12 Déc

4 raisons de lire Aqua Tumulta de Pierre Caron

Si Aqua tumulta n’est pas le meilleur polar que j’ai jamais lu, il est très loin d’être le plus mauvais. Une écriture précise, fluide, une bonne intrigue. Et surtout un regard sur Lourdes, ses sanctuaires et son tourisme religieux. Voici 4 bonnes raisons de le découvrir.

Aqua-tumulta

Aqua tumulta est un polar publié chez Recto verso et écrit par Pierre Caron, auteur très célèbre au Québec notamment pour une saga historique sur la naissance du Québec.

L’histoire : Eté 2008, Benoît XVI doit se rendre à Lourdes pour les 150 ans des Sanctuaires. Un terroriste assassine alors plusieurs pèlerins en les empoisonnant avec de l’eau. Des millions de personnes sont attendues en Bigorre et sont donc menacées. Le recteur ne peut faire appel à la police sous peine d’ébruiter la menace. Il demande donc de l’aide à son vieil ami, l’ex-commissaire Jérôme qui va enquêter entre Brive et Lourdes.

 

  • Parce qu’il se passe à Lourdes

Il est toujours amusant de lire un roman qui se déroule dans des lieux connus. Il s’agit ici de Lourdes, décrite fidèlement, y compris dans ses déboires météorologiques. Ce n’est pas pour rien (n’en déplaise aux Lourdais que j’entends pester d’ici), qu’en Bigorre, on surnomme cette ville « le pot de chambre des Pyrénées ». Et si l’Hostellerie belge n’existe pas, elle aurait pu.

  • Pour sa vision du tourisme religieux

Le tourisme religieux de Lourdes (et d’ailleurs) est, depuis toujours, sujet de débat. Qu’on l’approuve ou pas, il existe bel et bien. Aqua tumulta en parle de manière précise et critique. Les problèmes d’hébergement, les commerces, les moultes nationalités qui se côtoient sans cesse, les va-et-vient incessants, la foule. Lourdes vit au rythme du Sanctuaire avec ses offices et ses temps forts (comme une visite de pape ou plus simplement une fête catholique).

  • Pour son regard critique sur le phénomène Lourdais

Aqua tumulta est certes une enquête policière mais c’est aussi un livre éclairant sur la genèse des Sanctuaires à Lourdes. Et des miracles dans les Pyrénées. Extrêmement critique mais très respectueuse de la sincérité des pèlerins. Pierre Caron ne cache pas, au travers de ses personnages, son scepticisme sur les miracles Lourdais. Et livre quelques vérités que certains oublient parfois. Entre autre que l’eau de Lourdes n’est que de l’eau du robinet.

  • Parce que l’intrigue est bien ficelée

Si dès le départ on sait qui est le méchant, on ignore tout de même comment il parvient à ses fins, à savoir, tuer. Et vous allez passer votre temps à vous demander comment diable il va se faire attraper. Un classique, j’en conviens, mais qui fonctionne très bien. les mateurs du genre seront donc ravis.

04 Nov

Pas pleurer de Lydie Salvayre : l’été 1936 en Espagne à deux voix

La guerre d’Espagne, pour moi qui suis originaire de l’ouest, n’évoquait pas grand-chose hormis de quelques passages dans mes livres d’histoire. En m’installant dans le Sud-Ouest, ce conflit est devenu bien plus réel. J’ai rencontré des des réfugiés espagnols, certains de leurs enfants et petits-enfants sont devenus des amis, mes voisins. Ils m’ont raconté leur histoire. Dans les rues, j’ai appris à savourer ce mélange de français et d’espagnol. Petit à petit, la guerre d’Espagne est entrée dans mon environnement, ma culture.lydie-salvayre-pas-pleurer

Pas pleurer de Lydie Salvayre a, dès ses premières pages, résonné en moi. Pas pleurer, c’est un récit de l’été 36 en Espagne à deux voix. Celle enthousiaste et humaine de Montje, paysanne de 15 ans (et mère de la narratrice) qui part à Barcelone vivre l’insurrection libertaire et y trouvera l’amour; et celle plus politique et lugubre de Bernanos qui assiste à la répression franquiste avec horreur.

Deux voix, deux visions, deux musiques différentes du même été. Montje c’est la musicalité du frangol, ce mélange de français et d’espagnol que j’entends au quotidien encore aujourd’hui, l’énergie de la jeunesse. Mais aussi les déchirements d’une société effrayée par ce vent révolitionnaire et tiraillée entre changement et tradition. Bernanos, c’est la désillusion, le désespoir d’assister à la répression qui a lieu sous l’oeil complaisant de l’Eglise catholique. Après cet été-là, Bernanos s’éloignera définitivement de l’extrême-droite de l’Action française et écrira un pamphlet violemment anti-franquiste « Les grands cimetières sous la lune« .

