21 Nov

Premiers pas

operation_drmaison

Voilà, je viens d’avoir les résultats du concours de médecine ! Je suis reçu ! Je vais pouvoir vivre mon rêve : être médecin !

Ma vie bascule, je sais aujourd’hui que cette première année terminée, je vais rentrer dans le vif du sujet : voir, toucher, soigner des malades…

Je reviens d’un match à Clermont-Ferrand où j’ai joué en première (et où j’ai perdu), je prends un train de nuit pour retrouver ma famille en congés. Je suis dans l’euphorie la plus complète, tout me réussit : rugby, médecine, copains, famille.

Je partage un compartiment du train avec une dame sympathique très bavarde d’un âge plus près de la retraite que du mien.

– Tu fais quoi comme étude ?

– Médecine, Madame.

– En quelle année ?

L’euphorie et les restes de ma troisième mi-temps clermontoise me poussent avec aplomb à lui lâcher :

– Je viens de passer l’internat (me permettant ce mensonge car persuadé que j’ai très peu de chance de retrouver cette inconnue du train)

– Bravo, tu es bien jeune, tu dois être très doué.

– Non, non, pas du tout, travailleur surtout ! (modeste)

Quinze jours plus tard, c’est la rentrée. J’ai le choix de mon premier stage : orthopédie au CHU avec le professeur Sénégas. Le ponte, le Dieu, le Patron, le rugbyman et celui qui a opéré mon genou en juin.

La blouse blanche est repassée, mon premier stéthoscope autour du cou (ils font comme ça à la télé), je vais découvrir mon Eden, je vais « sauver des vies » !

– Oh, Antoine, cela me fait plaisir de te voir, comment va ton genou ?

– (tremblant de peur devant ce monstre sacré que représente le professeur Sénégas), je lui dis un petit : super, j’ai rejoué à Clermont.

– Tu as gagné, j’espère ?

– Non, nous avons pris 35 points !

– Allez, oublie tout ça, je t’amène au bloc, tu vas assister à ta première opération .

C’est fou, cela fait cinq minutes que je suis rentré dans l’hôpital, le Patron me propose de l’accompagner voir une grosse intervention, il m’appelle Antoine et me parle de rugby. Je dois faire un rêve, ce n’est pas possible !

Il m’accompagne, discute de ma note d’anatomie au concours, du match perdu, de tout, de rien et moi je souris béatement. On rentre dans le vestiaire, il me demande de m’habiller en cosmonaute, en chirurgien quoi !

J’essaye de regarder ses gestes, j’admire son corps d’athlète. Je me sens tout petit ; un frisson de bonheur et de trouille m’envahit.

Je rentre dans ce bloc glacial où un traumatisé de la route est déjà allongé sur la table. Le Patron m’initie à mettre ma première paire de gants stériles, comme un instituteur de classe maternelle apprend à un bambin à se rhabiller (pince toi Antoine, tu ne rêves pas !). Après deux essais, j’arrive enfin à mettre mes gants en respectant l’asepsie.

Arrive un étudiant de sixième année, qui m’a vu en grande difficulté et me lance un : « Bonjour gamin, alors on opère ? ». Tout en me tendant sa main pour me saluer. Machinalement, je lui tends la mienne. C’était le piège ! Je ne dois jamais rien toucher puisque les gants sont stériles et donc… je dois recommencer cette manipulation « gantesque » et moi, je suis grotesque !

Et là, va commencer après le rêve, le cauchemar.

Tout est prêt. Le Patron commence : il fait la première incision au niveau du cou. Le froid glacial du bloc n’empêche pas une bouffée de chaleur dans tout mon corps. Je transpire, mon kimono de chirurgien se transforme en serpillère humide, des perles de sueur coulent sur mon front, je tremble, j’ai peur !

Je regarde juste derrière le Patron le petit filet de sang qui surgit sous le bistouri. Je vois tout d’un coup tout clair, tout trouble et… je me retrouve par terre, allongé, avec des dizaines de personnes qui me tapent dessus et me disent : « ouvre les yeux, ouvre les yeux, tu as eu un malaise vagal ».

Le Patron continue imperturbablement ses gestes et moi, je suis ridicule en train de perturber tout le monde. On me porte dans le vestibule, on me donne du sucre, je reviens juste à moi, je suis humilié.

Une femme s’approche de moi, me prend la main et me regarde fixement. Je ne la reconnais pas, puis en enlevant son masque, elle me sourit et me dit : « Alors, jeune homme, je croyais que vous veniez d’être reçu à l’internat ? ».

Mon humiliation est à son comble : c’est la femme du train de nuit qui est infirmière du bloc ! Mon mensonge de ce voyage d’une nuit d’été me servira de leçon et m’apprendra que la modestie et l’humilité doivent être les piliers de la réussite médicale.

J’ai le calot de travers, je suis debout, plus blanc que ma blouse, le masque serré contre mon visage, je veux revenir au bloc. Je suis un compétiteur, je ne veux pas que le patron rigole de moi, je repars !

– Alors Antoine (tout en continuant d’opérer) tu es un peu sensible ?

