02 Juil

Carnet de bord # 2

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Notre projet Richard III – Loyaulté me lie, s’il a débuté dans un hôpital psychiatrique, a aussi commencé par un présage. Un de ces « hasards » de l’Histoire, qui revêt une importance toute particulière pour Jean Lambert-wild, et pour un spectacle qui le hante depuis plusieurs années. Et ce hasard est plus qu’étrange : celui de la concomitance entre la dépouille retrouvée du véritable Richard III à Leicester et notre décision de faire advenir ce spectacle, lors de cette année 2013.

RICHARD III Jean Lambert-wild Bosworth (UK) 03 2015 ©Tristan Jeanne-Valès

RICHARD III Jean Lambert-wild Bosworth (UK) 03 2015 ©Tristan Jeanne-Valès

Au fond qu’implique un tel événement pour notre travail, au delà d’une coïncidence fortuite? Une déferlante de confrontations identitaires dont nous mesurons l’ampleur au fur et à mesure des répétitions : Richard III, le héros shakespearien livré à sa dépouille historique ; l’usurpateur diabolique de la pièce de théâtre, face à son squelette déterré sous le macadam du parking d’un centre ville ; mais surtout, l’acteur confronté au cadavre du personnage dont il interprète la fiction. D’emblée, l’expérience a quelque chose de résolument métaphysique : l’acteur contemple les ossements du corps qu’il va incarner.

RICHARD III Jean Lambert-wild Leicester (UK) 03 2015 ©Tristan Jeanne-Valès

RICHARD III Jean Lambert-wild Leicester (UK) 03 2015 ©Tristan Jeanne-Valès

De là, l’effet de miroir est foudroyant, à nous en faire tourner la tête. Le duo de Jean Lambert-wild et Elodie Bordas qui incarne avec fureur la confrontation de Richard avec les autres et lui-même – ce « Myself upon Myself » – dévoile une mise en abyme encore plus large et totale : abîme des personnages, abîme de l’Histoire, abîme des acteurs eux-mêmes. Au bout du compte, on en arrive à se demander : qui usurpe qui ? Richard III tyran-usurpateur dans la fiction ? Shakespeare s’appropriant l’identité d’un homme historique ? L’acteur et son clown s’arrogeant le personnage de Richard ? Et pourquoi pas, l’acteur lui-même usurpé par son rôle ?

RICHARD III Jean Lambert-wild Leicester (UK) 03 2015 ©Tristan Jeanne-Valès

RICHARD III Jean Lambert-wild Leicester (UK) 03 2015 ©Tristan Jeanne-Valès

Finalement la scélératesse du roi Richard nous semble faire pendant à la scélératesse de l’acteur qui l’incarne, l’interprète, et celle de ce clown qui déforme et révèle. Jean Lambert-wild est allé se recueillir sur le cercueil du véritable Richard III pour le faire ensuite revivre sur scène et s’écrier en fin de course « Je suis un scélérat – non, je mens, je n’en suis pas un ! ».

RICHARD III Jean Lambert-wild Leicester (UK) 03 2015 ©Tristan Jeanne-Valès

RICHARD III Jean Lambert-wild Leicester (UK) 03 2015 ©Tristan Jeanne-Valès

De ces multiples dualités, de ces identités mouvantes, surgit l’éclatement du Moi. « Richard aime Richard, à savoir Moi et Moi ». Mais dans notre décor de carrousel qui se déploie, les images projetées de fantômes, de visages, d’ombres, où tout est travesti, n’ont plus aucun repère : « Alors fuyons. Quoi, me fuir moi-même ? Pour quelle raison,
De peur que je me venge ? Quoi, moi-même de moi-même ? ».

RICHARD III Jean Lambert-wild Leicester (UK) 03 2015 ©Tristan Jeanne-Valès

RICHARD III Jean Lambert-wild Leicester (UK) 03 2015 ©Tristan Jeanne-Valès

Une question initiale s’est posée à notre travail et résonne maintenant à chaque instant : « Que veut Richard ? ». Mais au fond, nous demandons-nous, comment « vouloir » encore quand le sujet agissant est dépossédé de lui-même, éclaté dans l’espace ?  
«Ma conscience a mille langues différentes,
Et chaque langue raconte une histoire différente,
Et chaque histoire me condamne comme scélérat »