04 Mai

Quand l’acadèmia verdejarà…

« Al cap dels sèt cent ans, verdejera lo laurel », au bout de 700 ans reverdira le laurier…Cette prédiction attribuée parfois au dernier cathare Bélibaste, peut-être fredonnée par un troubadour, si on la sort de son contexte lié au catharisme, pourrait avoir quelques résonances académiques. On parle ici, de la plus vieille d’Europe, fondée en 1324 par 7 bourgeois troubadours toulousains, bien décidés à ne pas attendre 700 pour voir le laurier reverdir après les désastres de la croisade. Ici, point d’académicien en vert, mais on y retrouve la symbolique des fleurs. Depuis presque 700 ans, l’académie des jeux floraux remet des récompenses aux écrivains et poètes en langue française mais aussi occitane. Tous les 3 mai, quasi sans interruption, 9 fleurs et de nombreuses médailles viennent récompenser des auteurs confirmés ou en herbe.

Les mainteneurs de l'académie des jeux floraux 2016. Photo : France 3

Les mainteneurs de l’académie des jeux floraux 2016.
Photo : France 3

L’acadèmia uèi

Tous les 15 jours environ, les académiciens se réunissent à l’hôtel d’Assezat de Toulouse dans l’un des salons réservés. Il y a  40 fauteuils (comme à l’académie française) dont 1 de réservé au maire de Toulouse et 1 autre pour le préfet. On y retrouve aussi des membres liés à l’occitan. Initialement, ce qui s’appelait alors « Consistori de la Subregaya companbia del Gai Saber (le consistoire du Gai Savoir) était bien là pour redonner des couleurs et manténer la lenga e  la cultura d’òc. Aujourd’hui, on compte donc 2 manteneires : l’abbé Georges Passerat (depuis 2002) et Philippe Carbonne (2009). On y retrouve aussi des « Maîtres Ès jeux floraux », des ayant remporté au moins 3 fleurs lors des concours et qui peuvent ensuite devenir des manteneires. André Lagarde est maître depuis 1982, Georges Passerat en 1990, Franc Bardou 2002, Philippe Carbonne 2005. Cette année, un Ariégeois exilé en région parisienne qui vient de connaître cet honneur : le félibre Jean-François Costes. L’académie a donc des liens privilégiés et naturels avec le félibrige, la langue d’oc, les capitouls, la religion… Cette année encore, les fleurs sont bénites le matin même lors d’une cérémonie célébrée par le père Passerat, tota en lenga nòstra à la Daurade, centre principal de la piété mariale toulousaine.

Las recompensas de 2016

Sur les traces de Ronsard, Voltaire, Rousseau, Vigny, Lamartine, Chateaubriand, Hugo mais aussi Goudouli et Mistral récompensés par l’académie, les lauréats 2016 se sont retrouvés salle des illustres à Toulouse. Le Capitole était le lieu initial de l’académie, on peut y voir une fresque de Jean-Paul Laurens relatant le premier concours et la première joïa remise au troubadour Arnaud Vidal pour sa canso à la vierge.

Fresque de Jean-Paul Laurens Photo : France 3

Fresque de Jean-Paul Laurens
Photo : France 3

Voilà pour le décor. Côté récompenses, une bonne trentaine de prix pour la prose, la poésie et la chanson poétique depuis 2006. Les œuvres occitanes et catalanes y sont en minorité et si l’on en crois le rapporteur du concours Philippe Carbonne  » ongan lo ramelet de poèmas porgit a Dòna Clamença es pas plan gròs… » Maria Dolors Forès Sedó gagne un narcisse d’argent pour son poème en catalan « Potser sí que era grisa la mar » et une mention pour le nouveau Maître Ès jeux floraux Jean-François Costes et son poème Reviscòl :

 

M’an dit qu’al blau miralh del vent

Le jorn li fèc aculhiment,

De pelhas d’aur vestida,

Se demorava al debrembièr,

Non dava pas pus alegrièr

Als ausents gardant consirièr

Que la cresián vencida.

René Raybaud de Seillons-Source-d’Argens (83) reçoit le prix Camille-Pujol, médaille d’argent pour son bestiaire poétique en provençal Li bestiouleto dóu pouèto.

Bénédiction des fleurs. Eglise Notre Dame de la Daurade (Toulouse). Photo : France 3.

Bénédiction des fleurs. Eglise Notre Dame de la Daurade (Toulouse).
Photo : France 3.

En revanche, le concours a vu fleurir des jeunes poètes et écrivains occitans, beaucoup vivaces et présents que leurs aînés. Dommage que l’on ne leur ait pas permis de lire leurs œuvres comme leurs homologues en français :

  • Une médaille d’argent aux élèves du lycée François Mitterrand de Moissac (82) pour 2 poèmes « Pimparèla » et « L’Academia ».
  • Même récompense pour Lluis Ferreres du collège Bellevue d’Albi pour son poème  « Lo poèma e la jurada ». D’autres élèves ont aussi reçu une mention.
  • Médaille d’argent aussi pour Victoria Dieu du lycée Saint-Sernin pour « Insomnias »

Le tout sous le regard bienveillant et parfois ému de Mona Ozouf, invitée d’honneur et récompensée par le Prix Béatrix de Toulouse-Lautrec (une création 2016) qui vient couronner l’oeuvre exceptionnelle d’une femme.

Un pauc d’istòria…

Pour la Toussaint de 1323, 7 troubadours de Toulouse instaurent les jeux floraux et invitent tous les poètes de langue d’oc à venir, au printemps suivant, dans un verger au Faubourg des Augustines, disputer devant lui une violette d’or. Le 3 mai 1324, Arnaud Vidal de Castelnaudary reçoit la première, immortalisée par Jean-Paul Laurens dans l’escalier du Capitole qui monte à la salle des Illustres. La Compagnie du Gai Savoir est née.

Son histoire racontée par un Maître Ès jeux : André Lagarde.

1356, las Leys d’Amors (Lois d’Amour) sont promulguées, des codifications et règles écrites par Guilhem Molinier et conservées à l’académie.

XVIème siècle, la Compagnie prend le nom de Collège de Rhétorique. Le français est désormais admis et va supplanter la langue d’oc. Depuis 1527, l’éloge de Clémence Isaure (inspiratrice et bienfaitrice des poètes) est prononcé le 3 mai. Cette journée devient la fête des fleurs.

1694 : la Compagnie est érigée en académie et prend le nom d’Académie royale des jeux floraux.

Sous la Révolution, l’académie disparaît en 1793 , certains membres sont décapités. Elle est rétablie en 1806 par Napoléon.


1895, sous l’impulsion de Frédéric Mistral membre de l’académie depuis 1875, l’académie retrouve ses vertus initiales, redevient bilingue et le restera. C’est aussi depuis 1895 qu’elle trouve son terrain de jeu à l’Hôtel d’Assezat racheté par Théodore Ozenne, non loin de la maison natale de Pierre Goudouli.

Bientôt, on célébrera donc son 700ème anniversaire. Il est encore trop tôt pour dire si d’ici là, le laurier aura reverdi, tant pour l’académie que pour la langue d’oc à la recherche de souffles nouveaux. Et pas seulement poétiques…

Lo Benaset