Un roman puissant, énergique sur la complexité de la guerre d’Espagne et de l’exil des républicains en France.

Pas pleurer de Lydie Salvayre est édité au Seuil

« Lydie Salvayre » par ActuaLitté — https://www.flickr.com/photos/actualitte/15029509499/. Sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0

« Lydie Salvayre » par ActuaLitté — https://www.flickr.com/photos/actualitte/15029509499/. Sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0

Lydie Salvayre est d’ailleurs elle-même fille de réfugiés espagnols. Elle a grandi à Auterive près de Toulouse. Sa langue maternelle n’étant pas le français, elle complexe longtemps (et encore un peu) sur les éventuelles fautes de langage qu’elle pouvait faire. Diplômée de littérature espagnole de l’université Toulousaine, elle est aussi psychiatre et a exercé à Aix et en région parisienne. Son premier roman, La Déclaration, est publié aux Editions Julliard en 1989. Son roman La Compagnie des spectres (1997) a reçu le prix Novembre et a été élu meilleur livre de l’année par le magazine Lire. En 2007 paraît Portrait de l’écrivain en animal domestique, suivi par BW en 2009 et Hymne en 2011. Plusieurs textes de Lydie Salvayre ont été adaptés pour le théâtre ou joués sous la forme de concerts-lectures. Sur le Blog à lire, nous vous avions déjà parlé de 7 femmes.

Lydie Salvayre et Pas pleurer dans Les bonnes feuilles sur France Culture

03 Nov

Autour du monde avec Laurent Mauvignier

LITTERATURE-MAUVIGNIER

Je l’attendais le nouveau roman de Laurent Mauvignier. Avec la crainte d’être déçue par un auteur qu’on aime. Ou d’être lassée par un écrivain qui ne saurait plus nous surprendre. Et là, j’ai tout eu. Ou plutôt je n’ai rien eu. Ni déception, ni lassitude. Juste de la surprise et au final, du plaisir.

Laurent Mauvignier, qui vit à Toulouse sans être Toulousain, nous a habitués à travailler à partir de faits réels. Le drame du Heysel, la guerre d’Algérie, la mise à mort d’un voleur à l’étalage. Pour son 9eme roman, c’est le tsunami au Japon, le 11 mars 2011. Une catastrophe qui fit plus de 18.000 morts et disparus.

©AFP

©AFP

La date de ce drame est le seul point commun entre les 14 personnages que nous fait rencontrer Laurent Mauvignier. Des personnages qui ne se croisent pas sauf sous la plume de l’auteur. Slovénie, Thaïlande, Russie, Japon, Tanzanie, chaque individu vit son histoire, son moment et n’est relié aux autres que fugitivement par cette catastrophe, simplement aperçue dans les médias.

Et une partie du talent de Laurent Mauvignier est de nous faire passer de l’un à l’autre sans que nous nous en apercevions, comme si nous observions ou croisions des passants dans la rue. Et au final, il donne à ces histoires inachevées et si différentes une étrange cohérence. Avec une écriture plus apaisée que dans ses précédents ouvrages, Mauvignier évite le danger d’une succession de nouvelles se déroulant toutes le même jour. Et réussit une nouvelle fois ce va-et-vient entre l’universel et l’individuel. Une réussite.front_cover

Autour du monde de Laurent Mauvignier est édité chez Minuit

  • Pour aller plus loin 

Toutes une série d’émissions (diverses et variées) avec Laurent Mauvignier sur France Culture à l’occasion de la sortie d’Autour du monde.

La genèse d’Autour du monde, par Laurent Mauvignier

09 Oct

Ville rose sang, quadruple meurtres à Toulouse

Il vit et il travaille à Toulouse. Il était donc naturel que Stéphane Furlan y situe l’action de Ville rose sang, publié chez Cairn, et les aventures de Victor Bussy. Toulouse écrasée par la canicule, un quadruple meurtre. Un auteur tout en simplicité.

Ville rose sang a été sélectionné pour le prix de l’embouchure remis lors du festival Polars du Sud ce week end.

En apnée noire avec Claire Favan

favanPour les amateurs du thriller, Apnée noire, qui est sorti début 2014 au Toucan noir devrait faire leur bonheur. Quelques années après l’exécution d’un tueur en série, de nouveaux meurtres sont commis. Ils imitent si précisément le mode opératoire du défunt que cela ne être l’oeuvre d’un copycat. Y aurait-il eu erreur judiciaire ? Pour mener l’enquête une miss FBI et ses obsessions et un flic looser traumatisé par son passé vont devoir faire équipe.

