16 Août

Julian & Alberto

Capture d’écran 2016-08-16 à 20.50.24Quand on regarde Alberto, on entend Julian. C’est le duo à la mode cet été dans les arènes. Alberto López Simón, matador de toros, 26 ans, 178 cm , 68 kilos (à vue de nez), en tête de l’escalafón. Julian Guerra, matador de toros à la retraite, apoderado, 42 ans, 178 cm, 112 kilos (à vue de nez).

Ils sont inséparables et ils ne font rien pour cacher leur relation. Julian hurle ses encouragements et ses conseils d’un bout à l’autre de la faena et non seulement Alberto ne s’en offusque pas, mais il semble perdu quand l’autre fait silence. On le voit tourner son regard sombre vers la barrière comme s’il ne pouvait pas poursuivre la faena sans les consignes de ce gros bonhomme.

Depuis que je les vois et les entends fonctionner, je cherche à qui les comparer. J’ai d’abord tenté Laurel et Hardy. Laurel, le maigre naïf, ça peut coller avec Alberto. Et Hardy, le gros qui croit tout savoir, c’est peut être bien le péremptoire Julian. Mais non, Julian et Alberto ne font rire personne. Et surtout ils semblent n’être jamais en désaccord sur rien. J’ai essayé ensuite Don Quichotte et Sancho Pança. Le gros et le maigre, le terrien et l’idéaliste, ça marche, mais jusqu’à un certain point seulement.

Hier à Bayonne, je crois que j’ai trouvé.

J’étais dans le callejón avec ma minuscule caméra. Voilà dix ans que je la trimballe et je ne sais toujours pas m’en servir correctement. Ces histoires de diaph automatique ou manuel et de balance des blancs, je m’y perds. Je filmais Alberto dans une des meilleures faenas que je lui ai vues et avec Fregata, le plus complet des 17 toros de Garcigrande / Domingo Hernández  que j’ai vu lidier en deux jours (six le 14 au matin à Dax pour Juli, Roca Rey et López Simón + quatre et un sobrero le 14 après-midi à San Sebastián pour Juli et José Tomás + six à Bayonne : le compte est bon). Et pendant que je filmais Alberto, non seulement Julian saturait le micro avec sa grosse voix, mais sa chemise immaculé passait sans cesse devant l’objectif. Le blanc impeccable de la chemise et le teint gris du visage d’Alberto rendaient impossible tout réglage. Mais ils me firent brusquement penser au thème de La Grande traversée , l’émission que France Culture a diffusée par épisodes pendant ce long week-end et que j’ai écoutée en voiture dans mes pérégrination de Montpellier à San Sebastián, en passant par Toulouse, Dax et Bayonne.

Frankenstein et sa créature!!

Je nai jamais lu le livre de Mary Shelley et j’ai raté le dernier épisode du feuilleton radio. J’ignore comment finit l’histoire. La créature finit-elle par s’émanciper du Professeur Frankenstein?

 

Joël Jacobi

 

 

07 Mar

Cinq minutes avec Juan Leal

IMG-20160307-WA0001On peut me voir sur la photo blanc & noir de Maurice Berho. Je suis au fond de l’image, dans un coin de burladero, une minuscule caméra dans les paluches. Mais personne ne me voit. Ce qu’on regarde bien sûr, c’est Juan Leal : tout un torero en appui sur la pointe d’un pied.

Le jeune toro revendique sa puissance de tous ses naseaux. Plus ses cornes cognent le vide, plus ses sabots labourent le sol. Il fulmine tellement qu’on le croit disposé à foncer la tête la première dans le sable.

Juan Leal, ployé au dessus de lui, semble au contraire sur le point de prendre son envol. Cette muleta, pour l’instant, montre à la bête le chemin. Qui sait si un jour elle ne se transformera pas en aile?

Il fait un froid de gueux. Nous sommes dans les installations de la ganadería Tierra d’Oc à Cardet, dans le piémont cévenol. C’est un pur dimanche d’hiver. Les gens du club taurin de Rieumes ont fait le voyage depuis la région de Toulouse pour passer une journée taurine. Sévillanes, paella, discours. Plus tienta de deux vaches et lidia de trois novillos.

