25 Nov

Curro Díaz : les détails qui comptent

 

Dimanche 23 novembre, 10 heures, Rion des Landes. Au bord de la minuscule route qui tire tout droit à travers les pins, j’ai vu des types déguisés en employés d’autoroute, air concentré et gilet fluo sur le dos. J’ai mis du temps à comprendre, c’est une battue au gros gibier qui se préparait. Sur la place du village flotte un fumet irrésistible : des carcasses de canard. Il fait doux et gris, 150 personnes, debout sur l’airial devant les arènes, cassent goulûment la croûte. De l’autre côté des barrières Vauban, 7 anti-taurins (6 filles et un garçon) regardent la scène, légèrement héberlués. C’est un détail qui compte.

Je descends de voiture, le fourgon de Curro Diaz s’arrête à ma hauteur, le père du torero me demande son chemin : les toreros se changent dans un local à l’autre bout du village. C’est tout droit. Mot pour mot ce que m’a dit le torero la veille au soir : il n’y a rien de pire que se trahir soi-même, j’ai une ligne, je ne dois pas la quitter, il faut que je tire droit.

Curro est né il y a 40 ans à Linares. Sa maman a accouché à l’hôpital de la ville dans la chambre 18, c’est un détail qui compte.

Il ressemble à un torero, Curro. Œil sombre, cheveux noirs, tenues impeccables à la ville comme à la scène, silhouette et sourire irrésistibles : Javier Conde moins le miroir. On rêverait de le voir enfin à l’affiche d’une corrida de prestige, dans une feria de premier plan avec deux figures. Mais bon, pour le moment on est à Rion.

 

Ujne naturelle de Curro à Rion : la classe!

Une naturelle de Curro à Rion : la classe!

En mai 2011, à Séville, un toro de Manolo González lui inflige une terrible rouste. Son père s’appelle également Curro Díaz. C’est un bonhomme-allumette, petit, mince et extrêmement vif. Il vient le voir à l’hôpital après l’opération : « j’ai parlé avec les docteurs, tu pourras remarcher un jour, fiston, mais la tauromachie, c’est fini pour toi ». Trois mois plus tard Curro junior reprend l’entraînement et en 2012, il torée 18 corridas. Il faut savoir que Curro Díaz père a fait toute sa carrière comme agent hospitalier à Linares, ça n’a rien à voir, mais c’est un détail qui compte.

La fiesta campera commence à 11 heures du matin. 4 novillos de Jalabert et un toro de Darré. Je ne sais pas exactement ce qu’est une fiesta campera. D’après ce que j’en ai vu, c’est exactement comme un festival, les animaux sont « afeités », on torée, on pique, on banderille et on tue, mais il n’y a pas de présidence. Ce sont les toreros eux-mêmes qui attribuent les trophées à leurs camarades.

Ce qu’il y a de campero aussi et surtout, c’est l’ambiance, à la fois familière et solennelle. Depuis les gradins, on interpelle les toreros comme on s’adresserait à des cousins de retour au village pour la visite annuelle. Mais quand ça torée bien, les « olés » sonnent parfaitement juste. Le tout dans les effluves de la garbure qui se prépare juste à côté.

Dans ce spectacle sans enjeu apparent mais dans des arènes quasiment pleines, chaque torero se montre dans sa stricte vérité. Mehdi tente de rajouter du velouté à sa muleta : par moments, il y parvient; Juan Leal approfondit sans relâche son idée: se rapprocher encore plus des cornes et allonger encore plus le muletazo ; Louis Husson se cogne le novillo le plus remuant et le moins « obéissant » ; Pablo Aguado déroule face au plus commode et les gens disent : « il a de la classe ».

Curro Díaz a eu affaire au moins simple, un novillo de Jalabert de peu de charge. Mais il a eu quelques passages de naturelles qui ont vraiment du jus. Je les ai mis sur la vidéo. J’y ai rajouté deux petits bouts de l’interview que j’ai faite à deux pas des arènes juste après qu’il se soit douché. Il explique que c’est maintenant, à 40 ans, qu’il commence à être vraiment lui-même. Il dit aussi qu’il ne souhaite rien d’autre qu’une bonne santé à ses amis. Et pour lui, qu’on le laisse vivre.

C’est vraiment dommage que vous n’ayez pas l’odeur sur Internet. Pendant l’entretien, ça sentait la garbure et les grillades à plein nez : les gens avaient commencé à festoyer sous un chapiteau dressé à côté de l’arène. À 14 heures, je raccompagne le torero jusqu’à sa place à table et je file aussitôt : j’ai de la route !