Si l’historie du tueur en série revenu d’entre les morts et les couples d’enquêteurs torturés sont des classiques du genre, Claire Favan les manie à merveille et montre une certaine maîtrise des codes du thriller. On a vite fait de se retrouver autant captivé par le dénouement de l’intrigue que par le ballet relationnel des enquêteurs. Qui manipule qui dans cette histoire ?

Claire Favan travaille dans la finance, Apnée noire est son troisième roman. Des livres qu’elle cogite dans les transports. Et non, elle ne vit pas en Midi-Pyrénées, n’y est pas née et si elle y a une grand-mère, je n’en sais fichtre rien. Pourquoi en parler sur ce blog me direz-vous ? Parce que Claire Favan est une des invité de Polars du Sud et que vous pourrez la rencontrer. Elle participe également à une table ronde avec Hervé Jouradin et Machaël Mention sur « Serial Killers, pourquoi fascinent-ils autant ? ». Ce sera vendredi 10 à 18h à la librairie de la Renaissance.

15 Sep

Un Auscitain et un Toulousain pour deux prix

L’écrivain auscitain Jean-Hubert Gailliot ne fait pas les choses à moitié, il les fait plutôt en double. Son sixième roman Le soleil est en course pour pas moins de deux prix en ce début septembre.

Tout d’abord le prix Webler-Fondation La Poste qui sera remis le 9 novembre. Organisé par la librairie les Abesses, son jury est composé de professionnels, de lecteurs, d’un salarié de la Poste et d’une détenue de la prison de Rennes. Il récompense un auteur qui sort des sentiers battus et des lignes marketing actuelles. Bref, plutôt un auteur original.

Le second prix n’est rien moins que le Médicis. Le soleil figure sur la première liste d’ouvrages en course. Le Médicis met à l’honneur un ouvrage dont l’auteur débute ou n’a pas encore une notoriété correspondant à son talent. 13 romans français sont en course dont celui d’un autre Midi-Pyrénéens, le Toulousain Laurent Mauvignier avec Autour du monde (editions de Minuit). le lauréat du prix Médicis 2014 sera connu le 4 novembre prochain.

Le soleil de Jean-Hubert Gailliot est paru chez l’Olivier. Il raconte la quête d’un manuscrit en Europe du sud. Jean-Hubert Gailliot a mis 8 ans pour l’écrire. Il est bien connu à Auch (et ailleurs) pour être un des créateurs des éditions Tristram.

Le Soleil de Jean-Hubert Gailliot et Les grands de Sylvain Prudhomme dans l’émission la dispute sur France Culture.

Dans Autour du monde de Laurent Mauvignier (editions de Minuit), le seul lien entre les personnages est l’événement vers lequel tous les regards convergent en mars 2011 : le tsunami au Japon, feuilleton médiatique donnant à tous le sentiment et l’illusion de partager le même monde.

Les bonnes feuilles sur France Culture : Autour du monde de Laurent Mauvignier

14 Juil

L’autan des nouvellistes… et plus si affinités

Personnellement, moi, je dis merci aux ateliers du Gué. Le temps de lire un seul livre et j’ai découvert ou re-découvert 17 écrivains toulousains. Pas mal non ?autan

Ils sont parfois connus parfois moins. Ils ont tous leur style, leur univers, leur écriture, leur souffle. Tous livrent dans l’Autan des nouvellistes une nouvelle. Oh bien sûr, je ne les ai pas toutes aimées ces nouvelles mais qu’importe. L’ouvrage a ouvert mon horizon à d’autres, et donné envie de poursuivre la rencontre avec des auteurs décidément très prolifiques sur la région toulousaine.

Alors, franchement, ne vous privez pas de ces nouvelles toulousaines qui vous donneront certainement des idées et des envies de lecture pour tenir jusqu’à l’été suivant.

L’Autan des nouvellistes à l’ Atelier du gué avec des textes de : Mouloud Akkouche, Michel Baglin, Marie-José Bertaux, Julien Campredon, Manu Causse, Magali Duru, Hélène Duffau, Didier Goupil, Alain Leygonie, Jean-Jacques Marimbert, Frédérique Martin, Alain Monnier, Serge Pey, Francis Pornon, Brice Torrecillas, Jan Thirion, Emmanuelle Urien.

08 Mai

Qui est le meurtrier qui sévit dans le vignoble de Gaillac ? Réponse avec Peter May

mayTerreur dans les vignes est le second volet d’une série (Assassins sans visage) mettant en scène Enzo MacLeod un ex-légiste de la police écossaise, installé depuis vingt ans dans le Lot où il stagne en tant que professeur de biologie à l’université. Un ex-légiste qui se penche sur le meurtre en plein vignoble de Gaillac d’un critique de vin redouté. Enzo MacLeod, très doué pour les enquêtes mais visiblement beaucoup moins pour ses relations avec les femmes qui prennent irrémédiablement une tournure… compliquée. Intrigue toujours bien ficelée, un anti-héros comme on les aime et des personnages secondaires qui contribuent à la réussite de ce roman policier sans prétention mais fort bien réussi qui mérite le détour. Une lecture réjouissante comme on les aime.

