19 Fév

Un jour avec Vicente Soler

La Vierge du Rocío. Elle est andalouse. Vicente, le Valencian, la vénère.

La Vierge du Rocío. Elle est andalouse. Vicente, le Valencian, la vénère.

Vicente Soler, 21 ans, fils de Vicente Soler, est torero. Comme papa. Dans quelques jours, le 3 mars à Castellón, il sera consacré matador de toros. Comme papa.

Ils vivent à Burriana ou Borriana, selon qu’on prononce le nom du village en castillan ou en valencian. C’est au bord de la mer, dans la huerta, la plaine fertile de Castellón. Pour aller chez eux, on traverse les vergers d’orangers.

Personne ne dit que Vicente est le futur Enrique Ponce. Surtout pas lui. Il affirme avec un immense orgueil que sa place est parmi les toreros destinés à affronter à longueur d’année les corridas impossibles. C’est ce qu’a fait son père sans toucher la gloire, ils savent tous les deux pourquoi. Ils ne commettront pas les mêmes erreurs. Vicente marche sur les pas de son papa. Mais il ira beaucoup plus loin.

Vicente s’adresse à sa famille, à ses amis et aux gens de la rue en valencian. Mais quand il est question de toros, Vicente père et Vicente fils ne parlent qu’espagnol.

Il soutient « à mort » le Barça. Même si Barcelone a aboli la corrida.

Il ne se voit pas vivre ailleurs qu’en pays valencian, mais il vénère la Vierge des andalous, celle du Rocío. Il garde dans son portefeuille, entre la carte d’identité et les billets de banque, un morceau de Son châle dûment béni.

En quittant La Vall Duixó, capitale de l’orange, de l’espadrille et des toros de rue, une petite route de moins en moins carrossable s’élève au milieu des vergers en terrasse. On arrive à la finca « Los Amigos », propriété du papa, qui est par aileurs directeur de l’école taurine de Castellón.

IMG-20150312-WA0003Sur ce bout de terrain en pente raide, il élevait anciennement du bétail brave, mais c’est fini. Maintenant, il ne garde plus ici que des moutons, quelques chevaux, des poules. C’est le quartier général de Vicente junior qui prépare méticuleusement son rendez-vous du 3 mars. Du VTT et des courses dans la montagne. De la tauromachie de salon. Des vaches et des novillos qu’il torée dans la petite arène qu’une mince cloison sépare de la bergerie. Ce bétail est offert par les gens du village qui suivent pas à pas son entraînement.

J’ai passé avec Vicente une de ces journées taurines qui vous regonflent l’afición pour un bout de temps. L’émotion que donne un novillo du Conde de la Corte aux charges approximatives. Le vin qui rape un peu, mais en boit-on de plus amical ? La table saturée d’envie de passer un bon moment ensemble. Les rumeurs sur les cartels pas encore annoncés mais que tout le monde commente déjà.

Le bonheur ordinaire du mundillo…

Dans la voiture du retour, la radio a passé une chanson de Silvia Pérez Cruz, une catalane qui flirte avec le flamenco. C’est troublant, une voix si claire au milieu de la nuit. J’ai décidé de la poser sur la faena accidentée de Vicente avec le novillo du Conde de la Corte. La vidéo est à voir ici.

Joël Jacobi

 

 

18 Mai

Indispensable Curro Díaz

CurroSauf erreur ou omission, Curro Díaz n’est programmé en France que le 20 juin à La Brède, en compagnie de Juan Leal et de López Simón (si ce dernier est remis de ses blessures). Pour tout, dire, il n’est guère plus demandé en Espagne. Un seul contrat signé, le 15 août à Villarobledo, un patelin de 25000 habitants dans la province d’Albacete.

Puisqu’il n’est pas question de soupçonner les organisateurs d’ignorer le talent de ce torero, on est  en droit de se demander quel aveuglement ou quelle combine peut bien être la cause de cette quasi absence.!

J’exagère peut-être, mais j’affirme que Curro Díaz est un des matadores les plus intéressants du circuit. Son allure, la douceur et et le délié de ses gestes, son arrogance tranquille : tout en lui respire le toreo grande.

Il vient de Linares, pays de mineurs. Hier à Alès, pays de mineurs, il n’a pas seulement surclassé ses compagnons de cartels, il a donné deux somptueuses leçons d’art tauromachique.

