18 Déc

« La lutte sera longue et chacun doit s’attendre à avoir l’honneur d’y participer »

Ce vendredi 18 décembre 1914, Jules ne se fait plus d’illusion sur la durée de la guerre. Le soldat Jules Mortreux attend son départ du Dépôt de Rodez pour une destination encore inconnue, dans le Nord ou l’Est de la France.

A Rodez, le 122ème va toujours dans le Nord vers Ypres renforcer l’armée anglaise. L’autre régiment, le 276ème rejoint toujours l’Argonne dans l’Est. Mais où que ce soit, ce sera long !

On nous a lu au rapport une note ministérielle nous disant que la lutte sera longue et que chacun de nous, même territorial, doit s’attendre à avoir l’honneur d’y participer ; c’est les seuls bruits de paix que nous possédions en ce moment


Dans cette lettre de Jules Mortreux adressée à son oncle Fernand Bar à Béthune, Jules espère un départ pour Ypres en collaboration avec l’armée anglaise … pour des raisons pécuniaires.

Il parle de ses frères. Léon Mortreux « pivote » toujours à Vimoutiers et attend son évacuation sur son Dépôt de Marvejols. 

En revanche, les nouvelles de Pierre Mortreux sont inquiétantes. Il affronte les allemands dans l’Est de la France où se déroulent de « violents combats ». Il décrit « des paysages tristes … entourés de tombes ». 

J’ai reçu dernièrement une carte de Pierre il décrit le paysage « un campement du temps des Gaulois, mais bien triste, car de sérieux combats ayant eu lieu dans ces parages, je suis entouré de tombes. Il fait froid, et les nuits nous semblent interminables. Avec ça, l’ordinaire sur lequel nous comptons pour nous réchauffer, nous arrive toujours froid. A part ça, « le moral est bon »

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

Lettre de Jules Mortreux à Fernand Bar, envoyé le 18 décembre 1914

« Tant mieux si Béthune est un peu plus calme et si tu peux enfin fermer l’oeil en paix »

 

 

Correspondance de guerre, il y a 100 ans …

 

Rodez 18 décembre 1914
276 – 30 Cie Dépot

Mon cher Oncle,

Je viens te remercier pour la lettre bien intéressante du 14 décembre que j’ai lue avec un vif intérêt. Tant mieux si Béthune est un peu plus calme et si tu peux enfin fermer l’œil en paix. Je te remercie encore pour la délicate attention que tu témoignes à mon égard au point de vue monétaire. Toutefois en réunissant le débris de mes modestes capitaux, j’arriverai peut-être à en avoir assez pour adoucir quelquepeu l’ordinaire qui en a besoin.

Je me fais à ma litière, et j’arrive même maintenant à y faire des roupillons qu’envieraient certainement les habitants des tranchées neigeuses ! Nous pensons souvent à nos frères d’armes et les blessés qui arrivent chaque jour de ces parages (la plupart pieds gelés) nous apportent chaque jour de leurs fraîches nouvelles.

J’ai reçu dernièrement une carte de Pierre qui décrit le paysage « un campement du temps des Gaulois, mais bien triste, car de sérieux combats ayant eu lieu dans ces parages, je suis entouré de tombes. Il fait froid, et les nuits nous semblent interminables. Avec ça, l’ordinaire sur lequel nous comptons pour nous réchauffer, nous arrive toujours froid. A part ça, « le moral est bon »

Léon est toujours dans son hôpital, attendant son évacuation sur son Dépôt. On a demandé aujourd’hui des interprètes anglais, je me suis fais inscrire et mon capitaine m’a maintenu. J’ai donc chance d’aller voir le Nord.

Mon souhait est que ce soit avec l’armée anglaise (raison pécuniaire) car on nous place aussi avec l’armée française qui est en relation avec l’aile anglaise et là, ce n’est certainement pas la bonne place car on nous use comme homme de communication, et nous sommes souvent ou fait prisonniers ou visés. Enfin nous verrons ça par expérience, peut-être irai-je jusque Béthune, t’acheter du matériel pour nos alliés, j’espère que tu me réserveras une petite commission !

Il y a eu deux départs cette semaine, un pour le 76 dans l’Argonne, l’autre pour renforcer le 122 à Ypres. Il y en a un autre cette semaine, dont je devais être pour le 276 à Soissons. C’est mon inscription comme interprète qui me laisse ici momentanément à la disposition du chef de corps, mais je crains bien, à cause de cela, d’être envoyé comme interprète avec le prochain renfort du 122, régiment également localisé ici, et qui va toujours en renforcement à Ypres, par conséquent en collaboration avec l’armée anglaise.

As-tu des nouvelles du Général Laithiez ? Je vais lui envoyer un mot, il doit appartenir, s’il est toujours à Montauban au même corps d’armée que moi et ce peut m’être utile.

Je vais mieux, ne tousse plus, et n’éprouve pas ici des rhumatismes, étant à l’abri. Bien que ce soit que pluies et boues depuis quelques temps, ce qui n’a rien d’agréable pour les marches d’entraînement !

On nous a lu au rapport une note ministérielle nous disant que la lutte sera longue et que chacun de nous, même territorial, doit s’attendre à avoir l’honneur d’y participer ; c’est les seuls bruits de paix que nous possédions en ce moment. Il y a dans mon régiment pas mal de parisiens boute-en-train qui nous égaient un peu pour nous faire oublier les moments noirs qui nous viendraient, si nous réfléchissions trop souvent !

Au revoir, mon cher Oncle, espérons toujours que tout ira pour le mieux pour nous et pour tous. Je t’embrasse de tout cœur.

Jules Mortreux