L’ecossais Peter May  est un scénariste pour la télévision et romancier. Il habite dans le Lot depuis plus de 10 ans.


Portrait Peter May par france3midipyrenees

05 Mai

Pourquoi diable le Goncourt 2013 est-il invité d’honneur de Toulouse Polars du Sud ?

Non c’est vrai quoi ! Pourquoi donc Pierre Lemaître, auteur du Goncourt 2013 (et prix France Télévisions) Au revoir là-haut est-il l’invité d’honneur du 6eme festival des littératures policières de Toulouse ? Parce que Au revoir là-haut, parle de deux poilus au lendemain de la première guerre mondiale qui vont monter ensemble une spectaculaire escroquerie au patriotisme juste après la fin de la grande guerre. Et dans le genre policier franchement, on peut faire mieux.

Vraiment ? Vous ne voyez pas ? Vous donnez votre langue au chat ? La réponse est sous la photo…Pierre lemaître

Tout simplement parce qu’avant d’être prix Goncourt, Pierre Lemaître est un des grand nom du polar français.

Son premier roman, il l’écrit à 50 ans. Travail soigné obtient le prix du premier roman du festival de Cognac. Les protagonistes de son livre sont des grands écrivains du roman noir et policier comme Bret Easton Ellis, Emile Gaboriau, James Ellroy, William McIlvanney

Viendront ensuite

  • Robe de marié (2009), l’histoire de Sophie, une trentenaire démente, qui devient une criminelle en série sans jamais se souvenir de ses meurtres
  • Cadres noirs (2010) qui met en scène un cadre au chômage qui accepte de participer à un jeu de rôle en forme de prise d’otages. Le livre est inspiré d’un fait divers réel survenu en 2005 à France Télévisions Publicité où avait été organisée une « prise d’otages fictive » des cadres dirigeants lors d’un séminaire afin de tester la cohésion d’équipe
  • Alex (2011) où  l’héroïne est tour à tour victime et meurtrière jusqu’à la conclusion qui retourne une nouvelle fois la compréhension que le lecteur peut avoir du personnage
  • Rosy & John
  • Sacrifices (2012). Travail soigné, Alex et Sacrifice constituent une trilogie d’enquête de Camille Verhoeven.

Le tout couronné de plusieurs prix : prix du Polar européen du Point, prix Polar des lecteurs du Livre de poche, prix du Meilleur polar francophone…

En quelques années, Pierre Lemaitre devient donc un cador du roman noir français traduit en 25 langues et reconnu à l’étranger où il reçoit des critiques élogieuses, notamment aux États-Unis, mais aussi en Angleterre où il obtient en 2013 le prestigieux Dagger International de la Crime Writers’ Association pour son roman Alex.

En fait, quand en 2013, le roman picaresque Au revoir là-haut, est publié chez Albin Michel, les adeptes de Pierre Lemaître ont du être un peu surpris.

Pierre Lemaitre travaille actuellement à l’adaptation cinématographique d’Alex qui sera porté à l’écran par James B. Harris (réalisateur qui fut le producteur de plusieurs films de Stanley Kubrick), ainsi que l’adaptation d’Au revoir là-haut pour la bande dessinée (avec Christian de Metter, sortie prévue en 2015) et pour le cinéma. Il écrit également un scénario original pour un film noir, en attendant de donner une suite à la fresque dont Au revoir là-haut constitue le premier volume.

Donc oui, quand on parle de polars et de littératures policières, Pierre Lemaître, il sait de quoi il parle.

03 Avr

Faber le destructeur : l’impeccable récit de la désillusion

FaberPour les gens comme moi, je veux dire, de mon âge autour de la quarantaine et qui présentent tous les signes de la normalité la plus totale, Faber réveille des choses, forcément. Ils nous balance en pleine tête les espérances auxquelles on a (ou pas) renoncées, la vie différente et exceptionelle que l’on rêvait (peut-être) d’avoir et que l’on s’est construit (ou pas).

Faber le destructeur, c’est l’histoire d’un trio à l’amitié fusionnelle. Il y a Faber gamin et ado surdoué, au charisme écrasant d’un côté et de l’autre Madeleine et Basile, fascinés par cet être qui semble les choisir, eux qui n’ont guère d’amis. Ces trois-là vont grandir, s’affranchir, s’affronter, se coltiner la réalité sociale et politique. Basile et Madeleine vont se noyer dans cette relation, incapable de s’en détacher, même devenus adulte. Faber, lui joue de la fascination qu’il exerce, découvre la déception qu’il engendre. Et doit assumer d’être une idole tombée de son piédestal.