 

12 Jan

Les vœux de Juan

JuanTout le monde est supposé les ignorer, mais chacun les connaît dans les grandes lignes. Les cartels de la feria d’Arles seront rendus publics samedi prochain et le public qui remplira, comme chaque année, la vaste salle des fêtes du boulevard des Lices feindra de découvrir le programme des festivités.

On s’enthousiasmera devant telle juxtaposition audacieuse: Untel et Untel mano a mano, quelle surprise! On se réjouira de l’inclusion de tel autre devant tel élevage.

On se lamentera de telle ou telle absence.

Comme le faisait judicieusement remarquer Marc Lavie dans l’éditorial de la dernière livraison de Semana Grande, le vieillissement du public des arènes accompagne le vieillissement des toreros engagés.

Arles n’échappe pas à cette règle, on en aura la confirmation probable samedi prochain. Un des toreros locaux, Juan Leal, ne cache pas qu’il sera absent de la feria. Il n’en nourrit aucune amertume. C’est ce qu’il dit. Feignons de le croire…

 

12 Déc

Les toros et les gratte-ciel

toro rougeCertaines arènes d’Espagne ferment leurs portes. D’autres ne trouvent personne pour les gérer. L’ancestral « carnaval taurin » de Ciudad Rodrigo a même été sur le point de ne pas pouvoir être organisé! Les organisateurs pleurent misère.

À Bogotá, la grève de la faim des toreros colombiens n’a pas encore donné le résultat escompté : aucune saison taurine n’est pour l’instant annoncée. À Quito, c’est pitié, les figuras espagnoles simulent l’estocade. Bref, l’hiver 2014 / 2015 s’annonce triste. Comme tous les hivers.

Mais il y a toutes les raison d’espérer. Quelques anciens toreros, et non des moindres, annoncent leur retour : Espartaco, Eduardo Dávila Miura. D’autres vétérans des arènes pensent relancer leur carrière en changeant d’apoderado : Eugenio de Mora, Frascuelo. L’empresa de Madrid – c’est inédit – prend sous son aile des toreros guerriers, pudiquement nommé « de milieu de tableau » : Manuel Escribano, Francisco José Espada. Et le village de Boujan sur Libron annonce cette semaine sa première feria de novillos pour juin 2015! C’est bien la preuve que la corrida a de l’avenir.

Et pendant ce temps, les toros courent et courent encore. Ils restent plus que jamais le symbole de la force et de la liberté. Regardez le spot publicitaire du rallye Paris Dakar.

http://www.motorcyclenews.com/sport/2014/december/red-bull-recruit-the-guardians-of-dakar/

 

Regardez le spot publicitaire de l’équipe de basket de Chicago.

 

25 Nov

Curro Díaz : les détails qui comptent

 

Dimanche 23 novembre, 10 heures, Rion des Landes. Au bord de la minuscule route qui tire tout droit à travers les pins, j’ai vu des types déguisés en employés d’autoroute, air concentré et gilet fluo sur le dos. J’ai mis du temps à comprendre, c’est une battue au gros gibier qui se préparait. Sur la place du village flotte un fumet irrésistible : des carcasses de canard. Il fait doux et gris, 150 personnes, debout sur l’airial devant les arènes, cassent goulûment la croûte. De l’autre côté des barrières Vauban, 7 anti-taurins (6 filles et un garçon) regardent la scène, légèrement héberlués. C’est un détail qui compte.

Je descends de voiture, le fourgon de Curro Diaz s’arrête à ma hauteur, le père du torero me demande son chemin : les toreros se changent dans un local à l’autre bout du village. C’est tout droit. Mot pour mot ce que m’a dit le torero la veille au soir : il n’y a rien de pire que se trahir soi-même, j’ai une ligne, je ne dois pas la quitter, il faut que je tire droit.

Curro est né il y a 40 ans à Linares. Sa maman a accouché à l’hôpital de la ville dans la chambre 18, c’est un détail qui compte.

Il ressemble à un torero, Curro. Œil sombre, cheveux noirs, tenues impeccables à la ville comme à la scène, silhouette et sourire irrésistibles : Javier Conde moins le miroir. On rêverait de le voir enfin à l’affiche d’une corrida de prestige, dans une feria de premier plan avec deux figures. Mais bon, pour le moment on est à Rion.

 

Ujne naturelle de Curro à Rion : la classe!

Une naturelle de Curro à Rion : la classe!

