12 Déc

José Tomás à Paris

S’entendre dire « José Tomás sera lundi 9 décembre dans un théâtre du Boulevard Raspail à Paris pour parler », c’est comme entendre « Soirée barbecue dans un camping végétaliste crudiste », ou  » Motörhead reprendra a capella l’intégral des Compagnons de la Chanson « . Un truc coince, ne fait pas raccord.

Mais. Mais. José Tomás.

Au début, on était presque conforté dans l’idée de départ.  On commençait à envisager le chanteur à moustache-cage-de-foot, Lemmy Kilmister, en train de se chauffer la voix avec ses copains pour entonner à l’unisson « Les trois cloches ».

José Tomás n’avait pas l’air forcément à l’aise dans son costume noir d’orateur en attente, assis sur sa chaise, relisant ses notes, les genoux serrés, comme un aspirant bachelier chevrotant s’apprêtant à passer sur un texte de Ionesco, un jour de bac blanc, texte que ledit aspirant bachelier n’aurait évidemment pas préparé, parce que c’était facultatif, du moins, il l’avait compris comme ça.

Heureusement. José Tomás.

 25.JoséTomas

Le torero s’est levé et s’est avancé vers le pupitre. Sur sa tête un chapeau qu’il venait d’enfiler. Arrivé devant le micro, il a dit qu’il était de bon ton de se découvrir lorsqu’on entrait dans une plaza nouvelle, qui plus est éloignée de ses contrées à lui. Il a envelé le chapeau, l’a posé sur la chaise. Ovation. Olé et tout.

Et le discours, bref, a débuté. Sobre, direct et poignant comme la tauromachie de José Tomás. Il est revenu sur son « Dialogue avec Navegante » le toro « qui a failli… », on connaît la suite, puis il a parlé de ce jour où à 14 ans, au Mexique, il avait vu un novillero toréer de « sublime manière » un bon novillo, de la main gauche, au milieu d’une foule américaine émue, à peine débarquée d’un navire de croisière. L’arène s’appelait « La Paloma ». Ce jour, José Tomás eut le pressentiment que sa vocation était là, en bas, au milieu de tous les Navigateurs et au centre de toutes les Colombes existantes.

 Et puis, José Tomás a posé une série de questions. Une série de questions qu’il continue de se poser, même si pour certaines d’entre elles, il a trouvé une réponse. Il serait fastidieux de toutes les restituer. En voilà une série de quatre, de la gauche, pieds joints et sans tremblement dans les voiles de la voix :

« Pourquoi certaines personnes, en voyant toréer, trouvent du sens à leur vie ?

Pourquoi, éloigné de l’arène, je trouve que la mienne a moins de sens ?

Pourquoi ce besoin d’être si près de cet animal ?

[…]

Pourquoi on souffre plus de ne pas comprendre la charge du taureau que de recevoir le coup de corne ? »

 Et de citer en guise d’avant conclusion Einstein : « L’important est de ne pas cesser de s’interroger. »

On aurait entendu une mouche sans ailes marcher sur la scène, ces phrases étaient prononcées avec applomb, force, humilité, d’une voix claire et presque effacée, ou en train de s’effacer.

Le discours a fini par un remerciement aux toros et aux toreros qui se rencontrent avec un but : « se fondre en un être unique pour éterniser nos vies par le biais de l’art. ».

Ovation.

 

Le maestro a dédicacé sur la scène quelques livres, affiches, etc. La queue-leu-leu des fans, on aurait dit la file pour la grotte de Lourdes. Et lui, ça n’est pas Bernadette, ni la Vierge, ni le Christ, ni un miracle. Il n’est pas fait pour ça, mais il s’est prêté à l’exercice 10 minutes. Après il devait repartir pour le Mexique d’où il était arrivé le jour même. Un petit crochet.

Les fumeurs bravant le froid ont pu l’observer partir d’un pas vif vers le boulevard avec en fond la Tour Montparnasse et un dernier quartier de Lune tourné vers le bas. Il avait mis son chapeau.

A quelques kilomètres, sur le tarmac en train de givrer, un avion l’attendait pour le pays des Palomas et des Navegantes, le pays de ses 14 ans, du souvenir qu’il n’a peut-être jamais quitté.