Faber le destructeur, c’est aussi une réflexion sur le désir d’exister, sur l’imposture, les promesses non tenues. Sur la manières  dont on assume (ou pas) de n’être pas ce que l’on rêvait enfant ou adolescent.

Tristan Garcia est décidément un as de la construction de récit. Alternance des points de vies, du passé, du présent sans que l’on s’y perde, il mène son lecteur d’une poigne certaine, jusqu’au bout de son Faber. Et au passage créé de toute pièce un étonnant personnage, celui de la ville de Mornay, totalement imaginaire mais ressemblant tant à ces villes provinciales que l’on déteste et qu’on ne quitte pas.

Faber le destructeur est paru chez Gallimard.

 

  • L’auteurTristan Garcia

Tristant Garcia est né à Toulouse en 1981. C’est au lycée Pierre de Fermat qu’il a suivi ses enseignements de en classe prépa de lettres. Ecrivain et philisophe, il est enseignant à l’Université de Picardie. Son premier roman, La meilleure part des hommes, paru en 2008 a remporté le prix Flore 2008 à l’unanimité dès le premier touret sera adapté au théâtre en 2012. Faber le destructeur est son cinquième roman. Il a été sélectionné pour le prix du livre Inter qui doit être remis début juin.

 

  • Les extraits

Premier extrait

Nous étions des enfants de la classe moyenne d’un pays moyen d’Occident, deux générations après une guerre gagnée, une génération après une révolution ratée. Nous n’étions ni pauvres ni riches, nous ne regrettions pas l’aristocratie, nous ne rêvions d’aucune utopie et la démocratie nous était devenue égale. Nos parents avaient travaillé, mais jamais ailleurs que dans des bureaux, des écoles, des postes, des hôpitaux, des administrations. Nos pères ne portaient ni blouse ni cravate, nos mères ni tablier ni tailleur. Nous avions été éduqués et formés par les livres, les films, les chansons -par la promesse de devenir des individus. Je crois que nous étions en droit d’attendre une vie différente. Nous avons fait des études -un peu, suffisamment, trop-, nous avons appris à respecter l’art et les artistes, à aimer entreprendre pour créer du neuf, mais aussi à rêver, à nous promener, à apprécier le temps libre, à croire que nous pourrions tous devenir des génies, méprisant la bêtise, détestant comme il se doit la dictature et l’ordre établi. Mais pour gagner de quoi vivre comme tout le monde, une fois adultes, nous avons compris qu’il ne serait jamais question que de prendre la file et de travailler. À ce moment-là, c’était la crise économique et on ne trouvait plus d’emploi, ou bien c’était du travail au rabais. Nous avons souffert la société comme une promesse deux fois déçue. Certains s’y sont faits, d’autres ne sont jamais parvenus à le supporter. Il y a eu en eux une guerre contre tout l’univers qui leur avait laissé entr’apercevoir la vraie vie, la possibilité d’être quelqu’un et qui avait sonné, après l’adolescence, la fin de la récréation des classes moyennes. On demandait aux fils et aux filles de la génération des Trente Glorieuses et de Mai-68 de renoncer à l’idée illusoire qu’ils se faisaient de la liberté et de la réalisation de soi, pour endosser l’uniforme invisible des personnes. Beaucoup se sont appauvris, quelques-uns sont devenus violents. La plupart se sont battus mollement afin de rentrer dans la foule sans faire d’histoires. Ils ont tenté de sauver ce qui pouvait l’être: leur survie sociale. J’ai été de ceux qui ont choisi de baisser la tête pour pouvoir passer la porte de mon époque – mais pas Faber, hélas ou heureusement.

Et pour cette raison il n’a cessé de me hanter.

Deuxième extrait

Je n’ai pas le sens de l’orientation ; je ne saurais même pas dessiner la forme approximative de mon trajet. Mais à chaque tournant j’avais l’impression de sortir d’un grand cercle pour entrer dans un plus petit.

Quittant l’autoroute, j’avais emprunté la nationale. Après avoir fait demi-tour aux portes de la sous-préfecture, dans la zone artisanale dans laquelle je m’étais perdue, j’avais fait le plein dans une station-service et demandé mon chemin. Sur les conseils d’un jeune homme musclé, tatoué et plein de charme, je m’étais engagée dans une série de tunnels le long de l’ancienne voie ferrée. Puis j’avais bifurqué à droite au second carrefour, et maintenant il n’y avait plus qu’une voie, qui suivait les boucles serrées de la rivière.