En mai 2011, à Séville, un toro de Manolo González lui inflige une terrible rouste. Son père s’appelle également Curro Díaz. C’est un bonhomme-allumette, petit, mince et extrêmement vif. Il vient le voir à l’hôpital après l’opération : « j’ai parlé avec les docteurs, tu pourras remarcher un jour, fiston, mais la tauromachie, c’est fini pour toi ». Trois mois plus tard Curro junior reprend l’entraînement et en 2012, il torée 18 corridas. Il faut savoir que Curro Díaz père a fait toute sa carrière comme agent hospitalier à Linares, ça n’a rien à voir, mais c’est un détail qui compte.

La fiesta campera commence à 11 heures du matin. 4 novillos de Jalabert et un toro de Darré. Je ne sais pas exactement ce qu’est une fiesta campera. D’après ce que j’en ai vu, c’est exactement comme un festival, les animaux sont « afeités », on torée, on pique, on banderille et on tue, mais il n’y a pas de présidence. Ce sont les toreros eux-mêmes qui attribuent les trophées à leurs camarades.

Ce qu’il y a de campero aussi et surtout, c’est l’ambiance, à la fois familière et solennelle. Depuis les gradins, on interpelle les toreros comme on s’adresserait à des cousins de retour au village pour la visite annuelle. Mais quand ça torée bien, les « olés » sonnent parfaitement juste. Le tout dans les effluves de la garbure qui se prépare juste à côté.

Dans ce spectacle sans enjeu apparent mais dans des arènes quasiment pleines, chaque torero se montre dans sa stricte vérité. Mehdi tente de rajouter du velouté à sa muleta : par moments, il y parvient; Juan Leal approfondit sans relâche son idée: se rapprocher encore plus des cornes et allonger encore plus le muletazo ; Louis Husson se cogne le novillo le plus remuant et le moins « obéissant » ; Pablo Aguado déroule face au plus commode et les gens disent : « il a de la classe ».

Curro Díaz a eu affaire au moins simple, un novillo de Jalabert de peu de charge. Mais il a eu quelques passages de naturelles qui ont vraiment du jus. Je les ai mis sur la vidéo. J’y ai rajouté deux petits bouts de l’interview que j’ai faite à deux pas des arènes juste après qu’il se soit douché. Il explique que c’est maintenant, à 40 ans, qu’il commence à être vraiment lui-même. Il dit aussi qu’il ne souhaite rien d’autre qu’une bonne santé à ses amis. Et pour lui, qu’on le laisse vivre.

C’est vraiment dommage que vous n’ayez pas l’odeur sur Internet. Pendant l’entretien, ça sentait la garbure et les grillades à plein nez : les gens avaient commencé à festoyer sous un chapiteau dressé à côté de l’arène. À 14 heures, je raccompagne le torero jusqu’à sa place à table et je file aussitôt : j’ai de la route !

De Rion jusqu’à Toulouse, plus le moindre chasseur, mais à chaque tournant une nouvelle carte postale sous les yeux. Il ne manque pas grand chose pour devenir optimiste. Arrivé à Nogaro, le téléphone sonne, c’est Rion. Les 6 + 1 anti taurins se sont « exprimés » : ils ont balancé du lacrymogène en direction du chapiteau ! Il ne leur suffit pas d’être bêtes : ils faut qu’ils soient méchants.

Et la chambre 18 de l’hôpital de Linares où a accouché la maman de Curro Díaz ? C’est celle-là même ou est mort Manolete en août 1947. Curro n’a pas vu le jour à la maternité de l’hôpital, mais dans l’aile « chirurgie ». C’est son père, spécialement bien placé dans la hiérarchie, qui a arrangé le coup…

 

03 Nov

Rafael de Paula « détient la vérité »

rafael-de-paulaJe détiens la vérité, en tant qu’être humain, je reste fidèle à moi-même. Je ne me trahirai jamais. Avant qu’il soit trop tard, cette vérité, je veux la dire.

Ainsi s’est exprimé Rafael de Paula, samedi dernier, 1er novembre, devant les journalistes qu’il recevait chez lui à Jerez de la Frontera. La veille, il était sorti libre, mais inculpé, d’un commissariat de la ville après avoir menacé son propre avocat.

Le torero a refusé de commenter en détail les faits qui lui ont valu de passer la nuit au poste. On sait simplement que l’avocat Manuel González Gamero travaillait bénévolement pour Rafael de Paula en raison de l’admiration qu’il lui vouait. Il s’agissait de tâches juridiques subalternes, visant à l’aider à régulariser certains documents.

