Niño

Tout est là. Deux enfants, l’un roux, assez grand qui pousse un toro roulette vers son cousin plus petit, brun. La passe de cape est afarolada et le jour de printemps doux. Ca se passe dans une ruelle blanche andalouse. A l’entrée de la bourgade, il y a un panneau qui annonce la Puebla del Río. Plus loin dans la plaine on voit un large serpent sillonner liquide vers l’horizon. A une vingtaine de kilomètres de cette rue encore fraiche d’ombre, il y a le rêve d’enfant traversé par le serpent, Séville et son Guadalquivir, une cathédrale mosquée avec ses oranges, une arène blanche au sable ocre tiré des carrières d’Alcala de Guadaíra et des clochards endormis qui boivent trop de Cruzcampo.

Morante de la Puebla et son cousin Juan Carlos Morante, enfants et déjà la passion du toro...

Dans la ruelle de la Puebla, les deux enfants parlent peu, ils s’essoufflent, transpirent, se comprennent par les regards. Il y a le chant des oiseaux, celui de la roue qui couine un peu et une voiture qui passe en haut de temps en temps. Dans les quelques paroles échangées se joue le jeu des toros, un jeu de l’appel, comme ces cris envoyés à l’entrée des cavernes « hé » « ho », « ho » « hé », ça résonne et vroum voilà la toro écho sorti de sa grotte.
Aujourd’hui c’est samedi, l’école, les devoirs, oubliés. Pour l’instant ils rêvent de devenir comme les toreros vus dans la télé. Celui-là qui se prend des coussins sur la tête et qu’ils appellent le Pharaon, celui-là qui a une tête toute molle et des allures de gitan, qui marche les pieds dedans parce que ses genoux sont usés, les tontons l’appellent Rafaé parce que les tontons ils ont des accents de la Puebla.
« Viens toro ! » et le cousin roux accourt avec le chariot, baisse les cornes, et olé l’afarolada contre la barrière. Tu souffles fort quand les cornes passent, tu as entendu les grands de la Puebla qui s’entrainent de salon faire ce « huisss ».
Dans quinze ans, vingt ans, tu feras tomber les compliments comme les œillets et tu ne le sais pas encore. Dans quinze ans, vingt ans tu seras l’un des plus reconnus. On te dira que tu es artiste. Et c’est quoi être artiste d’ailleurs ? C’est comme lui qui chante avec son visage défait qui se plie et se déplie ? Celui qu’on appelle Camarón, ? L’a pourtant pas une tête de crevette. C’est ça être artiste ?

Quinze ans, vingt ans, tu ne sais pas où c’est. Le cri joyeux des hirondelles, ton cousin carreton et un verre de limonade bien sucrée, ça suffit. Tu rêves de devenir torero, tu le seras. Tu ne le sais pas encore, mais ça te posera quelques problèmes. La solitude au milieu de tout ce monde qui te sourit, ce vide qui prendra parfois trop de place dans tes poumons et ta gorge. Oui, pas simple le négoce avec la peur. Mais il y aura aussi la joie, les sentiments, l’élévation, le beau, la rencontre avec le seul toro. Le seul. Ce frère qui n’est pas toi.
C’est dans quinze ans, c’est dans vingt ans, on ne sait pas où c’est tout ça.
Ce dont tu es sûr c’est que dans tout ce temps, le cousin sera là.
Tu aimerais avoir un nom de torero à toi. José Antonio Morante Camacho, c’est un peu long, ce sera Morante de la Puebla. Tu t’appelleras Morante de la Puebla et ton cousin sera là. Vous serez sur le chemin des toros ensemble.

A table.
On appelle dans la maison.
Une dernière puerta gayola. Mets-toi là-bas cousin et sors fort.
Après, on ira dans la deux chevaux du tío, tu klaxonneras, on fera coucou, les gens seront contents de nous voir aller à la plaza.

La photo dans le Musée Morante qui n’existe pas encore à la Puebla del Ríó s’appellera sans doute « Morante de la Puebla enfant s’entraînant avec son cousin et futur valet d’épées, Juan Carlos Morante ». En attendant le musée, il y a toujours la Peña Morante de la Puebla. Calle Larga, 20. 41130 La Puebla del Río. Référencée comme club nautique par nos amis silicone valliens. Olé.

Merci à Don D. pour la photo transmise, un cadeau extrait de la toile ici

Antoine Beauchamp

11 Juin

Au ciel des volutes


De gauche à droite : Marc Blondel (leader du syndicat FO), Jérôme Savary et Guy Clavel (peintre). Photo : J.C. Martinez

A gauche, des lunettes ovales en guise de panama, la bague ronde du havane, l’alliance dorée de ses noces, les carreaux des bretelles. Au milieu une écharpe de deuil, le regard éternel sur les détails de la scène, le jeu d’un acteur, la faena d’un torero. A droite, les doigts sont les pinceaux des maîtres en quête de l’impossible palette, de l’inaccessible couleur que n’aura jamais le blanc. S’en est allé au centre, au pic de sa vie, le seigneur du milieu comme savent y mourir les grands toros.