J’ai éteint la radio d’information continue et d’un revers de main j’ai voulu éclaircir la vitre avant, poussiéreuse au-dedans, salie au-dehors par le chemin depuis Paris: la pollution, le vent d’autan et, à mesure que j’approchais du but, de plus en plus d’insectes contre le pare-brise.

En dépit des explications de mon mari, je n’étais jamais parvenue à utiliser le GPS de mon modèle Toyota Aygo noir – qui me faisait lui-même penser à un gros hanneton. Une épaisse carte routière de la France en accordéon m’avait permis d’atteindre cette route départementale du Couserans. Mais, au milieu du désordre qui régnait à mes pieds, plus moyen de mettre la main sur cette satanée carte, sans doute oubliée à la station-service à cause du jeune homme galant. Cassée en deux dans l’habitacle, j’ai plissé les paupières dans l’espoir d’apercevoir le nom d’Aulac sur un panneau du carrefour auquel aboutissait la départementale, à l’endroit où la rivière bordée de peupliers et d’acacias se divisait en deux minces filets d’eau. Basile et moi avions de bonnes raisons de penser qu’il habitait dans la vallée d’Aulac depuis l’échec de son aventure « autonome ».

Au mois de mars, l’Ariège commençait à dégorger la neige des torrents de montagne et le froid de l’hiver partait en fumée dans la clarté de l’air. À l’arrêt, j’ai commandé depuis mon siège la descente de la vitre du côté du conducteur afin de lire les directions indiquées au croisement. Aucune trace d’Aulac. Est-ce que je m’étais de nouveau égarée ? J’ai calé. Tout semblait me décourager de poursuivre et je me suis demandé si notre projet avait le moindre sens. Alors je me suis rangée puis j’ai fait quelques pas sur le bas-côté, en m’étirant: une trop longue matinée de route. Fatiguée, je me suis laissée aller à humer un instant l’odeur médicamenteuse des peupliers noirs, par-dessus le petit cours d’eau vif, qui serpentait sous une cabane fermée proposant des descentes en canoë pour l’été. La rivière était protégée par un muret derrière lequel, en me penchant pour respirer le faible parfum de l’eau fraîche, j’ai trouvé par terre un panneau. Peut-être décroché par des adolescents du coin lors d’une virée en mobylette. Sur la pancarte figurait la double direction d’Aulac et du col des Airelles, à six kilomètres à peine.

À l’approche de ma destination, j’ai voulu me recoiffer. Sous mes doigts aux phalanges gonflées par la moiteur, je n’ai pas retrouvé mes belles mèches de jeunesse, parce que je portais les cheveux courts depuis bientôt six ans. J’ai tout de suite pensé que Faber ne m’avait pas connue autrement que les cheveux longs ou au carré. Est-ce qu’il me reconnaîtrait ? Après une série de lacets au milieu d’une petite gorge, dramatisée par des filets et des avis d’éboulis, le soleil a réapparu sur la route encaissée. Encore décoré par le nom du porteur du maillot à pois du précédent Tour de France, l’asphalte s’est ouvert devant moi; il a paru glisser avec douceur jusqu’à un vallon jaune et vert. Quelques chevaux, des mérens courts sur pattes, vaquaient dans les champs. Le camping municipal était gardé par trois tracteurs et un Round Baller immobiles, dans l’attente d’août et de la saison des foins.

Garée sur le parking en gravillons d’une supérette fermée jusqu’à quinze heures, assoiffée, j’ai découvert un distributeur automatique de boissons dans le hall désert d’une maison de retraite, à l’entrée du village.

Tout en sirotant l’Ice Tea au citron que je venais de récupérer à la tirette, j’ai remonté à l’ombre l’allée de goudron lézardé qui menait au centre vide d’Aulac. Autour d’un chêne, des bancs et quelques places de parking dessinaient un carrousel, dont les seuls spectateurs m’ont paru être les vitrines du boulanger, du boucher, du marchand de journaux et du pharmacien. Trop petite, l’église en brique demeurait cachée derrière l’arbre, à l’entrée de la route du col des Airelles; moins timide, le grand café Au rendez-vous des chasseurs s’étalait sur un tiers de la place. Mais sa terrasse ressemblait à un port peuplé de vaisseaux aux pavillons en berne, les parasols fermés au-dessus de tables arborant le logo d’une boisson anisée.