Mais l’avocat avait refusé d’accéder à la demande du torero qui lui demandait de porter plainte contre la Duchesse d’Albe, l’éleveur Álvaro Domecq et l’homme d’affaires Pedro Trapote, considérant que cette requête « n’avait ni queue ni tête ».

Il semble que tout remonte, dans l’esprit de De Paula, au festival organisé en son hommage, et à son bénéfice, en 2006 à Madrid. À l’exception du matador Joselito, aucun des protagonistes de cet événement ne trouve grâce aux yeux de Rafael. Ni Enrique Martín Arranz (apoderado de Joselito), « un voleur » ; ni Morante qui a facturé à prix d’or sa participation ; ni Álvaro Domecq, « une mule », qui a voulu, semble-t-il, empêcher la célébration de cet événement, tout comme Pedro Trapote qui avait eu l’insultante idée de vouloir venir en aide au torero en organisant une fête flamenca plutôt qu’une corrida.

Il m’est resté un peu d’argent, explique Rafael de Paula, mais je ne peux pas dire combien. Je ne compte jamais les billets, pas même à la banque.

Profitant de cette tribune, Rafael de Paula se livre ensuite à un de ses exercices favoris : le dézinguage systématique de ses collègues, en exigeant des journalistes qui recueillent ses propos de les publier dans leur intégralité.

En voici le florilège.

Curro Romero

C’est un torero que j’admire, mais c’est un voleur. Lui qui aime tellement dormir, je me demande comment il trouve le sommeil après m’avoir quitté le pain de la bouche.

Manzanares

C’est un soldat romain.

Ponce

Il saisit le capote comme on accroche une chemise à un cintre et il triche avec la muleta.

Morante

Il est radin, il aurait dû laisser sa maison à son épouse après s’en être séparé. Ce n’est pas un artiste, même s’il a de la grâce. Il a du talent pour poser les banderilles et bien se positionner en piste pendant le deuxième tiers. Mais quand je l’ai pris en main (2006), il ne savait même pas tenir la cape et la muleta. C’est moi qui le lui ai appris. Et quand il torée correctement, c’est qu’il se souvient de mes leçons. Mais après toutes ces années de métier, il ne sait toujours pas conduire un toro vers le cheval de picador. Il a moins de jugeote qu’un moustique.

 

Pour conclure, Rafael a déclaré:

J’ai trois souhaits. Saluer le président Obama, car c’est un homme de bien; être reçu par sa Sainteté le Pape; donner l’accolade à Sœur Lucie (une religieuse qui anime des émissions à la télé) que je vois sur la 4 et que j’aime d’un amour platonique. 

On peut rire de cette situation. On peut ressasser la sentence de Chateaubriand. On peut trouver tout ça pathétique.

On peut se dire aussi qu’il doit être douloureux de continuer à vivre « normalement » après avoir été le dédicataire et l’inspirateur de « La música callada del toreo ».

27 Oct

L’élégance de Frascuelo

Frascuelo chapeauJ’ai demandé son âge à Frascuelo, c’est une faute de goût évidente, on ne pose pas cette question aux toreros qu’on chérit. Ni aux dames. Je n’ai pas d’âge, a-t-il répondu. Il marchait sur un chemin bordé de roseaux où les voitures d’aficionados étaient garées en désordre. Il était 17h30, le soir tombait selon le nouvel horaire inauguré le matin même.

Un type qui venait de s’éloigner pour faire pipi dans la roubine avant de reprendre sa voiture nous croisa et félicita le maestro qui le remercia et reprit la conversation avec moi.

On finit tous par devenir vieux, me dit Frascuelo qui s’était arrêté au soleil, mais si on devient vieux en continuant à toréer, c’est vraiment mieux. D’ailleurs il ne dit pas « devenir vieux », je traduis mal, il dit « prendre de l’âge ». Les rides de son visage parurent avoir un relief plus fort dans la lumière.

Il venait de toréer, mano a mano avec Camille Juan, 4 méchants novillos de l’élevage « La Cravenque » dans les petits arènes de Gimeaux pleines à craquer d’un public venu là pour passer un bon moment de détente. De ce point de vue, ça a été plutôt raté. On a distribué en tout et pour tout une oreille, et encore n’était elle pas totalement méritée. Ni Frascuelo ni Camille n’ont été à proprement parler « heureux avec les aciers » comme on disait dans les revues taurines du temps où Frascuelo était jeune (et moi aussi). Et les toros n’étaient pas du genre à autoriser la fantaisie.