Les toreros invités?  Mehdi Savalli et Juan Leal. Le bétail de Tierra d’Oc vient tout droit de la prestigieuse ganadería Sánchez Arjona.

Les vaches sont faiblotes, mais elles coopèrent.

Les deux novillos de Mehdi sont des brutes incertaines. Mehdi est sapé comme un milord. Il les torée sans transpirer. Il part bientôt pour le Pérou, c’est là-bas qu’il a des contrats. Il ne reviendra en France qu’au mois d’août, son premier engagement est à Béziers.

Juan Leal s’est habillé comme un jeune gentleman qui se disposerait à passer une journée tranquille à la campagne. Son novillo est un sparring-partner de premier choix. Il a la fougue et la noblesse caractéristiques du sang Domecq.

Il y a peu de monde pour assister à ce corps à corps qui dure un peu plus de cinq minutes. Les gens de Rieumes, le ganadero Damien Donzala, les cuadrillas, moi.

C’est un spectacle poignant. Le toro charge comme si ça vie en dépendait. Juan Leal torée comme si la suite de sa carrière dépendait de ce moment. La semaine prochaine, il torée la première corrida espagnole de sa saison à Fitero, Navarre. En mai il confirmera l’alternative à Madrid.

Il tient du bout des doigts sa muleta grâce à quoi il prendra peut-être cette saison son envol. Moi, je m’accroche à ma petite caméra pour vous montrer ça.

 

28 Fév

Communion privée

Thomas Joubert. Silhouette arrogante et regard mélancolique

Thomas Joubert. Silhouette arrogante et regard mélancolique

Samedi 27 février 2016. Les bulletins météos n’exagéraient pas. Ils annonçaient depuis plusieurs jours un épisode cévenol majeur pour la fin de la semaine, c’est un déluge qui est tombé sur le département de l’Hérault toute la journée. Au pied du Pic Saint-Loup, au domaine de Lacan où la famille Vangelisti élève ses toros, on a été sur le point d’annuler la cérémonie taurine prévue de longue date pour cette matinée. Mais la piste a tenu le coup. Et un des invités, Adrien Salenc, était venu tout exprès de Madrid pour cette opportunité…

La pluie était glacée, je n’ai pas eu le cœur de me glisser dans un burladero ou de monter sur la plateforme au dessus des corrales. Je suis resté dans le salon, la cheminée fonctionnait bien et j’ai filmé le spectacle par la fenêtre.

Les 3 novillos (deux d’origine Jandilla, un d’origine Daniel Ruiz) toréés et mis à mort par Thomas Joubert, Andy Younès et Adrien Salenc avaient comme principale qualité de ne présenter aucun défaut. Pour chacun des trois toreros, cette matinée était une étape majeure dans la préparation. Adrien est élève de l’école taurine de Juli en Espagne, cette année sera sûrement sa dernière dans la catégorie « sans chevaux ». Andy commence dans quelques semaines une saison de novillero dans les arènes d’importance : Valencia pour les Fallas, puis Arles pour Pâques pour commencer. Ses premiers « résultats artistiques » détermineront la suite.

Quant à Thomas Joubert, depuis qu’il ne s’annonce plus sous le pseudonyme de Tomasito, mais qu’il revendique dans l’arène son prénom de baptème et son nom d’état civil, il assume de mieux en mieux son personnage. Silhouette arrogante, visage mélancolique et tauromachie académique.

Le lundi de Pâques, à Arles, c’est son premier contrat pour 2016, il va se cogner les toros de Pedraza, à coup sûr les plus costauds de la feria, pas nécessairement les moins maniables. Sa préparation? Huit toros « en privé », c’est à dire à l’abri des regards. En privé, mais en habit de lumière, histoire d’arriver pour sa première corrida comme s’il en avait toréé quatre.

Son toro, d’origine Jandilla, était sans vice. Il semblait soupeser le pour et le contre avant de charger la muleta. Et quand il fonçait, on sentait de la rage. Thomas a pris le dessus petit à petit. Il a fini par trouver le bon rythme.

