03 Déc

Mort du juge Michel : affaire politique ?

Ce mercredi sort sur grand écran « La French » (*) dernière superproduction avec Jean Dujardin mais surtout l’histoire de la mort du juge Michel. Une affaire qui mêle politique et Milieu. L’auteur toulousain Thierry Colombié nous donne quelques clés supplémentaires pour comprendre ce dossier avec son ouvrage qu’il qualifie de « contre-enquête sur l’assassinat d’un incorruptible ».

L’ouvrage, comme le film, démarre sur les chapeaux de roues. « Monsieur, je vous invite à la prudence : oui, c’est une affaire politique mais peut-être pas celle que l’on croit » confie à Thierry Colombié la femme d’un avocat marseillais.

Une affaire où se mêlent milieu marseillais, mafia italienne et classe politique

Et l’auteur de poursuivre : « comprendre l’affaire Michel, offrir une version qui s’apparenterait à « une affaire politique », pour reprendre l’expression de l’épouse de l’avocat, nécessite en effet de replonger dans le contexte de la fin des années 1970, avant et après l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République. Et de faire un saut de l’autre côté des Alpes, à Palerme, Milan ou Rome, pour comprendre les enjeux liés à la guerre que se livraient les clans mafieux criminels et les représentants de l’Etat, sans oublier les manipulations dont furent l’objet les partis extrémistes, de gauche ou de droite ».

Comment en est-on arrivé là ? Autrement dit à ce 21 octobre 1981, 12h49, où un magistrat à moto est abattu de 3 balles en plein centre de Marseille. Le juge s’attaquait au Milieu, et à 38 ans à peine avait déjà fait arrêter plus 70 trafiquants de drogue, provoquant la haine de nombre d’entre eux. Au début du livre, Pierre Michel se rend à Palerme pour essayer d’établir des connections entre réseaux français et italiens. Un des malfrats qu’il interroge sans succès, Gerlando Alberti, dit le Zio, constate que « le Français s’acharnait à nier la puissance d’un monde souterrain qui, par bien des astuces comptables, participait à financer des caisses de nombreux Etats, donc à faire vivre magistrats et policiers. »

Un juge haï par le Milieu

Dans sa méthode d’interrogatoire le juge Michel ne fait pas dans la nuance bousculant verbalement ses adversaires qui commencent à lui vouer une haine farouche. « Le Zio aurait préféré un peu plus de reconnaissance de la part d’un juge qu’il pouvait éliminer, ce soir, (…) ou dans dix ans si Michel osait de nouveau se hisser à sa hauteur et le traiter de menteur ». Le juge procèdera de la même sorte avec le parrain Gaétan Zampa qui dément tout lien avec son assassinat.

Le juge Pierre Michel.  Photo AFP de Gérard Fouet

Le juge Pierre Michel.
Photo AFP de Gérard Fouet

Autre question majeure de l’enquête de Thierry Colombié : le juge Michel gênait-il d’autres sphères que celle des trafiquants de drogue ? « Tradition oblige, le Milieu finançait les campagnes électorales à droite comme à gauche » confie un policier à Lionel Collard, un des leaders du S.A.C. Le Service d’Action Civique, c’est à l’origine une « police parallèle » sensée constituer la « garde rapprochée » du général De gaulle à son retour en 1960. Mais vingt ans plus tard, le service d’ordre dérape et est mêlé à des affaires de détournement de fond et même à des assassinats. Il est dissous par Mitterrand en 1982.

« Regarder sous les jupes de la cinquième République »

C’est la tuerie d’Auriol qui est le déclencheur de cette mesure. Il s’agit de l’assassinat de Jacques Massié, chef local du SAC marseillais, et de toute sa famille. La scène est décrite sans fioriture dans l’ouvrage avec notamment la mise à mort d’un garçonnet. A la manœuvre : les hommes de Massié qui croient qu’il va les trahir au profit de la gauche. Certains d’entre eux sont incarcérés et le juge Michel instruit. « Il aurait fallu que le SAC lui-même soit mis en examen pour ratisser le plus large possible (…) renverser tous les placards de France et de Navarre ; or personne au sein de la magistrature ne parvenait, disait-on, à prendre une telle décision de peur que les profanes puissent regarder sous les jupes de la Cinquième République. »

Pierre Michel n’aura donc pas le temps de mener tous ses dossiers à leurs termes. Son assassin et ses complices sont retrouvés cinq ans après qu’il ait été abattu. C’est un repenti arrêté pour un trafic en Suisse qui livrera leurs noms. François Checchi a tiré pendant que Charles Altiéri pilotait la moto. L’opération était commanditée par deux membres de la French : François Girard et Homère Filippi. L’ouvrage de Thierry Colombié décrypte aussi magistralement les sombres motivations de ces hommes du Milieu.

Patrick Noviello

« La mort du juge Michel : contre enquête sur l’assassinat d’un incorruptible » Thierry Colombié, Editions La Martinière

« La French » de Cédric Jiménez, sortie le 3 décembre.

(* )Allusion à la « French Connection » réseau de narcotrafiquants qui importe de la morphine d’Orient, la transforme en France dans des laboratoires clandestins puis l’exporte aux Etats-Unis.