25 Sep

D’homme à homme

cowboy

Il est parfois difficile de parler à ses parents même quand on se croit adulte.

Carlos est un immigré espagnol dont la famille est arrivée après la guerre d’Espagne. Il est grand, costaud, plaisante tout le temps. Maçon, il a crée sa petite entreprise. Il a un accent qui sent bon l’huile d’olive, les tapas et la sangria. Il est marié avec Isabelle depuis 30 ans. Elle partage son temps entre comptabilité et  gestion de la maison. Deux enfants, deux beaux hidalgos, cheveux gominés, 28 et 29 ans. (Manuel et Pedro)

Carlos, c’est le râleur ! Il ne sait jamais être calme, il travaille comme un fou, a construit sa propre maison mais ne l’a jamais finie. Il y a toujours des tonnes de gravas, de ciment, de tuyaux quand je vais chez eux. Il me fait rire avec son esprit bougon permanent : un rhume et c’est la fin du monde!

 » Poutadios, Antonio, tou va me soigné sinon je te zigouille la garganta! No rigole pas, je vais mourir ! »

– Mais ce n’est qu’un rhume, Carlos !

– Yo m’en fou, j’ai du trabajo à la casa.

Sa femme, exaspérée, me regarde derrière ses lunettes, finissant une facture.

« Et n’oublie pas la TVA! »

La maison sent toujours l’odeur de cuisine, de friture et la bouteille de Rioja est toujours sur la table. J’ai souvent droit de déguster ce vinaigre réveillant systématiquement mon petit ulcère mais on ne refuse rien à monsieur Don Carlos !

Pedro, le fils ainé, a réussi ses études. Il a fait une école de commerce et, après des stages à Bordeaux, a très vite compris qu’il devait partir loin de cette entreprise familiale où il ne serait toujours que le fils de Carlos et non le commercial de l’entreprise. Il est installé à Madrid et réussit très bien dans une grosse boîte de publicité.

Manuel, avant tout, c’est le beau gosse ! 1m85, il a enchainé échec scolaire sur échec scolaire, a triplé sa seconde et, en désespoir de cause, Don Carlos l’a inscrit dans un CAP de plomberie.

« Tu comprends, il passe son diplôme, je le prends avec moi et il pourra continuer à jouer au foot. On travaille ensemble histoire que je le forme et basta, je repars venger mon padre en finissant ma vie là où Franco nous a chassés ! »

Manuel vient me voir timidement pour que je lui remonte le moral. La vie avec un volcan espagnol n’est pas facile.

« Je suis Tanguy, maman me couche, m’apporte mon petit déjeuner au lit, papa me hurle dessus. Il veut que je sois le plombier le meilleur du monde, le Saunier Duval de Bordeaux. Moi, je n’ai pas du tout envie de faire ce métier et encore moins de travailler avec eux. »

Il est complètement dépressif. Je le connais depuis la naissance et son physique d’Apollon ne correspond pas du tout avec celui du plombier qui bricole.

« Tu veux faire quoi ?

– Danser!

– Danser, toi qui joues au foot? Tu ressembles plus certes à Delon qu’à Ribery mais de là à être danseur……

– J’aime la musique, la danse, le Tango mais, avec Don Carlos, tu joues au foot, tu portes le maillot du Réal de Madrid et tu mets ta salopette!!

– Tu sors souvent en pub le soir?

– Parfois, mais le Vieux m’empêche souvent. Alors, je fais le mur avec la complicité de Maman.

-Tu sais que tu as 28 ans, Manuel. Tu dois t’affirmer, communiquer avec Carlos (facile à dire quand on est médecin, moins quand on est un papa comme moi).

– Je sais mais j’ai peur de lui (il se met à pleurer) et puis je n’arrive pas à lui dire …

– Quoi ?

– Que je suis homo! »

En me disant cela, je vois un éclair dans ses yeux, un éclair de bonheur de partager enfin son secret avec moi, son complice d’un jour, son médecin de toujours.

« Dis lui !

– Impossible, il est anti homo, anti danseur, anti musique, anti moi quoi!

– Tu veux que je lui parle ?

Un sourire lumineux !

– Oh oui, Doc je veux, je veux vite, je veux revivre « .

 

Bon, Antoine, tu as peut être parlé un peu vite. Il va falloir trouver les mots, les bons pour faire comprendre à Don Carlos que son fils n’est pas comme lui, et surtout pas comme il voudrait qu’il soit.

Les cas gênants je les traite toujours en fin de journée quand le tumulte de la journée s’apaise. Je reçois » mon dernier rendez-vous ».  C’est celui où je discute et prends mon temps. Je peux faire passer des messages parce que je suis calme et détendu.

 

« Olà, Don Carlos !

– Arrête de faire le stupide, je suis inquiet. Pourquoi tu m’as fait venir, j’ai le crabe ? (traduction internationale de cancer)

– Non, rien de grave, je veux te parler de Manu.

– Il est malade?

– Non au contraire tout va bien, très bien.

– Tu me fais venir à ton cabinet, le soir tard, alors que je dois livrer un chantier pour me dire que mon branleur de fils va bien ! Tou té fou de moi !!(reprenant son accent hispanico-béglais)

– Il va bien physiquement mais moralement, ce n’est pas la grande forme.

– Il va nous faire une petite déprime, le chouchou de sa maman. Il a tout pour être bien, il loge chez nous, on le protège, on lui paye son CAP etc, etc…

– Il voudrait te parler, il n’y arrive pas !

Carlos devient tout calme, tout mal à l’aise, comme s’il sortait son habit de méchant, de père autoritaire.

– Mais qu’il est stupide ce Manuel, je peux tout entendre, je le sais très bien ce qu’il a à me dire.

– Tu penses à quoi ?

– Que je n’aurai jamais un petit fils pour reprendre la boutique, qu’il ne jouera jamais au Réal et que je vais devoir manger avec son petit copain.

-Tu savais ?

– Bien sûr que je sais mais cela me chamboule un peu.

– Tu sais, il va être heureux que tu lui parles. Aujourd’hui, il est vraiment mal.

– Mais qu’il est bête, ce Manu, je l’invite avec toi ce soir (au diable le chantier) avec son copain et il verra bien qui est Don Carlos !

 

Le repas dans le restaurant espagnol fut fabuleux : sangria, paella et coming-out !