De Rion jusqu’à Toulouse, plus le moindre chasseur, mais à chaque tournant une nouvelle carte postale sous les yeux. Il ne manque pas grand chose pour devenir optimiste. Arrivé à Nogaro, le téléphone sonne, c’est Rion. Les 6 + 1 anti taurins se sont « exprimés » : ils ont balancé du lacrymogène en direction du chapiteau ! Il ne leur suffit pas d’être bêtes : ils faut qu’ils soient méchants.

Et la chambre 18 de l’hôpital de Linares où a accouché la maman de Curro Díaz ? C’est celle-là même ou est mort Manolete en août 1947. Curro n’a pas vu le jour à la maternité de l’hôpital, mais dans l’aile « chirurgie ». C’est son père, spécialement bien placé dans la hiérarchie, qui a arrangé le coup…

 

03 Nov

Rafael de Paula « détient la vérité »

rafael-de-paulaJe détiens la vérité, en tant qu’être humain, je reste fidèle à moi-même. Je ne me trahirai jamais. Avant qu’il soit trop tard, cette vérité, je veux la dire.

Ainsi s’est exprimé Rafael de Paula, samedi dernier, 1er novembre, devant les journalistes qu’il recevait chez lui à Jerez de la Frontera. La veille, il était sorti libre, mais inculpé, d’un commissariat de la ville après avoir menacé son propre avocat.

Le torero a refusé de commenter en détail les faits qui lui ont valu de passer la nuit au poste. On sait simplement que l’avocat Manuel González Gamero travaillait bénévolement pour Rafael de Paula en raison de l’admiration qu’il lui vouait. Il s’agissait de tâches juridiques subalternes, visant à l’aider à régulariser certains documents.

Mais l’avocat avait refusé d’accéder à la demande du torero qui lui demandait de porter plainte contre la Duchesse d’Albe, l’éleveur Álvaro Domecq et l’homme d’affaires Pedro Trapote, considérant que cette requête « n’avait ni queue ni tête ».

Il semble que tout remonte, dans l’esprit de De Paula, au festival organisé en son hommage, et à son bénéfice, en 2006 à Madrid. À l’exception du matador Joselito, aucun des protagonistes de cet événement ne trouve grâce aux yeux de Rafael. Ni Enrique Martín Arranz (apoderado de Joselito), « un voleur » ; ni Morante qui a facturé à prix d’or sa participation ; ni Álvaro Domecq, « une mule », qui a voulu, semble-t-il, empêcher la célébration de cet événement, tout comme Pedro Trapote qui avait eu l’insultante idée de vouloir venir en aide au torero en organisant une fête flamenca plutôt qu’une corrida.

Il m’est resté un peu d’argent, explique Rafael de Paula, mais je ne peux pas dire combien. Je ne compte jamais les billets, pas même à la banque.

Profitant de cette tribune, Rafael de Paula se livre ensuite à un de ses exercices favoris : le dézinguage systématique de ses collègues, en exigeant des journalistes qui recueillent ses propos de les publier dans leur intégralité.

En voici le florilège.

Curro Romero

C’est un torero que j’admire, mais c’est un voleur. Lui qui aime tellement dormir, je me demande comment il trouve le sommeil après m’avoir quitté le pain de la bouche.

Manzanares

C’est un soldat romain.

Ponce

Il saisit le capote comme on accroche une chemise à un cintre et il triche avec la muleta.

Morante

Il est radin, il aurait dû laisser sa maison à son épouse après s’en être séparé. Ce n’est pas un artiste, même s’il a de la grâce. Il a du talent pour poser les banderilles et bien se positionner en piste pendant le deuxième tiers. Mais quand je l’ai pris en main (2006), il ne savait même pas tenir la cape et la muleta. C’est moi qui le lui ai appris. Et quand il torée correctement, c’est qu’il se souvient de mes leçons. Mais après toutes ces années de métier, il ne sait toujours pas conduire un toro vers le cheval de picador. Il a moins de jugeote qu’un moustique.

 

Pour conclure, Rafael a déclaré:

J’ai trois souhaits. Saluer le président Obama, car c’est un homme de bien; être reçu par sa Sainteté le Pape; donner l’accolade à Sœur Lucie (une religieuse qui anime des émissions à la télé) que je vois sur la 4 et que j’aime d’un amour platonique. 

On peut rire de cette situation. On peut ressasser la sentence de Chateaubriand. On peut trouver tout ça pathétique.

On peut se dire aussi qu’il doit être douloureux de continuer à vivre « normalement » après avoir été le dédicataire et l’inspirateur de « La música callada del toreo ».