– Non, non, je n’avais pas mangé ce matin (encore un mensonge car j’ai dévoré une baguette entière).

– Bon regarde, je vais prélever un morceau d’os à la hanche pour caler entre deux vertèbres. Il réincise la peau et le coup de bistouri fait resurgir le même filet de sang.

Le compétiteur, vous savez l’interne du train, le grand joueur de rugby, le docteur Mamour… et bien il a encore plus chaud, il transpire comme un Zidane après un match, il essaye, essaye, essaye encore et… pouf de nouveau, il se retrouve par terre ayant perdu connaissance, le crâne fendu en tombant. Il saigne, il s’est fait dessus et ne sait plus comment il s’appelle, ni où il est !

Le Patron me regarde avec ses petits yeux rieurs et me dit : « Je crois que c’est bon Antoine, tu peux rentrer chez toi… ».

En conclusion, j’ai appris ce jour-là un mot important : humilité.

Merci Patron !

 

25 Oct

Les maux dedans #9

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Les séances se succédaient à un rythme infernal, souvent très courtes, parfois sans rien, parfois pour parler de lui, de la dédicace que lui avait écrite ce psychiatre de télé Gérard Miller, un de ces amis intimes!  (et dire qu’il déteste Ruffo le vulgaire) .
Une anecdote fumante! Un jour, au détour de la séance,  je lui demandai de m’excuser car je ne pouvais pas  venir vendredi. Je devais aller à Genève pour un congrès de phlébologie. Il se mit une fois de plus dans une colère énorme, hurlant que je n’avais pas le droit, que de toute façon je devais payer cette séance et celle où j’étais absent et que c’était la dernière fois qu’il acceptait cela. J ‘avais déjà entendu qu’en psychanalyse le patient doit payer les séances qu’il annule au dernier moment, mais là j’étais surpris. Mais, avec lui ….

La véritable surprise arrive le lendemain. Il me téléphone sur mon portable personnel à 22h.

 » Docteur ??? Vous partez bien à Genève vendredi ?

– Oui.

– Alors ramenez moi une boite de cigares, les xxxx, ceux que fumait Jacques Lacan. Ils ont une forme tordue !

– D’accord ….. à lundi.

– C’est ça à lundi ! »

Je résume : il me fait payer une séance où je ne peux pas venir mais il m’appelle pour lui ramener une boite de cigares. Il me parle de Jacques et moi dans tout cela, qu’ai-je fait ? Je lui ai ramené une boite de 20 cigares très chers et je me suis bien juré d’en parler à personne vu la honte de mettre fait avoir comme cela.

Le lundi suivant j’ apporte les cigares que je dépose sur son bureau, pas un regard, pas un mot, juste un signe de la main m’indiquant de m’allonger.
J’ai envie de lui en parler, je ne peux pas, je ne dis rien et lui non plus. Deux minutes comme cela! C’est long, très long… puis il me sort:  » Bien, on en était où ? »

Cette séance fut atroce pour moi, j’avais l’impression que tout s’écroulait. Tous les progrès s’arrêtaient net. J’avais honte de ma faiblesse. Bon dieu, Antoine quand auras- tu des ….. ?
Lui, imperturbable, « alors on en était ou ???? »

– Je vous parlais de mes malaises.

– Vous en avez refait ?

– Non !

– Bon, c’est génial la psychanalyse ! J’ai psychanalysé un de nos confrères, docteur Untel.

Là,  une sueur froide me traversa le dos !! Il vient de me dire le nom d’un de mes amis intimes que je côtoie souvent, mais où est le secret médical ? Peut -être fait il de même avec moi ?

 » Et j’ai soigné ses maux d’estomac ! Je me permets de vous le dire car je sais que nous sommes entre nous et que vous ne dévoilerez pas cela .

– Non mais j’espère que vous ne ferez pas de même avec moi !

– Bien ! 45 et en liquide svp !

En sortant de là je n’avais qu’une envie c’était d’aller voir mon copain qui avait donc été comme moi défragmenté par le docteur Mie. Pas facile d’aborder cette relation! Aussi je me suis dit que l’occasion se présenterait un jour et que cela serait mieux.
Il ne fallut pas longtemps. Invité chez un réalisateur de cinéma je retrouve le psychanalysé de dr frisette. Après quelques verres j’aborde la discussion de façon très hypocrite mais néanmoins subtile.

 » Comment vas- tu, Vincent ?

– Super et toi ?

– Ecoute, j’étais pas loin du « burn out » et, pour éviter de cramer,  je suis allé me faire refroidir chez un analyste Lacanien.

– Chez qui, si ce n’est pas trop indiscret ?

– Pas du tout , chez Philippe Mie .

– Ce mec est fou, arrête ça tout de suite.

– Tu le connais ?

– Oui, j’ai subi ses travers pendant 6 mois.

– Eh bien, moi cela fait deux ans et c’est bizarre mais mon avis est partagé.

– Comme tu veux mais ne deviens pas comme lui.

Je suis content de partager avec un très bon ami ce docteur Mie mais je suis très perturbé qu’il pense que cet homme soit fou.

