29 Oct

« Parisiens, journalistes … ceux qui voient la guerre de loin… » la rancoeur de Léon Mortreux

Dans sa lettre du 29 octobre 1915, le sergent Léon Mortreux s’inquiète pour sa famille à Béthune. Les obus tombent régulièrement sur la ville.

Léon Mortreux est inquiet et plus encore amer. Sa lettre laisse paraître une certaine rancoeur à l’égard de ceux « qui voient la guerre de loin » alors que les soldats et sa famille doivent subir les canonnades.

Toute autre est la situation des Parisiens qui voient la guerre de loin. Les journalistes qui dégoûtent par les histoires qu’ils racontent sur les tranchées, sur la guerre où ils n’iront jamais.

Son oncle Fernand Bar « exposé aux obus » à Béthune doit venir prochainement à Fontvannes en Champagne lui rendre visite. Mais Léon s’interroge sur un prochain départ pour le front.

Ce vendredi 29 octobre 1915, quand Léon Mortreux écrit cette lettre, un nouveau ministre de la guerre Joseph Gallieni est nommé dans le nouveau gouvernement d’Aristide Briand.

Que va faire de nous le nouveau ministre de la guerre ! Tout cela reste une énigme pour le pauvre trouffion.

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar, envoyée le 29 octobre 1915

Plus que les autres jours, en cette période de l’année, Léon Mortreux pense à ses 2 frères, Pierre Mortreux, son cadet tué à Steinbach en janvier 1915 et Jules Mortreux, son aîné tué à Vauquois en mars 1915 .

La Toussaint me rappelle cruellement la mémoire de Jules, Pierre, … et de bien des amis qui étaient presque des frères. Leur souvenir reste impérissable.

Correspondance de guerre il y a cent ans …
 

Fontvannes (Aube)
29 octobre 1915

Cher Oncle,

J’attendais ta lettre pour t’écrire.

Les deux lettres que je t’avais adressées pour te tuyoter au sujet de ta visite projetée pour Fontvannes avaient été mises à la poste à Paris par les sœurs d’un permissionnaire. Je regrette que celle de Béthune soit arrivée trop tard.

Enfin tu as maintenant les heures des trains et j’espère avoir bientôt la joie de te voir.

Je ne sais pas si nous sommes appelés à partir bientôt d’ici. On me dit ce matin que le peloton des instructeurs désignés par le commandement du régiment est dissous ! Que va faire de nous le nouveau ministre de la guerre ! Tout cela reste une énigme pour le pauvre trouffion.

J’ai écrit à Paris et attends une réponse. Je demande à Berthe l’impression de papa sur la catastrophe de la rue Tolbiac. Je voudrais bien qu’elle me dise aussi si elle entre au Ministère (près du 8é arrondissement si mes souvenirs sont exacts).

Je me renseigne auprès de Flore et des petites de ce qu’elles deviennent.

Ce que tu me dis des bombardements de Béthune me navre. Quoi, ils ne bougent donc pas de la région ! Tu auras été à la guerre plus que moi car enfin je ne suis pas exposé aux obus tous les jours…

Quelle poignée de main on doit te donner quand on te revoit après de telles canonnades. Vous vivez vraiment et continuellement d’émotions de la guerre. C’est inconcevable comme le temps agit, comme on se fait à l’insécurité.

Toute autre est la situation des Parisiens qui voient la guerre de loin. Les journalistes qui dégoûtent par les histoires qu’ils racontent sur les tranchées, sur la guerre où ils n’iront jamais.

Je te pense toujours bien portant, mon entorse est bien guérie. Dis à Monsieur Roven que je compatis de toute mon âme à la perte cruelle qu’il vient d’avoir en la personne de son gendre tombé héroïquement.

Merci pour les Petits Béthunois reçus dernièrement. Ils intéressent toujours les fils d’Artois.

La Toussaint me rappelle cruellement la mémoire de Jules, Pierre, … et de bien des amis qui étaient presque des frères. Leur souvenir reste impérissable. La guerre sera longue encore, il y aura encore maints combats pour trouver la vengeance ou la mort.

Dans l’attente de te lire et de t’embrasser je t’envoie mes plus affectueux baisers.
Ton neveu reconnaissant,
Léon