La pluie redoublait. Le souffle du novillo s’accordait à celui du toro. Une communion privée. Et un parfum de solennité au pied du pic Saint-Loup.

 

JJ

 

 

25 Fév

Il y a 110 ans, à Borox…

Portrait de Domingo Ortega par Ignacio Zuloaga (Musée de Las Ventas, Madrid)

Portrait de Domingo Ortega par Ignacio Zuloaga (Musée de Las Ventas, Madrid)

Il y a 110 ans, le 25 février 1906, naissait à Borox, province de Tolède, Domingo Ortega, un des toreros majeurs du vingtième siècle. Encore analphabète à l’âge de 15 ans, il se paya des leçons avec ses premiers cachets et devint l’ami, au faîte de sa carrière, des intellectuels de son temps comme Ortega y Gasset. Sa tauromachie rigoureuse, presque aussi austère que les paysages de sa terre natale, se caractérisait paraît-il par son temple.

Quand il se préparait pour l’alternative (il la prit en 1975), Luis Francisco Esplá passait beaucoup de temps à tienter dans la ganadería Hernández Plá. C’est là qu’il a rencontré, à plusieurs reprises, le maestro Ortega. Esplá avait 16 ou 17 ans et Domingo Ortega près de 70 (et non 80, comme l’affirme Esplá). Quand la vache était bonne, le maestro descendait en piste et donnait quelques passes.

 

Luis Francisco raconte…

Je respecte énormément les anciens. Ils constituent un puits d’expérience. Il y a la légende. Mais c’était surtout la chance de voir un artiste de près de 80 ans se mouvoir en public : c’est très émouvant. Je ne ressentais pas ce qu’on ressent en voyant des personnes âgées, une sorte de piété. C’était tout le contraire. Il se dégageait de lui une impression de splendeur, de force, de connaissance, de solidité devant la vache. Le tout avec une lenteur stupéfiante. En résumé, j’étais dans l’admiration absolue. Il était impeccablement vêtu, il portait des jambières de cuir. Comme il était frileux, il portait toujours les gants. Il fumait le cigare. Je crois même l’avoir vu toréer avec le cigare à la main. Il maniait la muleta et on aurait dit que la vache en était éblouie. Il marchait dans l’arène avec une lenteur absolue. Il lui manquait juste un cendrier pour déposer ces cendres de temps à autre. C’était magique, Domingo Ortega.

 

 

 

19 Fév

Un jour avec Vicente Soler

La Vierge du Rocío. Elle est andalouse. Vicente, le Valencian, la vénère.

La Vierge du Rocío. Elle est andalouse. Vicente, le Valencian, la vénère.

Vicente Soler, 21 ans, fils de Vicente Soler, est torero. Comme papa. Dans quelques jours, le 3 mars à Castellón, il sera consacré matador de toros. Comme papa.

Ils vivent à Burriana ou Borriana, selon qu’on prononce le nom du village en castillan ou en valencian. C’est au bord de la mer, dans la huerta, la plaine fertile de Castellón. Pour aller chez eux, on traverse les vergers d’orangers.

Personne ne dit que Vicente est le futur Enrique Ponce. Surtout pas lui. Il affirme avec un immense orgueil que sa place est parmi les toreros destinés à affronter à longueur d’année les corridas impossibles. C’est ce qu’a fait son père sans toucher la gloire, ils savent tous les deux pourquoi. Ils ne commettront pas les mêmes erreurs. Vicente marche sur les pas de son papa. Mais il ira beaucoup plus loin.

Vicente s’adresse à sa famille, à ses amis et aux gens de la rue en valencian. Mais quand il est question de toros, Vicente père et Vicente fils ne parlent qu’espagnol.

Il soutient « à mort » le Barça. Même si Barcelone a aboli la corrida.

Il ne se voit pas vivre ailleurs qu’en pays valencian, mais il vénère la Vierge des andalous, celle du Rocío. Il garde dans son portefeuille, entre la carte d’identité et les billets de banque, un morceau de Son châle dûment béni.

