04 Déc

Les maux dedans #14

tristesse

Alors d’accord, je vais oublier tous ces états d’âme de médecin analysé et me concentrer sur mon travail d’analyse avec le plus  » grand Lacanien du monde », le mec qui apprend à dire non, le mec qui te change une personnalité, qui te rend heureux : enfin Dieu quoi !
Motivé plus que jamais ce matin-là, je m’étais levé tôt, très tôt. Je monte presque en courant l’escalier. Je n’ai pas le temps de m’asseoir qu’il vient me chercher. Souriant et d’un geste très commercial, d’une main tendue, il m’indique son bureau (comme si je ne le connaissais pas !) et là je crois qu’il me tend la main et  je lui tend donc la mienne. D’un geste brutal, il la relève et me jette un regard revolver et me hurle: « pas de contact, pas de lien physique ! »

Je suis abasourdi, je baisse ma main restée suspendue et inclinant la tête je pars vers le divan de torture.
Pourquoi a t-il réagi comme ça ? Pourquoi a t-il eu la même attitude qu’une prostituée qui repousse la main fébrile de l’adolescent qui voulait lui carresser les cheveux et qui avait dit « ne me touche pas c’est interdit ! »
Oh, oui la réponse pourrait être facile et dire que le docteur Mie est une pute et que je me fais baiser mais ça serait trop facile et surtout ça serait faux. Enfin je voudrais tant que ça soit faux!
Je suis allongé, j’ai froid, je suis contrarié et je n’ai rien à dire. Monsieur s’impatiente :

– « Alors, alors, ALORSSSSS ?

– « Je n’ai rien à dire !

– Continuez !

– Continuez à ne rien dire, continuez à ne rien foutre, continuez et restez dans votre état, ça fait 45 euros et en liquide svp ! »

Conclusion : mon cher Antoine, c’est une pute, tu te fais baiser et tu ne reviendras plus !

Pendant 15 jours je n’allais plus le revoir car c’étaient les vacances scolaires et Monsieur allait faire de l’humanitaire en Bulgarie dans un orphelinat. Moi j’étais bien décidé à ne plus revenir chez ce fou, cet imposteur, ce diable, ce méchant.
Tous les jours, je me suis motivé, j’ai même écrit sur une feuille les mots que j’allais lui dire

 » J ‘ai décidé d’arrêter mes séances chez vous car je pense qu’elles ne m’apportent rien et que vous abusez de ma gentillesse. »

Killer Antoine, sois un killer ! Mie t’es mort!

Deux jours plus tard, c’est à dire 7 jours avant son retour de Bulgarie, mon téléphone portable sonne :

« Docteur, c’est Philippe Mie, je suis rentré plus tôt que prévu, venez me voir demain pour une séance. »

Alors sans ciller, le tueur répond sans une seconde de doute:

« Bien sur d’accord …..mais à quelle heure ? »

Quel courage, quelle force de caractère… tu n’es pas guéri mon pauvre Antoine!

Allez, je vais y arriver! J’arrive en bas de la maison, je sonne, j’ai le coeur qui bat comme si j’allais annoncer à mon amoureuse que je la quitte. Certes… juré, ce n’est pas pour une autre, c’est parce que nous ne pouvons continuer un morceau de vie ensemble. Mes phrases sont prêtes dans mon cortex, elles sont dans un fichier bien calées dans mon PC cérébral, prêtes à être copiées-collées sur mes lèvres et à être ressorties devant ce gourou.
Son costume est noir comme son regard, comme son appartement, comme son bureau, comme ce masque noir au dessus de ce fameux divan noir recouvert de tapis.

 » Voilà monsieur, j’ai décidé de faire un break à nos séances.

– Continuez!

