04 Avr

Christophe Guilluy : « France rurale et classes populaires : même combat ! »

Chantrans, Doubs

Chantrans, Doubs

« Une carte de l’INSEE est une vision politique qu’on veut nous imposer »  ou encore « Vous êtes les invisibles mais vous êtes majoritaires, vous représentez 60 % de la population française. » : Christophe Guilluy renverse les idées toutes faites. Et fausses !

Le géographe chercheur a donné une conférence samedi matin à Port-sur-Saône. C’est l’association de maires ruraux de Haute-Saône qui l’a invité pour son assemblée générale, à l’initiative de son président, Jean-Paul Carteret.

« Le rural est pensé non pas comme un avenir mais comme un poids… » Dans la salle, les maires ruraux boivent du petit lait, comme on dit chez moi !

Christophe Guilluy démonte déjà une façon de voir, imposée par l’INSEE, les politiques et les tenants de la métropolisation et de la mondialisation.

Il ne souhaite pas opposer les villes, les banlieues à la campagne et au monde rural. Pas de manichéisme chez lui. Il a, d’ailleurs, travaillé sur les banlieues et les ZUS, zones urbaines sensibles. Seulement la volonté d’un juste équilibre.

 

Des cartes de France très orientées

La France est souvent – toujours ? – représentée par le poids de ses grandes villes, de ses métropoles… Paris, Lyon, Marseille… Le chercheur propose une autre approche, le « négatif de la carte » : les trous, les vides (oui, là, les zones blanches qui ne reçoivent pas ou mal internet…) qui regroupent les zones périurbaines, les territoires ruraux, les villes petites et moyennes … soit 60 % de la population. Cette France-là, il la nomme « La France Périphérique », titre qu’il a donné à son livre paru en septembre 2014.

Ces zones sont très fragilisées parce qu’oubliées par les pouvoirs publics. Moins de services, des hôpitaux qui disparaissent, des écoles et des usines qui ferment… les maires ruraux de la Haute-Saône savent de quoi il est question.

 

Des populations fragiles

De plus, elles accueillent des populations elles-mêmes en grande précarité. Comme si la soif et la faim se réunissaient. On ajoute du négatif à du négatif. Dans ce cas, moins par moins ne donne pas du positif.

En effet, dans ces territoires, sont venus s’y installer les classes populaires, c’est-à-dire les ouvriers et employés, chassés des centres villes parce que les loyers sont devenus trop élevés pour leurs revenus. Sans oublier les retraités de ces mêmes classes populaires, au faible pouvoir d’achat. Encore un paradoxe : ces territoires ont des populations qui vieillissent plus que la moyenne nationale mais c’est là que sont supprimés les équipements de santé !

Pas étonnant que ce ces territoires-là donnent ses meilleurs scores au Front National…

 

Même nos politiques sont impuissants

Il a évoqué la mobilité, cette « fausse bonne idée »… un peu comme Alphonse Allais qui voulait que les villes soient installées à la campagne… Il a parlé des études supérieures, interdites aux jeunes de la France Périphérique qui ne peuvent pas payer un studio à Lyon ou à Paris…

Il considère, bien évidemment, que la réforme territoriale est une aberration, la création des grandes régions, une « idiotie » et la disparition des départements, un « enfumage »…

Mais les politiques de nos régions ont tellement peu de poids dans leurs partis respectifs, dirigés par des hommes et des femmes tellement concentrés sur l’élection présidentielle…

Les maires ruraux ont compris l’exposé de Christophe Guilluy : ils le vivent tous les jours. Mais je pense que de voir leurs difficultés « théorisées », « conceptualisées » par un géographe leur a fait du bien. Enfin, quelqu’un comprend leur quotidien de maire ! Il y consacre même ses recherches. Ces « invisibles-là » sont mis en lumière… Ils ont trouvé, avec lui, un « porte-parole ».

 

Et alors ?

Face à ces constats, pas de recettes miracles proposées par Christophe Guilluy.

Déjà, la France rurale ne doit pas être réduite à la France agricole, marginale, vieillissante et en voie de disparition. La France périphérique, c’est l’agriculture, mais aussi les classes populaires, les artisans, les commerçants, les industries… mais certainement pas les 10 % recensés par l’INSEE. « On ne pèse pas quand on pèse 10 % de la population, alors que vous êtes majoritaires. »

Reste à trouver les leviers pour se faire entendre.

Christophe Guilluy fait remarquer que la révolte des Bonnets Rouges de Bretagne (Mouvement de protestation contre la taxe poids lourds et les plans sociaux dans l’agroalimentaire) est partie du monde rural et des petites villes. Bref, mobilisez-vous.

L’action politique vient d’une prise de conscience puis d’un rapport de force entre deux camps. La minorité n’est pas – forcément – le camp des « Invisibles ».

 

 

Il a terminé son exposé par cette phrase : « Comment fait-on société ? » Une question qui ne doit pas interpeller que les maires ruraux de la Haute-Saône et les habitants de la « France Périphérique ».