25 Juil

Lecture d’été : « Les antipolitiques »

 

 

Après avoir notamment expliqué au regard de l’histoire le phénomène mafieux (NDR : «Un pouvoir invisible : les mafias et la société démocratique (XIXème-XXIème siècle) », Jacques de Saint-Victor explore aujourd’hui une autre caste : celle des « antipolitiques ».

 

Et le récit commence là-aussi en Italie, par une lettre emblématique le « V » du « Vaffanculo » de Beppe Grillo. Un « qu’il aille se faire foutre » qui n’est pas sans rappeler le « Qu’ils s’en aillent tous » de Jean-Luc Mélenchon. Mais la comparaison entre les deux tribuns s’arrête là.

En parlant du Mouvement 5 étoiles de Grillo, l’auteur n’y va pas par quatre chemins en déclarant : « Rarement, depuis le fascisme, un mouvement mettant en cause la démocratie représentative, telle qu’elle a été pensée depuis 1789, n’aura rencontré autant d’adhésions ». C’est cette tendance qui en Italie est dite celle des « antipolitiques ». Démocratie plus directe par le net, véritable alternance de gauche, nouvelle forme de populisme qui change de celle de la Ligue du Nord ?

Pas assez de transparence

Mais qu’y-a-t-il de neuf dans cette lutte antisystème ? Tiens un ancien comique qui se lance en politique et veut tout envoyer valser, ça ne vous rappelle rien ? Dieudonné. Mais là aussi pas de comparaison directe à faire avec Grillo. L’antisystème s’est toujours dépolitisé, aujourd’hui il s’antipolitise nous explique de Saint-Victor. « Manif pour tous », « Bonnets Rouges » voire même « les indignés ». Les électeurs quittent les partis et s’autonomisent. Pas assez de transparence, défiance maximale envers la classe politiques.

Mais l’herbe est-elle plus verte chez les antis, en Italie et avec Grillo ? « La péninsule nous servira simplement de point de départ d’une réflexion sur les menaces qui pèsent sur notre démocratie de la part de ceux qui risquent de la perdre au prétexte de vouloir la sauver » nuance l’auteur. La crise de confiance, comme celle qui touche l’économie, est mondiale, poursuit-il.

A l’heure où l’UMP se demande s’il ne doit pas s’auto-dissoudre et renaître de ses cendres, il apparait que la France n’a jamais véritablement bouleversé son échiquier politique ces dernières années. En Italie, le peuple, lassé des « juges moralisateurs » de l’opération « mains propres » va miser sur la « politique spectacle » d’un certain Berlusconi. Le début de la fin ? De Saint-Victor cite Neil Postman : « Quand un peuple devient un auditoire, et les affaires publiques un vaudeville, la nation court un grand risque ».

La théorie du complot

Depuis, le charme s’est rompu et Berlusconi va jouer aux cartes dans les maisons de retraite pour purger sa peine. En qui peut-on donc avoir confiance ? En Grillo et lui seul, selon le principal intéressé, qui réactive volontiers la théorie du complot et se voit même comparer dans l’ouvrage par certaines de ses revendications au Tea Party.

Manque total de confiance à l’égard des médias également de la part de ses antipolitiques. Vous ne verrez jamais Grillon sur un plateau télé. Là encore, Berlusconi a fait pas mal de dégâts dans le secteur. L’occasion aussi pour nous, journalistes de nous remettre en question. Mais de là à se faire couvrir d’insultes par certains militants de cette antipolitiques sans rien dire, il y a quand même une limite…Nous ne sommes pas tous forcément là pour laisser de l’espace de cerveau disponible à Coca-Cola.

les-antipolitqiues-saint-victor-200x300Heureusement pour Grillo et son staff, voici l’avènement du web. Tous journalistes ? Plus crédibles sur la toile ? Le leader du M5S a d’ailleurs son « gourou du web » comme il a été surnommé : «Gianroberto Casaleggio. Et De Saint-Victor de se demander si, via le net, Grillo et consort ne sont pas dans une démarche marketing comme l’était le Cavaliere ?

Mais l’analyse de l’auteur sur le web est plus large : « Cette contre-culture, enfermée dans une défiance généralisée a remplacé la foi dans la politique par une fois sans limites dans la technique. Le Web nous délivrera du mal ! (…) Ce « don de dieu » comme l’a dit le pape François, introduit en réalité sans vergogne une inégalité entre les internautes, et ceux qui ne le sont pas, futurs « immigrés digitaux » voués à la subalternité éternelle. »

Bref, on en revient aux fondamentaux, notamment ceux développés par le penseur radical Slavoj Zizek cité dans l’ouvrage : « pour quelles raisons les idées dominantes ne sont pas celles des dominants ? » Seulement les partisans de l’antipolitique, eux, veulent du nouveau : « avant de changer le monde (…), ils entendent faire la « transparence » sur les pratiques de la vieille politique ».

« La transparence, déclare Grillo, est un préalable fondamental afin que la politique puisse redevenir l’art le plus noble au service des citoyens ». Ah la transparence ! Après le millefeuille (administratif), voici la tarte à la crème ! Et avec quels outils mesure-t-on cette transparence ? En se mettant au fond de l’hémicycle  et en observant, comme les députés du Mouvement 5S ?

Les chiens du peuple

« Ils se regardent comme le peuple qui juge, semblables aux sycophantes de l’ancienne Grèce, ces « chiens du peuple » (Démosthène) qui, à Athènes, traquaient et dénonçaient les malversations au pouvoir » explique de Saint-Victor. Et l’auteur de remettre les pendules à l’heure. « Il faut aller plus loin et affirmer que ce n’est pas la transparence qu’un citoyen doit exiger des pouvoirs. C’est la vérité. » « Mais le politique a le droit de ne pas tout déballer, ni sa vie privée, ni la cuisine politique qui aboutit à telle ou telle décision ».

« Les antipolitiques » s’achève sur un chapitre consacré aux « enragés de la démocratie direct ». Une démocratie qui vit l’arrivée au pouvoir de dictateurs comme Hitler ou Mussolini élus par le peuple d’où une question : comment limiter la souveraineté populaire tout en rétablissant la démocratie ?

Les antipolitiques se voient également comme un antidote, notamment via la démocratie digitale. « Siamo in guerra » (nous sommes en guerre) s’intitule l’ouvrage de Grillo et de son web mentor Casaleggio. Pas sûr qu’avec un tel point de départ, ils soient la solution à cette question.

Voter par internet ?

Supprimer le Parlement, un vote direct par internet, la boîte à outil est aussi large qu’étonnante. Toujours dans le même ouvrage, les deux compères ont aussi une drôle de conception de la question référendaire. Exemple : « demandez aux italiens s’ils préfèrent un hôpital performant ou bombarder la Lybie, (…) des transports publics modernes ou la guerre aux talibans ».

Le net pas plus démocratique et pas plus participatif (une foule reste une foule), voilà le constat fait par Jacques de Saint-Victor. Quant aux Grillini, pour l’auteur, ils n’échappent pas plus que d’autres militants à « la loi d’airain de l’oligarchie » diagnostiquée voilà un siècle par le sociologue Robert Michels.

La conclusion nous renvoie si ce n’est à un certain pessimisme, à un conseil de vigilance : « le projet des Lumières défini par Kant, était de sortir l’homme de sa minorité. En quelques « clics », ce dernier risque d’y retourner pour longtemps… »

 

Patrick Noviello