De là partait une petite rue en côte, qui abritait une enfilade de quatre ou cinq magasins: une épicerie bio, un minuscule café, une librairie, une mercerie et une échoppe à la vitrine sale dont je n’ai pas très bien compris la fonction. Sur la porte de la librairie, un texte contre l’implantation d’une nouvelle antenne-relais par un opérateur téléphonique, qui arguait notamment de « l’emploi par les fabricants de téléphones cellulaires d’ouvriers indonésiens sous-payés et exposés à des substances hautement toxiques » ainsi que de « l’entreprise mondialisée de contrôle mental et de surveillance par les télécommunications ». Une affichette consacrée à la parution d’un volume sur les enjeux de la décroissance. Une série de dessins satiriques sur les chasseurs, l’actuel président de la République et Israël. Un appel à la résistance civique contre les expulsions de sans-papiers. La quatrième de couverture d’un ouvrage de deep ecology, des entretiens d’Arne Naess évoquant l’écosophie de ses dernières années. Enfin une longue citation de Günther Anders recopiée à la main.

La librairie était fermée et il n’était fait aucune mention de ses horaires d’ouverture.

Je suis entrée dans l’épicerie, où j’ai salué une femme entre deux âges. Extrêmement maigre, vêtue d’une longue robe de lin, les cheveux noirs parcourus d’une mèche blanche irrégulière, retenus en arrière et piqués d’une aiguille à tricoter. Elle se cassait le dos en deux à transporter dans l’arrière-salle des sacs de pommes de terre, entassés à même le sol. Soudain elle m’a aperçue et s’est excusée d’un bref mouvement du menton. Glissé par commodité entre ses lèvres, un bon de commande jaune l’empêchait d’ouvrir la bouche. La femme a disparu derrière un rideau de perles qui ont produit un léger bruit aqueux.

J’ai ôté une poussière de mon chemisier, parcouru du regard le panneau en liège près des premières étagères de céréales, au-dessus des caisses d’oignons et de tomates: des annonces pour des cours de feng shui, des prospectus de macrobiotique sur le kuzu, le miso et deux poèmes manuscrits non signés sur la « résistance armée des rêves » et la « dictature de la tristesse ».

Lorsque la femme est revenue se planter devant moi, j’ai découvert à la lumière du jour la peau asséchée de son visage dont le charme luttait encore pour ne pas devoir la déserter tout à fait. Il est apparu dans son expression quelque chose de si désespéré que je n’ai pu m’empêcher d’être frappée et de marquer un pas de recul. Je tenais à la main la photographie de Faber -qui m’a échappé; la femme l’a ramassée avant moi.

« Je le connais. Mais il a changé. »

Un instant, une idée imbécile m’a traversé l’esprit: Faber couchait avec elle et lui avait pompé toute sa vie, petit à petit. Est-ce que ça avait été sa maîtresse? S’amorçait peut-être l’une de ces pénibles discussions entre anciennes amantes éplorées d’un même homme. J’ai coupé court.

« Où est-ce qu’il est ?

-Vous êtes journaliste ?

-Sa plus vieille amie. »

Raide mais lasse, pressée de me voir partir.

« Si vous êtes une amie, dites-moi quelque chose qui me prouve que vous le connaissez. »

Je n’ai même pas réfléchi :

« Lorsqu’il est nu, il bégaie. »

Elle m’a indiqué le chemin des Airelles, à gauche trois kilomètres après la sortie d’Aulac: la baraque aux ânes.

J’avais l’impression d’avoir vaincu une vieille rivale. En observant sa réaction, j’avais acquis la certitude qu’elle ne connaissait pas la réponse avant que je la lui donne, qu’elle ne l’avait pas vu bégayer, donc qu’elle ne l’avait pas vraiment aimé et n’en avait jamais été aimée. Tandis que moi…

Après avoir regagné ma voiture, je me suis dirigée vers le col. Derrière une rangée de tilleuls quelques grappes de maisons à la charpente abîmée. Poursuivie par les aboiements de trois chiens gris qui en avaient après mes pneus, j’ai passé un pont et découvert une enfilade de demeures rénovées. Toitures en panneaux solaires, vieux corps de ferme aux extensions vitrées. J’ai roulé jusqu’aux abords d’un champ, au pied du flanc boisé d’une montagne dont le dernier tiers, à huit cents ou neuf cents mètres de hauteur, attirait tout particulièrement l’attention : il paraissait troué, à la suite d’un incendie ou comme si un géant atteint de démence en avait déchiré le revêtement forestier. Exposée au soleil, la pente était très raide. Tout en haut, clouée à l’extrémité de la terre pelée, une grange au toit croulant.

Mal entretenu, le chemin traversait d’abord le champ plat, avant de se perdre dans le bois. Subitement, il s’élevait. J’ai débouché sur une impasse à mi-distance du sommet. La piste cahoteuse s’arrêtait derrière une demeure tout en longueur envahie par le lierre. Sur la terrasse, deux vieilles dames en robes à fleurs bleu ciel jouaient au rami et buvaient du whisky, sans m’accorder la moindre attention.