En quittant La Vall Duixó, capitale de l’orange, de l’espadrille et des toros de rue, une petite route de moins en moins carrossable s’élève au milieu des vergers en terrasse. On arrive à la finca « Los Amigos », propriété du papa, qui est par aileurs directeur de l’école taurine de Castellón.

IMG-20150312-WA0003Sur ce bout de terrain en pente raide, il élevait anciennement du bétail brave, mais c’est fini. Maintenant, il ne garde plus ici que des moutons, quelques chevaux, des poules. C’est le quartier général de Vicente junior qui prépare méticuleusement son rendez-vous du 3 mars. Du VTT et des courses dans la montagne. De la tauromachie de salon. Des vaches et des novillos qu’il torée dans la petite arène qu’une mince cloison sépare de la bergerie. Ce bétail est offert par les gens du village qui suivent pas à pas son entraînement.

J’ai passé avec Vicente une de ces journées taurines qui vous regonflent l’afición pour un bout de temps. L’émotion que donne un novillo du Conde de la Corte aux charges approximatives. Le vin qui rape un peu, mais en boit-on de plus amical ? La table saturée d’envie de passer un bon moment ensemble. Les rumeurs sur les cartels pas encore annoncés mais que tout le monde commente déjà.

Le bonheur ordinaire du mundillo…

Dans la voiture du retour, la radio a passé une chanson de Silvia Pérez Cruz, une catalane qui flirte avec le flamenco. C’est troublant, une voix si claire au milieu de la nuit. J’ai décidé de la poser sur la faena accidentée de Vicente avec le novillo du Conde de la Corte. La vidéo est à voir ici.

Joël Jacobi

 

 

12 Déc

Les toros et les gratte-ciel

toro rougeCertaines arènes d’Espagne ferment leurs portes. D’autres ne trouvent personne pour les gérer. L’ancestral « carnaval taurin » de Ciudad Rodrigo a même été sur le point de ne pas pouvoir être organisé! Les organisateurs pleurent misère.

À Bogotá, la grève de la faim des toreros colombiens n’a pas encore donné le résultat escompté : aucune saison taurine n’est pour l’instant annoncée. À Quito, c’est pitié, les figuras espagnoles simulent l’estocade. Bref, l’hiver 2014 / 2015 s’annonce triste. Comme tous les hivers.

Mais il y a toutes les raison d’espérer. Quelques anciens toreros, et non des moindres, annoncent leur retour : Espartaco, Eduardo Dávila Miura. D’autres vétérans des arènes pensent relancer leur carrière en changeant d’apoderado : Eugenio de Mora, Frascuelo. L’empresa de Madrid – c’est inédit – prend sous son aile des toreros guerriers, pudiquement nommé « de milieu de tableau » : Manuel Escribano, Francisco José Espada. Et le village de Boujan sur Libron annonce cette semaine sa première feria de novillos pour juin 2015! C’est bien la preuve que la corrida a de l’avenir.

Et pendant ce temps, les toros courent et courent encore. Ils restent plus que jamais le symbole de la force et de la liberté. Regardez le spot publicitaire du rallye Paris Dakar.

http://www.motorcyclenews.com/sport/2014/december/red-bull-recruit-the-guardians-of-dakar/

 

Regardez le spot publicitaire de l’équipe de basket de Chicago.

 

25 Nov

Curro Díaz : les détails qui comptent

 

Dimanche 23 novembre, 10 heures, Rion des Landes. Au bord de la minuscule route qui tire tout droit à travers les pins, j’ai vu des types déguisés en employés d’autoroute, air concentré et gilet fluo sur le dos. J’ai mis du temps à comprendre, c’est une battue au gros gibier qui se préparait. Sur la place du village flotte un fumet irrésistible : des carcasses de canard. Il fait doux et gris, 150 personnes, debout sur l’airial devant les arènes, cassent goulûment la croûte. De l’autre côté des barrières Vauban, 7 anti-taurins (6 filles et un garçon) regardent la scène, légèrement héberlués. C’est un détail qui compte.

Je descends de voiture, le fourgon de Curro Diaz s’arrête à ma hauteur, le père du torero me demande son chemin : les toreros se changent dans un local à l’autre bout du village. C’est tout droit. Mot pour mot ce que m’a dit le torero la veille au soir : il n’y a rien de pire que se trahir soi-même, j’ai une ligne, je ne dois pas la quitter, il faut que je tire droit.

