07 Oct

Pani problem

basketball_drmaison

Un jour, un poète a dit « pour réussir sa vie il faut faire un enfant, planter un arbre et écrire un livre. »

Quand il naît, il pèse 5kg600, c’est le phénomène de cette petite maternité de la Guadeloupe. Romuald est le premier enfant de Placide et Joséphine. Ils ont eu beaucoup de difficultés pour avoir cet enfant. De courbes de température en fécondation in vitro, le poupon arrive en vedette dans l’île du soleil et du rhum.

Je peux décrire cet univers paradisiaque car, un jour, j’ai décidé d’abandonner mes huîtres et mon bassin pour traverser l’Atlantique et goûter aux plaisir des cocotiers, accras et langoustes.

Je soigne les grands-parents depuis mes débuts. Ce sont les personnes les plus attachantes que je connaisse, ils ont l’art de transformer le morose en gaieté, la pluie en soleil, l’eau en…rhum.

Je ne vais jamais chez eux le matin, je passe en fin de journée. Le ti-punch m’est servi (après mon examen) et je repars chez moi avec une joie énorme et des pommettes bien rouges. (Heureusement j’habite à côté).

Romuald vit avec sa maman, le papa s’est égaré ailleurs. Elle forme avec lui un petit couple indissociable. C’est le poupon que toute petite fille a ou rêve d’avoir : des billes noires rieuses, des cheveux très courts, tout bouclé, un petit ventre rond avec un nombril saillant preuve d’un estomac toujours bien rempli.

Quand j’arrive pour mes vacances au pays des foulards et des madras j’ai le devoir de rentre visite à Joséphine et Romuald : ordre du grand-père, mon voisin bordelais.

Je ne peux pas oublier cette soirée : le décor, les saveurs de vanille et surtout l’accueil que je nomme « arrangé » en rapport avec les nombreux verres absorbés.

Romuald à 15 ans.

On dirait un homme ! Il pèse 100kg, mesure 1m 60, c’est un petit cube ! Il est essoufflé à chaque pas et, devant nous, à cet apéritif, se goinfre de lamblis de langoustes, d’arachides, de beignets de crevettes. Sa maman est presque fière de voir son chéri en grande forme. Moi, même légèrement éméché de Nelson ou Trois Rivières, je suis inquiet de la surcharge pondérale de Romuald.

La maman ne semble pas se rendre compte du risque pour la santé de Romuald. Elle est plutôt fatiguée par l’énergie et le caractère difficile de son fils.

« Il n’arrête pas, il faut que je me fâche tout le temps. Il ne fait que ce qu’il veut, docteur, je suis débordée mais il est si mignon que j’autorise tout.

Romuald de sa frimouse bien ronde nous envoie un beau sourire charmeur que je traduis en créole : paniproblem mam, laisse moi manger, je t’aime !

Mon séjour au paradis antillais terminé, dès mon retour je raconte au grand-père mon escapade et la rencontre de Romuald. C’est un vieux monsieur aux cheveux gris bouclés, une canne à la main mais droit comme un bâton. La salle à manger est une réplique d’un salon antillais. Des vieux fauteuils en cuir, un ventilateur au plafond et des odeurs de vanille imprègnent le salon. Je lui fais part de mon inquiétude pour son petit-fils, son poids, son caractère tyranique avec sa maman, l’épuisement de sa fille de devoir élever seule un enfant trop gâté.

« Il mange sa mère mon pov doc’ ! »

La simplicité de l’image de ce sage antillais correspond tout à fait à la réalité. Cet enfant surprotégé n’a pas de limite. Excessif en tout, il dévore sa maman qui, se culpabilisant de l’élever seule, lâche prise et cède à tous ses caprices.

« Je vais le faire venir à Bordeaux. Cela reposera ma fille et moi je vais lui apprendre l’autorité.

Romuald arrive en ce début d’année, plus gros que jamais ! Les 115 kg sont là et l’essoufflement majeur ! Il passe son temps dans le vieux rocking-chair à se basculer la Game Boy à la main. Le vieux papi essaie de lui parler gentiment, parfois en colère : rien n’y fait.

Romual semble complètement déprimé. Il faut dire que de passer des Trois Ilets à Lestonnat peut rendre triste un enfant né sur la plage des cocotiers.

A table Romuald mange très peu, son papi me le fait remarquer.

« Il ne mange rien avec nous à table et pourtant il ne maigrit pas d’un gramme, Doc il faut faire quelque chose !

Je décide de monter dans la chambre pour discuter avec le petit. Sa chambre est triste comme lui, pas un poster, pas un jouet ! Seule une photo de sa maman sur la plage des Salines avec son papa.

« ça va Romuald?

– ça va.

– Tu es triste de ne pas être avec maman là-bas ?

– Non, ça va, mais elle me manque.

– Ton poids, ça t’embête ?

– Oui parce que papi me gronde et je ne mange pas !

Il est allongé sur le lit et moi assis à côté de lui devant son bureau. Machinalement, j’entrouve le tiroir et découvre un nombre incalculable de papiers de Mars, Nuts et autres bonbons.

– Romuald, mais tu manges en cachette?

– S’il te plaît, ne le dis pas, ne le dis pas ! Papi va le dire à maman.

– D’accord, mais veux-tu faire un contrat avec moi ?

– Quoi?

– On va faire tout pour te faire maigrir et, quand tu seras au poids idéal, tu rentres chez toi avec maman.

– Et je pourrai jouer au basket comme Michael?

– Michael?

– Michael Jordan pardi!

Vu la surcharge, un simple régime ne suffirait pas. Alors, je décide de proposer au papi et à la maman un très gros sacrifice : partir pensionnaire pendant un an  dans un centre spécialisé des Pyrénées Orientales.  Les enfants y sont pris en charge avec sport, régime et suivi scolaire intense.

La maman est venue aux vacances de Noël. Le conseil de famille décide de suivre mon plan. Romuald est d’ accord à la seule condition : pouvoir un jour jouer au basket en club!

Il est parti en pesant 123 kg à seize ans !

En septembre suivant, il est revenu beau comme un dieu. Il a beaucoup grandi et a perdu 32 kg.

Sa maman est venue le rechercher si heureuse de le retrouver après un an de « diète affective ».

Je lui ai donné le maillot de Boris Diaw, capitaine de l’équipe de France que j’ai eu la chance de rencontrer.

Romuald joue capitaine de son équipe et est promis à un bel avenir professionnel et sportif. La vie est belle !