Baissant la tête pour passer sous la frondaison envahissante des arbres, je les ai hélées.

« Comment accède-t-on à la grange, tout en haut ? »

La plus âgée s’est levée. S’est servie d’une énorme pelle en guise de canne et a boité jusqu’à moi. Elle n’entendait plus très bien.

« Qu’est-ce que vous dites ? »

En haussant la voix, j’ai réitéré ma demande.

« Ah. La baraque aux ânes. » Et elle a indiqué de sa main violacée le terrain au-dessus de nous, à découvert. Scrutant la montagne dans cette direction, je me suis aperçue de la présence incongrue de deux ânes gris le long des clôtures, qui m’ont montré leurs gencives et dont les oreilles ont frémi.

« Z’allez le voir, lui ?

-Oui. »

Sans bouger de son rocking-chair en osier, l’autre femme a laissé claquer sa langue comme pour m’avertir.

« Laissez-le tranquille. »

Lorsqu’elle a tourné son visage vers moi, j’ai découvert qu’elle était aveugle.

« Il a besoin d’aide.

-On lui donne à manger. Il est bien là-haut. »

Je me doutais qu’après le démantèlement du supposé réseau, Faber était passé entre les mailles du filet. C’était grâce aux articles sur les soupçons de sabotage du petit groupe d’autonomes que Basile et moi avions retrouvé sa trace.

« Je veux le voir. »

Celle qui marchait à l’aide d’une pelle m’a agrippée par le gras du bras et ses ongles ont labouré mon épiderme. Sans me laisser impressionner, je l’ai repoussée contre le mur couvert de crépi. Elle avait de la force, mais je savais me défendre.

« Laisse », a alors ordonné la plus âgée, l’aveugle, à sa camarade qui avait levé la grosse pelle pour me menacer.

« C’est comme ça. On ne peut pas l’empêcher. » Sa voix était triste et lasse. Elle a craché un noyau de cerise qui a roulé sur la terrasse de béton, jusqu’à la barrière.

« Z’avez qu’à prendre le chemin des ânes, le long de la clôture. Passez à gauche du champ, pis tournez à droite. Finirez bien par tomber dessus. »

Celui des deux ânes qui n’avait pas envie de chier m’a accompagnée avec placidité. À bout de souffle, j’ai atteint le bois qui bordait le champ presque à pic. Zigzaguant à travers les fougères, les mains sur les cuisses, je ne devinais même plus les restes de la vieille sente qui m’avait guidée jusque-là. Un sous-bois de contes pour enfant: épais, défendu par de nombreux arbres tombés en travers les uns des autres comme après une tempête. Des toiles d’araignée et des tapis de feuilles pourrissantes. Obliquant vers la ligne supérieure du champ à nu, j’ai enjambé une clôture électrifiée près de laquelle mon âne s’est arrêté. L’air indigné, il semblait me dire: je ne ferai pas un pas de plus. À la sortie du bois, les rayons aveuglants du soleil ont dardé contre mes yeux -que j’ai protégés d’un geste du poignet. Un terrain boueux m’est apparu. Puis une ruine que j’ai mis quelques secondes à identifier: c’était bien la petite grange que j’avais repérée depuis le pied de la montagne. Dos au bâtiment, j’ai pris soin de contempler le paysage, comptant et recomptant les kers devant moi, cherchant la rivière tout au fond, la route et le village. Où était le nord ? Le sud ?

« Qu’est-ce que vous foutez ici ? »

Parce que je me suis tournée brusquement, les pieds pris dans un fil qui délimitait plus ou moins le terrain tout autour de la baraque, je me suis vautrée dans la terre humide et molle. Je m’en suis voulu. C’était sa voix. Une fois de plus, je me suis présentée à lui ventre au sol -comme une enfant. J’étais pourtant une adulte de trente ans lorsque j’ai relevé mon visage vers Faber.

Lui dont les cheveux bouclés étaient jadis d’une opulence telle qu’il était impossible en le peignant d’apercevoir la peau de son crâne, il n’arborait plus que des mèches rares, lisses et grasses au-dessus d’un front marqué par l’eczéma. Il était maigre de tout ce qui dans un corps devrait manifester la santé. Gros ou boursouflé partout où l’organisme réclame d’être vif et tendu. Paupières plissées mais joues creuses. Ventre arrondi mais thorax rentré. Côtes apparentes et début de goitre. Il était laid. Pourtant, dès qu’il s’est mis en mouvement, je l’ai reconnu. Il s’est approché mais ne m’a pas tendu la main. Faber détestait qu’on le touche. Il m’a tout de même proposé d’attraper le manche de son râteau pour me relever.

« Madeleine ? »

© Gallimard 2013