Curro est né il y a 40 ans à Linares. Sa maman a accouché à l’hôpital de la ville dans la chambre 18, c’est un détail qui compte.

Il ressemble à un torero, Curro. Œil sombre, cheveux noirs, tenues impeccables à la ville comme à la scène, silhouette et sourire irrésistibles : Javier Conde moins le miroir. On rêverait de le voir enfin à l’affiche d’une corrida de prestige, dans une feria de premier plan avec deux figures. Mais bon, pour le moment on est à Rion.

 

Ujne naturelle de Curro à Rion : la classe!

Une naturelle de Curro à Rion : la classe!

En mai 2011, à Séville, un toro de Manolo González lui inflige une terrible rouste. Son père s’appelle également Curro Díaz. C’est un bonhomme-allumette, petit, mince et extrêmement vif. Il vient le voir à l’hôpital après l’opération : « j’ai parlé avec les docteurs, tu pourras remarcher un jour, fiston, mais la tauromachie, c’est fini pour toi ». Trois mois plus tard Curro junior reprend l’entraînement et en 2012, il torée 18 corridas. Il faut savoir que Curro Díaz père a fait toute sa carrière comme agent hospitalier à Linares, ça n’a rien à voir, mais c’est un détail qui compte.

La fiesta campera commence à 11 heures du matin. 4 novillos de Jalabert et un toro de Darré. Je ne sais pas exactement ce qu’est une fiesta campera. D’après ce que j’en ai vu, c’est exactement comme un festival, les animaux sont « afeités », on torée, on pique, on banderille et on tue, mais il n’y a pas de présidence. Ce sont les toreros eux-mêmes qui attribuent les trophées à leurs camarades.

Ce qu’il y a de campero aussi et surtout, c’est l’ambiance, à la fois familière et solennelle. Depuis les gradins, on interpelle les toreros comme on s’adresserait à des cousins de retour au village pour la visite annuelle. Mais quand ça torée bien, les « olés » sonnent parfaitement juste. Le tout dans les effluves de la garbure qui se prépare juste à côté.

Dans ce spectacle sans enjeu apparent mais dans des arènes quasiment pleines, chaque torero se montre dans sa stricte vérité. Mehdi tente de rajouter du velouté à sa muleta : par moments, il y parvient; Juan Leal approfondit sans relâche son idée: se rapprocher encore plus des cornes et allonger encore plus le muletazo ; Louis Husson se cogne le novillo le plus remuant et le moins « obéissant » ; Pablo Aguado déroule face au plus commode et les gens disent : « il a de la classe ».

Curro Díaz a eu affaire au moins simple, un novillo de Jalabert de peu de charge. Mais il a eu quelques passages de naturelles qui ont vraiment du jus. Je les ai mis sur la vidéo. J’y ai rajouté deux petits bouts de l’interview que j’ai faite à deux pas des arènes juste après qu’il se soit douché. Il explique que c’est maintenant, à 40 ans, qu’il commence à être vraiment lui-même. Il dit aussi qu’il ne souhaite rien d’autre qu’une bonne santé à ses amis. Et pour lui, qu’on le laisse vivre.

C’est vraiment dommage que vous n’ayez pas l’odeur sur Internet. Pendant l’entretien, ça sentait la garbure et les grillades à plein nez : les gens avaient commencé à festoyer sous un chapiteau dressé à côté de l’arène. À 14 heures, je raccompagne le torero jusqu’à sa place à table et je file aussitôt : j’ai de la route !

De Rion jusqu’à Toulouse, plus le moindre chasseur, mais à chaque tournant une nouvelle carte postale sous les yeux. Il ne manque pas grand chose pour devenir optimiste. Arrivé à Nogaro, le téléphone sonne, c’est Rion. Les 6 + 1 anti taurins se sont « exprimés » : ils ont balancé du lacrymogène en direction du chapiteau ! Il ne leur suffit pas d’être bêtes : ils faut qu’ils soient méchants.