Mais pour l’émotion, nous fumes servis! Carlos Escobar Frascuelo, tellement préoccupé par la perfection de sa silhouette qu’il en est presque raide, a donné une faena pleine de défauts sans doute, mais basée sur la très haute idée que cet homme se fait de l’élégance en général et de la sienne en particulier. Un régal.

J’ai laissé l’interview qui suit la faena en version originale. Je suis persuadé que même ceux d’entre vous qui ne parlent pas le castillan comprendront tout.

26 Oct

JB et la 246

JB et la vacheSamedi 25 octobre, Saint Martin de Crau.

J’ai pris le temps de flâner pour arriver jusqu’à Farinon, le mas des frères Granier à deux pas de l’autoroute qui file d’Arles à Salon, le long de ce qui fut la nationale 113.

J’ai longé le Vaccarès. La route était déserte. Mon auto a levé quelques oiseaux qui roupillaient dans les talus.

J’ai traversé Arles où le marché hebdomadaire déborde de chrysanthèmes, c’est la période.

Puis Raphèle où les réclames vantent alternativement le saucisson d’Arles véritable (à droite de la route)  et le vrai saucisson d’Arles (à gauche). Inutile de choisir, il y a belle lurette que cette spécialité n’est plus fabriquée dans le coin. Au point qu’on peut se demander si elle a jamais vraiment existé. Arles, après tout, excelle à faire vivre ce qu’on ne voit jamais.

Philippe Lapeyre « San Gilén » m’avait convié à une fête intime où on célèbrerait la fin de la saison de l’école taurine de Béziers en compagnie de quelques uns de ses élèves, de leur famille et de Juan Bautista. « On sera entre nous », m’avait-il précisé.

Au fond de la solennelle allée de platanes, le mas Farinon est encerclé de bagnoles. Il y a 100 personnes au bas mot, 150 peut-être. Comme il n’y a que cinq élèves de l’école taurine, il faut croire qu’ils ont chacun une très nombreuse famille.

Le troupeau des vaches grises a l’air de se régaler dans la luzerne.

Juan Bautista arrive pile à l’heure du rendez-vous. Pendant que les gardians trient les vaches qui devront être tientées, je constate qu’il est le seul à s’étirer. Longuement. Scrupuleusement. Les élèves de Philippe, magnifiquement vêtus « de campo » attendent, debout à l’ombre d’un arbre. Les familles s’esquichent sur une remorque posée en plein champ.

La seconde vache porte le numéro 246. Juan Bautista la torée à merveille.

 

23 Sep

Juan Leal et Daniel Luque

Juan Leal est au début de sa carrière, il commence l’escalade vers les sommets de la tauromachie. Rien ne dit qu’il arrivera en haut. Et s’il y arrive, nul ne sait quand. Mais une chose est sûre : il a choisi le sentier le plus escarpé, celui qui file tout droit et où se trouvent tous les dangers. Il appartient de toute évidence à la famille des toreros qui se sont forgés une personnalité en exposant au maximum leur anatomie à portée de cornes.
Diego Robles, qui fut le mozo de espadas de Paco Ojeda, explique que lors de ses deux premières saisons Ojeda n’a jamais quitté une arène sans qu’il faille lui recoudre – au minimum – la taleguilla. Est-ce un hasard? Paco Ojeda est le modèle de Juan Leal.
On se rappelle les débuts de Sébastien Castella, il y a 15 ans. Ses infatigables détracteurs lui reprochaient d’être sans cesse bousculé par les toros. Lui n’a jamais dévié de cette ligne. On voit où il est arrivé. Exactement à la place que vise Juan Leal : en haut!

Vendredi à Nîmes, devant un public trop peu nombreux et avare de son enthousiasme, Juan Leal a une nouvelle fois indiqué le chemin qu’il entendait emprunter pour arriver à ses fins.
Le toro de « El Torero » n’était pas spécialement un enfant de chœur et la faena n’est certes pas un modèle de fluidité. Mais à revoir les quelques courts extraits que j’ai filmés depuis le callejón, je suis convaincu d’une chose. Si Juan n’y arrive pas, ce ne sera pas faute de s’en être donné les moyens.

 

 

Daniel Luque est un sale gosse, répète-t-on dans le mundillo. Il engueule à haute voix (et en public) les membres de sa cuadrilla : ce n’est pas très « classe ». Il s’obstine à coller en fin de faena  ses enchaînements sans queue ni tête, ou plus exactement sans début ni fin, des deux mains et sans ayuda : ce n’est pas de très bon goût. Son paternel hurle des encouragements permanents à tort et à travers : ce n’est pas très discret.