Antoine Beauchamp

 

 

 

 

24 Juin

Niño

Tout est là. Deux enfants, l’un roux, assez grand qui pousse un toro roulette vers son cousin plus petit, brun. La passe de cape est afarolada et le jour de printemps doux. Ca se passe dans une ruelle blanche andalouse. A l’entrée de la bourgade, il y a un panneau qui annonce la Puebla del Río. Plus loin dans la plaine on voit un large serpent sillonner liquide vers l’horizon. A une vingtaine de kilomètres de cette rue encore fraiche d’ombre, il y a le rêve d’enfant traversé par le serpent, Séville et son Guadalquivir, une cathédrale mosquée avec ses oranges, une arène blanche au sable ocre tiré des carrières d’Alcala de Guadaíra et des clochards endormis qui boivent trop de Cruzcampo.

Morante de la Puebla et son cousin Juan Carlos Morante, enfants et déjà la passion du toro...

Dans la ruelle de la Puebla, les deux enfants parlent peu, ils s’essoufflent, transpirent, se comprennent par les regards. Il y a le chant des oiseaux, celui de la roue qui couine un peu et une voiture qui passe en haut de temps en temps. Dans les quelques paroles échangées se joue le jeu des toros, un jeu de l’appel, comme ces cris envoyés à l’entrée des cavernes « hé » « ho », « ho » « hé », ça résonne et vroum voilà la toro écho sorti de sa grotte.
Aujourd’hui c’est samedi, l’école, les devoirs, oubliés. Pour l’instant ils rêvent de devenir comme les toreros vus dans la télé. Celui-là qui se prend des coussins sur la tête et qu’ils appellent le Pharaon, celui-là qui a une tête toute molle et des allures de gitan, qui marche les pieds dedans parce que ses genoux sont usés, les tontons l’appellent Rafaé parce que les tontons ils ont des accents de la Puebla.
« Viens toro ! » et le cousin roux accourt avec le chariot, baisse les cornes, et olé l’afarolada contre la barrière. Tu souffles fort quand les cornes passent, tu as entendu les grands de la Puebla qui s’entrainent de salon faire ce « huisss ».
Dans quinze ans, vingt ans, tu feras tomber les compliments comme les œillets et tu ne le sais pas encore. Dans quinze ans, vingt ans tu seras l’un des plus reconnus. On te dira que tu es artiste. Et c’est quoi être artiste d’ailleurs ? C’est comme lui qui chante avec son visage défait qui se plie et se déplie ? Celui qu’on appelle Camarón, ? L’a pourtant pas une tête de crevette. C’est ça être artiste ?

Quinze ans, vingt ans, tu ne sais pas où c’est. Le cri joyeux des hirondelles, ton cousin carreton et un verre de limonade bien sucrée, ça suffit. Tu rêves de devenir torero, tu le seras. Tu ne le sais pas encore, mais ça te posera quelques problèmes. La solitude au milieu de tout ce monde qui te sourit, ce vide qui prendra parfois trop de place dans tes poumons et ta gorge. Oui, pas simple le négoce avec la peur. Mais il y aura aussi la joie, les sentiments, l’élévation, le beau, la rencontre avec le seul toro. Le seul. Ce frère qui n’est pas toi.
C’est dans quinze ans, c’est dans vingt ans, on ne sait pas où c’est tout ça.
Ce dont tu es sûr c’est que dans tout ce temps, le cousin sera là.
Tu aimerais avoir un nom de torero à toi. José Antonio Morante Camacho, c’est un peu long, ce sera Morante de la Puebla. Tu t’appelleras Morante de la Puebla et ton cousin sera là. Vous serez sur le chemin des toros ensemble.

A table.
On appelle dans la maison.
Une dernière puerta gayola. Mets-toi là-bas cousin et sors fort.
Après, on ira dans la deux chevaux du tío, tu klaxonneras, on fera coucou, les gens seront contents de nous voir aller à la plaza.

La photo dans le Musée Morante qui n’existe pas encore à la Puebla del Ríó s’appellera sans doute « Morante de la Puebla enfant s’entraînant avec son cousin et futur valet d’épées, Juan Carlos Morante ». En attendant le musée, il y a toujours la Peña Morante de la Puebla. Calle Larga, 20. 41130 La Puebla del Río. Référencée comme club nautique par nos amis silicone valliens. Olé.

Merci à Don D. pour la photo transmise, un cadeau extrait de la toile ici

Antoine Beauchamp