20 Nov

Les maux dedans #12

cerveau_drmaison

Après cette séance rien ne fut comme avant. Dirigée si on peut dire par lui, il reprenait les derniers termes et me mettait sur la voie qu’il avait tracée.

– Alors votre femme vous a cru « morte » ?

– Je vous ai dit que c’était juste une faute de français et non un délire inconscient.

– Je ne vous dis rien, c’est vous ou plutôt votre inconscient (en trois séances il venait de me parler plus qu’en deux ans)

– Je continue à penser que, certes l’hystérie peut revêtir plein de manifestations mais je ne pense pas qu’elle puisse entrainer un arrêt cardiaque nécessitant un défibrillateur.

(c’est là que j’en aurai eu besoin) il se mit à hurler:

 » Vous ne comprenez rien de rien, vous vous foutez de moi, partez, partez et revenez lundi avec un discours intelligent. Et cela fait 45 euros, en liquide svp. »

J’avais vraiment envie d’arrêter cette mascarade, son agressivité, sa versatilité. Mais pour qui il se prend ce Lacan bordelais?  J’en ai marre, je le déteste. Heureusement on abordait une période de vacances et donc Monsieur partait faire de l’humanitaire bulgare.
Je profitais de ce repos cérébral pour faire le point, j’en profitais pour lire des livres plus simples, à mon goût (Ma vie de Young) et reprendre goût à la psychanalyse en évitant de penser à celui qui est le vecteur de cette analyse. Je me forçais à oublier le docteur et à ne penser qu’aux progrès que j’avais cru faire.
Je repense souvent à cette séance sur le malaise et l’adjectif féminin que j’avais attribué au mot « mort ». Je me suis souvent aperçu, depuis que cette erreur de grammaire revient souvent dans la bouche de mes patients. Combien de fois un homme conjugue au féminin un mot masculin sans pour autant que l’on s’y attarde?
Ce qui m’interrogeait c’était ce changement d’attitude, ces notes qu’il écrivait dans mon dos depuis peu de temps, alors que pendant deux ans il m’avait bercé d’un ronronnement de prédateur qui ne sentait rien dire de bon.

L’épisode de ce mot « morte » a été le coup de poignard qui aurait pu m’achever mais qui a été surtout le commencement d’une souffrance énorme qui dure et qui s’estompe enfin grâce à l’écriture d’aujourd’hui.
Les séances se sont succédées avec toujours le même fil conducteur. Parfois j’avais des choses à dire de façon ponctuelle, précise, sur des événements familiaux, sur des problèmes professionnels. Alors le stylo s’arrêtait, le bâillement reprenait et l’impatience se traduisait par un « allez, continuez, voyons ».

– « Mais j’ai envie de vous parler de ce problème familial que je traverse, je n’ai pas envie de revenir sur un lapsus sans conséquence

– Sans conséquence ?

Et là je lui expliquai enfin que je venais chez lui pour dire ce que je voulais et non pas pour dire ce que lui voulait !

C’était une victoire, je venais de dire enfin ce que je pensais. Mais cette victoire relative était à mon sens celle de la psychanalyse, je venais de m’affirmer ! Et voilà, en une seule seconde, je passe d’un doute énorme sur ma démarche, puis je tombe en extase tout ça parce que j’ose dire à un tyran de psy que j’ ai envie de dire ce que je veux !!!

Il parut contrarié par ma surprenante rébellion, et son ton de parole, fut monocorde comme si il voulait me faire comprendre : « Mon petit coco tu veux marquer des points mais n’oublie pas que c’est moi qui tiens les commandes ».

Je continuais mes réunions du mercredi pluri disciplinaire. J’avais amené avec moi un ami kiné, un pur, un enfant des Landes, il ne lui manquait que les échasses et le béret. La première fois qu’il est venu, il a cru que c’était l’émission tv surprise-surprise de Bellivo ! Il faut dire que c’était la belle psychologue lacanienne qui nous présentait un cas clinique et cela donnait quelque chose comme :

« Ce qui compte en ce rapport analysé-analysant, c’est le petit a sur le grand A, c’est ce nœud bromérien qui enveloppe l’autre autour de la souffrance qu’autrui ressent par la force de son phallus »

Mon landais de copain (jeannot) prit la parole avec son naturel habituel :
« Je ne pipe rien à ce que madame nous raconte, elle nous parle de math, de sexe ou de psychanalyse ? Cela serait plus simple si on disait : « Cette patiente souffre à cause de son père et basta !»

A ce moment-là, je ne savais plus où me mettre, je regardais le docteur Mie du coin de l’œil, la psy rangeait ses notes et mon Jeannot arborait un sourire de satisfaction égal à celui qu’il avait quand il marquait un essai à Pontenx les forges !

Deux minutes de silence suivirent cette tirade landaise avant que le chef ne prenne la parole :

« Voilà exactement pourquoi ces réunions sont indispensables. Nous pouvons non pas opposer le savoir à la logique mais nous pouvons les réunir par la parole. »

La présence de mon ami à chaque réunion apportait une décontraction et avait surtout le grand avantage de détendre notre gourou. Il me commentait à toutes les séances du vendredi les réactions de Jeannot.
Je ne serais pas honnête si je ne vous disais pas que mon orgueil était ébranlé par cette admiration de mon psy sur mon ami. Moi qui m’étais lancé à fond dans le lacanisme, moi qui lisais de l’hébreu lacanien, et qui subissais les folies d’un ayatollah, je payais des séances pendant lesquelles durant 5 minutes on me parlait de la simplicité et de la pureté du langage d’un fils de résinier.
Mais avec cette diversion j’oubliais un peu les hauts et les bas de mon analyse et surtout la versatilité du meneur des séances.

Un matin très motivé, c’est moi qui revenais sur mon travail analytique pur.

-« Cela fait bientôt trois ans que je viens et j’aimerais faire le point.

– Faites, faites!

– J’aimerais que nous le fassions à deux.

Pas de réponse, temps mort pendant deux minutes et c’est long deux minutes. Je me crois obligé de parler, et là, il m’assène :

– Nous en resterons là, cela fait 45 et en liquide svp. »

Une fois de plus frustration, colère intérieure, et pas un mot de plus, je ne pouvais rien lui dire. Par contre devant la porte avec mes billets dans la main, il aimait me parler de la dernière réunion, de tel ou telle patiente que j’avais eu le tort et je dis bien le tort de lui envoyer.
J’écris cela aujourd’hui parce qu’il y a eu le drame mais à l’époque je pensais bien faire et surtout je ne comprenais pas comment des gens intelligents ne pouvaient pas faire une analyse.