15 Sep

Albi : quand le projet de la passerelle se transforme en pont d’or (pour la famille d’un élu)

La ville d’Albi offre de belles opportunités immobilières. La Communauté d’Agglomération du Grand Albigeois (C2A) a acquis un ensemble immobilier dans le cadre d’un projet de passerelle piétonne. Il s’agit d’une maison et d’un terrain. Valeur de la propriété : 203 500 euros. Mais la Communauté d’Agglomération va débourser 300 000 euros. C’est 30 % plus cher que l’évaluation faite par le service des Domaines. Un service appartenant à la Direction Générale des Finances Publiques.

Cette « inflation » du prix d’achat est justifiée par « la localisation stratégique » du bien et « l’intérêt général que revêt cette acquisition ». Néanmoins, l’opération immobilière pose question. La construction de la passerelle n’exigeait pas l’achat d’une maison et de l’intégralité de la parcelle. De plus, les propriétaires (concernés par le rachat) sont les parents d’un maire-adjoint de la ville d’Albi. Enquête.

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Le projet de passerelle va offrir un 4ème pont à la ville d’Albi. D’une longueur totale de 180 mètres et d’une largeur de 3, 50 mètres, ce nouvel ouvrage doit créer une passerelle (au sens propre comme figuré) entre l’hyper-centre de la Cité Épiscopale, le quartier de la Madeleine et la base de loisirs de Pratgraussals. Une base de loisirs qui héberge (notamment) le Festival Pause Guitare.

La réalisation du projet impose l’acquisition d’une parcelle. Problème, la parcelle est située sur une propriété privée. Les expropriations sont classiques en matière de travaux public. Rien d’extraordinaire. Et celle exigée par la construction de la passerelle est normale. Elle concerne une emprise de 1 489  m2 sur une parcelle dont la superficie totale est de 1 749 m2. Une maison avec une surface habitable de 110 m2 (avec une terrasse de 40 m2) est concernée. Mais, après expropriation, les propriétaires disposeront, toujours, selon Domaine de France, d’une parcelle restante de 260 m2.

Ce n’est pas la première fois que la mairie d’Albi ou la Communauté d’Agglomération procède à une expropriation. En revanche, les conditions ne sont pas toujours aussi favorables. La Communauté du Grand Albigeois est engagé dans un projet dit de  « La Plaine des sports » : élargissement de routes et création d’un rond-point. Un projet dans lequel des propriétaires sont expropriés. Toutefois, les négociations et les propositions de rachat ne sont pas vraiment avantageuses. L’un des expropriés a même dû saisir la justice pour obtenir une réévaluation du prix proposé par la Communauté d’Agglomération.

S’agissant des propriétaires impactés par le projet de passerelle, les choses sont beaucoup plus simples. Les vendeurs ont proposé 300 000 euros. La Communauté d’Agglomération offre… 300 000 euros. La délibération, en date du 12 novembre 2015, rappelle le déroulement de la transaction : « les négociations amiables se sont poursuivies (NDLR à partir du mois de mai 2015) avec les propriétaires de la parcelle. Aux termes de ces discussions, ces derniers, qui considèrent que leur bien sera déprécié en raison de la construction de la passerelle (risques d’impact sonores, visuels) et qui craignent les nuisances liés aux travaux ont proposé à l’Agglomération la cession de la totalité de leur bien au prix global de 300 000 euros hors frais« .

Toujours dans la même délibération, la C2A précise : « la valeur vénale de cet immeuble a été estimée par France Domaine à 203 500 euros« .

C’est une belle opération. Les propriétaires obtiennent 96 500 euros de plus par rapport à l’évaluation de France Domaine. Juridiquement, la Communauté d’Agglomération peut parfaitement ne pas respecter l’avis des services de l’Etat. La C2A le rappelle d’ailleurs dans sa délibération.

Mais les négociations entre les propriétaires et l’Agglomération ont été particulièrement fructueuses. Et même juteuses. Selon un agent immobilier, c’est probablement la plus belle plus-value de ces dix dernières années sur Albi. Domaine de France rappelle que l’ensemble immobilier a été acheté en 2005 pour un montant de 167 994 euros. En 10 ans, la valeur du bien a été multiplié par plus de 2. Le marché immobilier albigeois baisse depuis le début des années 2010 et une telle vente est exceptionnelle.

Cette belle affaire est-elle liée à un lien de parenté entre les vendeurs et un adjoint à la mairie ? Existe-il une prise illégale d’intérêt ?

L’élu concerné (le fils des vendeurs) s’est absenté lors des délibérations concernant ses parents. C’est une obligation légale. Sur ce point, la procédure et les textes (art L 2131-11 du Code Général des Collectivités locales) ont été respectés. Mais s’agissant de l’avis de Domaine de France ? Encore une fois, une collectivité peut passer outre un avis qui reste consultatif. D’ailleurs, la mairie d’Albi s’est éloignée, dans différents dossiers, des évaluations faites par les services de l’Etat. En revanche, comme le précise un juriste, « habituellement, quand un élu est concerné, même indirectement, par un dossier on se protège derrière l’avis de Domaine de France et on respecte le chiffrage qui est fait« .

La Communauté d’Agglomération du Grand Albigeois n’a pas respecté ce principe de précaution.

Un autre spécialiste des collectivités locales va plus loin : « la règle et l’usage veulent que la marge de négociation est de +10 ou -10 % par rapport à l’avis de France Domaine. 30% c’est beaucoup trop et en plus il faut tenir compte d’un critère : le lien entre la municipalité avec le vendeur« .

Laurent Dubois (@laurentdub)