Et la chambre 18 de l’hôpital de Linares où a accouché la maman de Curro Díaz ? C’est celle-là même ou est mort Manolete en août 1947. Curro n’a pas vu le jour à la maternité de l’hôpital, mais dans l’aile « chirurgie ». C’est son père, spécialement bien placé dans la hiérarchie, qui a arrangé le coup…

 

03 Nov

Rafael de Paula « détient la vérité »

rafael-de-paulaJe détiens la vérité, en tant qu’être humain, je reste fidèle à moi-même. Je ne me trahirai jamais. Avant qu’il soit trop tard, cette vérité, je veux la dire.

Ainsi s’est exprimé Rafael de Paula, samedi dernier, 1er novembre, devant les journalistes qu’il recevait chez lui à Jerez de la Frontera. La veille, il était sorti libre, mais inculpé, d’un commissariat de la ville après avoir menacé son propre avocat.

Le torero a refusé de commenter en détail les faits qui lui ont valu de passer la nuit au poste. On sait simplement que l’avocat Manuel González Gamero travaillait bénévolement pour Rafael de Paula en raison de l’admiration qu’il lui vouait. Il s’agissait de tâches juridiques subalternes, visant à l’aider à régulariser certains documents.

Mais l’avocat avait refusé d’accéder à la demande du torero qui lui demandait de porter plainte contre la Duchesse d’Albe, l’éleveur Álvaro Domecq et l’homme d’affaires Pedro Trapote, considérant que cette requête « n’avait ni queue ni tête ».

Il semble que tout remonte, dans l’esprit de De Paula, au festival organisé en son hommage, et à son bénéfice, en 2006 à Madrid. À l’exception du matador Joselito, aucun des protagonistes de cet événement ne trouve grâce aux yeux de Rafael. Ni Enrique Martín Arranz (apoderado de Joselito), « un voleur » ; ni Morante qui a facturé à prix d’or sa participation ; ni Álvaro Domecq, « une mule », qui a voulu, semble-t-il, empêcher la célébration de cet événement, tout comme Pedro Trapote qui avait eu l’insultante idée de vouloir venir en aide au torero en organisant une fête flamenca plutôt qu’une corrida.

Il m’est resté un peu d’argent, explique Rafael de Paula, mais je ne peux pas dire combien. Je ne compte jamais les billets, pas même à la banque.

Profitant de cette tribune, Rafael de Paula se livre ensuite à un de ses exercices favoris : le dézinguage systématique de ses collègues, en exigeant des journalistes qui recueillent ses propos de les publier dans leur intégralité.

En voici le florilège.

Curro Romero

C’est un torero que j’admire, mais c’est un voleur. Lui qui aime tellement dormir, je me demande comment il trouve le sommeil après m’avoir quitté le pain de la bouche.

Manzanares

C’est un soldat romain.

Ponce

Il saisit le capote comme on accroche une chemise à un cintre et il triche avec la muleta.

Morante

Il est radin, il aurait dû laisser sa maison à son épouse après s’en être séparé. Ce n’est pas un artiste, même s’il a de la grâce. Il a du talent pour poser les banderilles et bien se positionner en piste pendant le deuxième tiers. Mais quand je l’ai pris en main (2006), il ne savait même pas tenir la cape et la muleta. C’est moi qui le lui ai appris. Et quand il torée correctement, c’est qu’il se souvient de mes leçons. Mais après toutes ces années de métier, il ne sait toujours pas conduire un toro vers le cheval de picador. Il a moins de jugeote qu’un moustique.

 

Pour conclure, Rafael a déclaré:

J’ai trois souhaits. Saluer le président Obama, car c’est un homme de bien; être reçu par sa Sainteté le Pape; donner l’accolade à Sœur Lucie (une religieuse qui anime des émissions à la télé) que je vois sur la 4 et que j’aime d’un amour platonique. 

On peut rire de cette situation. On peut ressasser la sentence de Chateaubriand. On peut trouver tout ça pathétique.

On peut se dire aussi qu’il doit être douloureux de continuer à vivre « normalement » après avoir été le dédicataire et l’inspirateur de « La música callada del toreo ».