(comme dans la rupture avec l’amoureuse, je n’ose pas lui dire que tout est fini entre nous je veux juste faire une pause pour … réflèchir)

– Oui j’ ai besoin de prendre du recul et cela ne m’apporte plus, les séances sont trop rapprochées, j’ai trop de travail et je n’ai pas le temps de faire une bonne analyse ! »

– A jeudi ! »

Bon, on se pose, fais le point Antoine! Tu veux t’arrêter, tu doutes de la sincérité de ton thérapeute, il te prend pour un con, se sert de ta faiblesse, de ton argent, tu dois le quitter, tu n’oses pas le dire, tu imagines pour te rassurer que c’est une technique pour t’apprendre à dire non. Tu es flatté car il t’intègre dans son groupe multi disciplinaire et là il te répond : à jeudi !

Je suis paumé! Quand on a une amoureuse, le moment triste de l’annonce de la rupture est souvent minoré par le souvenir des bons moments. Là, je n’ai rien, j’ai des soucis en plus, beaucoup d’argent en moins et surtout je ne sais toujours pas dire non !

Jeudi, le réveil sonne à 5 h30. Je me demande encore si je vais partir chez lui ou si je vais téléphoner pour annuler.

Je suis en bas de chez lui, j’en ai marre.
Au lieu de me torturer, je prends le parti de faire comme si de rien n’était et je vais essayer d’en tirer du positif.
Alors je commence par lui reparler du sujet qui est le traumatisme de ma vie: le décès de mon copain Éric. C’est un sujet dont je peux parler des heures tellement j’ai d’ interrogations, d’ émotions, de tristesse , de culpabilité. En prenant le parti de raconter ça je savais que je n’allais pas réfléchir, tout était inscrit et ma parole était automatique.

Je lui parlai du déroulement de cette journée depuis la minute où je sortis de mon lit et mis mon costume du club, la cravate jaune et noire. J’ avais laissé un mot pour ma famille afin de me déculpabiliser de les abandonner une fois de plus un dimanche pour partir vers cette cité imprenable que représentait de La Rochelle. Pour une fois, j’en étais sûr, elle allait être conquise par la bande d’Éric le fer de lance de mon club. Cela me fit du bien de lui exprimer ce cataclysme émotionnel.

15h53 – une touche sur les 40 mètres Eric n’y va pas, il titube et s’écroule. Je n’ ai jamais pensé une seconde qu’il était sonné, k.o comme tout 3eme ligne de rugby peut l’ être parfois. Eric est mort, voilà ce que j’ai pensé  tout de suite. C’est d’ailleurs par ce flash cérébral que j’ai tout bousculé, enjambé la barrière et couru sans autorisation vers lui devant 5000 spectateurs médusés.

Eric était mort.

En racontant ça mes yeux se noyaient dans des larmes qui, par pudeur, dégoulinaient sans bruit le long des sillons de mes joues.

« Et alors ? » me cria le Docteur Mie. Quel rapport avec la cause essentielle de votre mal-être, c’est à dire l’absence du mot Non dans votre moi ? »

Pas ça! Il pouvait tout me faire, mais pas ça. Ne pas respecter le drame de ma vie, ne pas comprendre que ce moment-là allait changer mon chemin, mes relations avec les autres, mon amour.
Je me lève brutalement, les yeux encore humides mais rouges de colère. Je lui laisse l’argent sur son bureau et j’essaye d’ouvrir la porte. Il me regarde méchamment et me dit : « il en manque, il en manque ».

Je ne comprends rien,

« Il manque quoi ?

-Il manque trois Euros car j’ai augmenté le tarif; ça fait 48.

Je fouille dans ma poche, trouve 20 euros et je les pose sur le bureau attendant la monnaie.

-Vous n’aurez pas le reste car c’est votre inconscient qui me paye et votre inconscient vous dit: « il mérite cette somme. »

– Mais rendez-moi ma monnaie !

– Non, votre inconscient vous rattrapera, alors à lundi ! »

Sois je lui mets mon poing dans la gueule, soit je claque la porte et je ne le revois plus, soit…