ailleurs…

A ce propos, que les antis taurins réfléchissent deux minutes (ça les changera) : ce n’est pas nous qu’ils doivent convaincre ! Ils n’y arriveront jamais… Le mieux serait qu’ils manifestent là où ils risquent d’être entendus. Devant les Préfectures, les Conseils Régionaux, à Bruxelles, bien sûr. En Crimée ! Mais pas devant les arènes ! Nous, nous continuerions tranquillement d’aller aux toros, comme de toute éternité, en traînant gentiment à la terrasse des bistrots. Et de temps en temps, nous irions nous aussi à Bruxelles, pour remettre leurs arguments à l’endroit.

Qu’ils manifestent, comme la Loi et la morale leur en fait droit. Mais ailleurs.

 BlogflicsPrésidence

Alors merci aux maires des villes taurines françaises de leur courage et de leur ténacité. Merci à l’Observatoire et aux autres de pousser les fers de la Loi et de son respect. Mais tout ceci n’aura, tout le monde le sait, qu’un temps. La communauté nationale, en ces temps de crise grave, ne pourra pas longtemps supporter le coût du déploiement policier. Les manifestants le savent. C’est même leur objectif principal.

Les pouvoirs publics doivent donc – c’est de leur responsabilité – trouver autre chose pour empêcher ces face à face mortifères et imbéciles. Et vite.

Car moi, je ne veux pas aller aux arènes « protégé » par la Police. Et je ne veux surtout pas faire une croix sur le doux rêve landais des matinées de corrida, quand on se dit que, finalement, tout ça vaut vachement la peine d’être vécu…

Jean-Michel Mariou

 BlogEnTête

 

 

 

 

 

04 Mar

Mozart, torero !

C’est une statue qui regarde le Guadalquivir, au coin du grand théâtre de la Maestranza, à Séville.

Wolfgang Amadeus Mozart appuie nonchalamment son pied droit sur une chaise.

Dans la main gauche, il tient une partition, qu’il parcourt du regard.

Dans la main droite, cet après-midi, il tenait un capote plié…

Mozart