27 Oct

L’élégance de Frascuelo

Frascuelo chapeauJ’ai demandé son âge à Frascuelo, c’est une faute de goût évidente, on ne pose pas cette question aux toreros qu’on chérit. Ni aux dames. Je n’ai pas d’âge, a-t-il répondu. Il marchait sur un chemin bordé de roseaux où les voitures d’aficionados étaient garées en désordre. Il était 17h30, le soir tombait selon le nouvel horaire inauguré le matin même.

Un type qui venait de s’éloigner pour faire pipi dans la roubine avant de reprendre sa voiture nous croisa et félicita le maestro qui le remercia et reprit la conversation avec moi.

On finit tous par devenir vieux, me dit Frascuelo qui s’était arrêté au soleil, mais si on devient vieux en continuant à toréer, c’est vraiment mieux. D’ailleurs il ne dit pas « devenir vieux », je traduis mal, il dit « prendre de l’âge ». Les rides de son visage parurent avoir un relief plus fort dans la lumière.

Il venait de toréer, mano a mano avec Camille Juan, 4 méchants novillos de l’élevage « La Cravenque » dans les petits arènes de Gimeaux pleines à craquer d’un public venu là pour passer un bon moment de détente. De ce point de vue, ça a été plutôt raté. On a distribué en tout et pour tout une oreille, et encore n’était elle pas totalement méritée. Ni Frascuelo ni Camille n’ont été à proprement parler « heureux avec les aciers » comme on disait dans les revues taurines du temps où Frascuelo était jeune (et moi aussi). Et les toros n’étaient pas du genre à autoriser la fantaisie.

Mais pour l’émotion, nous fumes servis! Carlos Escobar Frascuelo, tellement préoccupé par la perfection de sa silhouette qu’il en est presque raide, a donné une faena pleine de défauts sans doute, mais basée sur la très haute idée que cet homme se fait de l’élégance en général et de la sienne en particulier. Un régal.

J’ai laissé l’interview qui suit la faena en version originale. Je suis persuadé que même ceux d’entre vous qui ne parlent pas le castillan comprendront tout.

26 Oct

JB et la 246

JB et la vacheSamedi 25 octobre, Saint Martin de Crau.

J’ai pris le temps de flâner pour arriver jusqu’à Farinon, le mas des frères Granier à deux pas de l’autoroute qui file d’Arles à Salon, le long de ce qui fut la nationale 113.

J’ai longé le Vaccarès. La route était déserte. Mon auto a levé quelques oiseaux qui roupillaient dans les talus.

J’ai traversé Arles où le marché hebdomadaire déborde de chrysanthèmes, c’est la période.

Puis Raphèle où les réclames vantent alternativement le saucisson d’Arles véritable (à droite de la route)  et le vrai saucisson d’Arles (à gauche). Inutile de choisir, il y a belle lurette que cette spécialité n’est plus fabriquée dans le coin. Au point qu’on peut se demander si elle a jamais vraiment existé. Arles, après tout, excelle à faire vivre ce qu’on ne voit jamais.

Philippe Lapeyre « San Gilén » m’avait convié à une fête intime où on célèbrerait la fin de la saison de l’école taurine de Béziers en compagnie de quelques uns de ses élèves, de leur famille et de Juan Bautista. « On sera entre nous », m’avait-il précisé.

Au fond de la solennelle allée de platanes, le mas Farinon est encerclé de bagnoles. Il y a 100 personnes au bas mot, 150 peut-être. Comme il n’y a que cinq élèves de l’école taurine, il faut croire qu’ils ont chacun une très nombreuse famille.

Le troupeau des vaches grises a l’air de se régaler dans la luzerne.

Juan Bautista arrive pile à l’heure du rendez-vous. Pendant que les gardians trient les vaches qui devront être tientées, je constate qu’il est le seul à s’étirer. Longuement. Scrupuleusement. Les élèves de Philippe, magnifiquement vêtus « de campo » attendent, debout à l’ombre d’un arbre. Les familles s’esquichent sur une remorque posée en plein champ.

La seconde vache porte le numéro 246. Juan Bautista la torée à merveille.