18 Oct

Les maux dedans #8

 

myocarde_drmaison

Je m’attendais quand même à un commentaire ce lundi matin à 6h30! La porte était restée fermée plus que d’ habitude. J’avais franchi l’escalier avec aisance pour une fois et je m’installais dans cette salle d’ attente où l’odeur de 15 jours de fermeture provoquait un dégout immédiat. L’attente fut longue. J’entendais des bruits de modem, de fax, de reniflements, mais toujours auncun appel ! Au bout de vingt minutes le « Venezz  » fut plus agressif que jamais! Il ne m’adressa pas la parole et, d’un geste machinal, me montra le divan. Je m’allongeais et cherchais comment j’allais aborder son absence le jour du symposium. Eh bien là, aucun mot ne pouvait sortir : je balbutiais,  bégayais et je commençais à lui dire : « J’ai fait un malaise la semaine dernière . »

Au lieu de lui parler de tout ce j’avais sur le cœur, je lui parlais de mon cœur ! En effet, depuis quelque temps, je faisais des très gros malaises avec pertes de connaissance, toujours en public, jamais seul, très désagréable pour moi mais aussi pour mon entourage. Il s’en foutait royalement, il rangeait des papiers, reniflait sans cesse et me dit au bout de cinq minutes :  » Bien, cela fait 45 euros. J’ai augmenté comme tout le monde et en liquide svp ! »

En écrivant je suis entrain de penser que, vous qui me lisez ou vous qui me côtoyiez à cette époque, vous devez vous dire soit ce pauvre garçon est un simple d’esprit, soit un faible, soit un homme subissant une force suprême incontrôlable venant d’un dieu céleste.
Eh bien pas du tout, je pensais alors que tout était fait exprès dans un but thérapeutique, tout était calculé et je pensais que l’histoire de la couleur rouge allait se reproduire, que j’allais trouver des explications à tout. J’y croyais dur, je savais que les Lacaniens étaient spéciaux et je n’arrivais pas à détester ce docteur Mie. J’étais obligé de mentir par omission ou mentir carrément à mon entourage familial tellement je me rendais compte que j’étais bien le seul à pouvoir accepter le comportement de mon thérapeute.

Je fus conforté du bienfait de ce Génie de docteur Mie lors d’une séance d’un vendredi d’automne. Mes malaises devenaient de plus en plus fréquents et j’avais dû réaliser une batterie d’examens pour en trouver l’étiologie .
Rien, rien dans les scanners, ecg, eeg, irm, sang et autre fond œil! Je devais en parler à mon « dentiste lacanien ». Je lui racontais ces malaises avec une description très proche de la réalité. Pour une fois je le sentis à l’écoute. Bien que ne le voyant pas parce que situé derrière le divan,  j’entendais la plume de son Mont Blanc grincer sur les feuilles de son fameux petit carnet. Ce jour-là il ne me dit qu’une phrase mais quelle phrase !

 » Citez moi les personnes présentes lors de vos malaises ? »  Je réfléchissais et j’énonçais: « ma femme, des amis… »

– Oui précisez, précisez ! (en colère)

-Sylvie

– Qui est Sylvie ???

– C’est la femme de mon meilleur ami qui est maintenant décédé.

– Précisez, précisez je vous dis ! (on aurait dit qu’il était en transe).

Il y a 7 ans, j’ai perdu Eric sur un terrain de rugby, en plein match. Il a fait un arrêt cardiaque et, devant 5000 personnes, j’ai essayé de le réanimer en vain. Sa femme Sylvie était là et je m’en veux encore de n’avoir pas pu empêcher la mort de celui qui était un autre moi-même.

 » Etait-elle là à chaque malaise, oui ou non ?

– Oui.

– Bien, restons en là, cela fait 45 euros en liquide svp. »

Cette séance m’a bouleversé ! Bien sûr j’avais dû me remémorer la mort d’Eric mais aussi penser au doute que je traversais sur les compétences ou sur l’imposture ou voire même le charlatanisme de ce dentiste échevelé psychanalyste.
En remontant dans ma voiture, j’étais comme sonné, ko. Je ressentais un malaise énorme, j’avais l’impression de me retrouver en ce 29 octobre 1995, sur un terrain de rugby avec un froid glacial et un silence sépulcral. Je venais de comprendre la raison de mes pertes de connaissance ! Enfin je croyais avoir trouvé car c’était seulement mon interprétation sachant que Mie n’avait fait que poser la question :  » avec qui étiez-vous pendant vos malaises ? » C’est moi qui ensuite avais analysé, qui avais donné une réponse à cette question : « quelle pathologie organique ou pas peut entraîner une bradycardie et un arrêt cardiaque ? »

Vous allez tous en conclure, banal, il fait un transfert ! Certes je pense que l’on pouvait parler de cela mais je pense qu’il avait quelque chose de plus, une force indescriptible. J’ai compris comment des hommes ou des femmes pouvaient tomber dans l’aliénation d’une secte alors qu’ils présentent une intelligence tout à fait normale. Je ne parlais à personne des dérives bizarres et originales du doc et je ne racontais que l’histoire du pull rouge et des malaises « Ericien ».