Bref, il est insupportable.

Ajoutons que quand il n’est pas à l’affiche, il ballade dans le callejón une dégaine de morveux rigolard, lunettes de banlieusard et T.shirt de loulou. Pas très torera, comme tenue.

Luque en un mot, c’est le contraire de Finito de Córdoba, un parangon de l’élégance torera celui-là! Silhouette parfaite, œil de velours et sourire éclatant. Et avec ça, le charme de l’âge mur et une réputation « d’artiste ». Ce qualificatif – artiste – qui, partout ailleurs désigne un créateur, donc une personne courageuse et déterminée, s’emploie le plus souvent en tauromachie pour parler d’un torero inconstant, parfois même chichiteux. Passons.

Finito et Luque toréaient le même jour lors de la feria des Vendanges, dimanche 21 septembre. Le matin, Finito a coupé une oreille d’un triste toro de Zalduendo au terme d’une faena interminable et d’une estocade plus interminable encore. Le nombreux et bienveillant public nîmois s’est régalé de ses postures, de sa façon de marcher autour du toro et de quelques « détails » en début ou fin de certaines séries. Quant à moi, je l’avoue, je n’ai pas vraiment mordu au truc ce matin-là. Le toro était vraiment mou, il faisait chaud, et le sirop du ‘Concerto d’Aranjuez » (joué sur un tempo que Richard Anthony lui-même aurait trouvé trop ralenti) déversé sur toutes ces sucreries a fini d’engluer le tout.

Le soir, Luque a « touché » un toro de Daniel Ruiz sans autre intérêt particulier que d’aller et venir sans poser trop de problème. Il y avait une moitié d’arène à peine. Et personne dans les gradins n’était prédisposé à savourer des « artisteries ». Mais Luque ignore sans doute la convention qui établit qu’à Nîmes les « artistes « toréent le matin et les autres le soir.

J’ai revu les images tournées par Antoine Saravia et Michel Dumas. Quelque chose me dit que si le matin Finito avait proposé un début de faena aussi fluide les arènes auraient retenti de mille cris de joie et beaucoup d’aficionados seraient tombés en pâmoison.

Regardez.

 

 

Joël Jacobi

06 Sep

Le grand moment de Juan Bautista

Juan BautistaJe peux me tromper, je me trompe souvent. Mais j’ai vraiment l’impression que si Juan Bautista propose demain à Bayonne et samedi prochain à Arles une tauromachie aussi souveraine, aussi relâchée qu’hier à Fontanès, chez Gilles et Mathieu Vangelisti, alors les gens vont vraiment se régaler.

S’il a la chance – si nous avons la chance – qu’un toro charge avec autant de noblesse que les vaches d’hier, on risque de vivre des moments vraiment très intenses.

J’assiste à des tientas depuis des années. Et toujours avec autant de gourmandise. Il y a quelque chose de délicieux dans ces moments partagés avec un torero dans l’intimité du campo. Pour le matador et pour l’éleveur, c’est une séance de travail. Ce qui explique que pour l’aficionado invité, passées les premières minutes, cela peut quelquefois se transformer en un interminable pensum. La vache tombe, le picador hurle, le torero s’escrime, le ganadero s’empiffre de charcutailles et nous, on s’ennuie à mourir, on se demande comment s’évader de là sans être trop impoli.

Rien de tout ça hier. La ganadería San Sebastián, nouvelle venue dans le paysage taurin français, est installée en plein terroir viticole, à Fontanès, tout près de Saint Mathieu de Tréviers dans l’Hérault. Les silhouettes tutélaires du Pic Saint Loup et de l’Hortus surplombent la finca, où poussent les pins, les cades et les chênes kermès qui griffent les mollets des randonneurs venus de Montpellier depuis plusieurs générations. Les yeux de Vangelisti père et fils brulent d’une même passion. Surtout, les quatre vaches tientées ce samedi, d’origine Jandilla, ont toutes présenté ce mélange de noblesse et de piquant qui font le délice des aficionados et révèlent la technique du torero.

Juan Bautista, on le sait, est un technicien hors pair. Mais hier, vêtu comme pour aller faire le marché du samedi aux Lices, il a montré un je ne sais quoi en plus. Quelque chose qui tient de la décontraction, de l’autorité tranquille qui me laisse penser que demain à Bayonne et samedi prochain à Arles…

 

Joël Jacobi