20 Sep

Narco

drmaison_lune

Il y a des gens chanceux et d’autres moins !

C’est une super famille nombreuse. Cinq des six enfants ont réussi leurs études, ingénieur, profession libérale, le sixième c’est Caliméro, le petit canard différent des autres. La famille est unie autour de la maman protectrice, très en forme malgré ses 88 printemps.

Ce petit dernier c’est Michel, surnommé Mimi par tout le monde.

Mimi, c’est avant tout un physique atypique. Il est petit, un faciès ingrat qu’il explique par son encéphalite à l’âge de 7 ans. Il vit en couple avec Jacqueline, elle aussi handicapé mentale modérée.

Mimi, c’est mon préféré de la famille.Il m’appelle Toinou, surnom que me donnait ma grand-mère. Il est habillé bizarrement, costume trop grand, six stylos qui dépassent de sa poche, une pipe fumante au coin des lèvres. Il porte des grandes lunettes noires qui cachent des cernes prononcées sur son visage.

La première fois que je le reçois, il m’explique que son handicap mental a commencé après cette encéphalite qui lui a valu des années d’hôpital.

Quand je discute avec lui, je suis frappé par son intelligence. Elle s’oppose à l’impression de retardé mental qu’il véhicule. C’est un peu Rain Man, il est cultivé, s’intéresse à tout, apprend par coeur le plan du château de Versatile, passe ses nuits sur internet et s’occupe de Jacqueline.

Elle, c’est un petit bout de femme, lunettes quadruple foyers, chignon et sourire perpétuels. Ils vivent en plein centre ville dans un petit appartement où l’odeur de L’amsterdamer embaume les murs jaunis. Il ne conduit pas, son grand frère lui a interdit de passer son permis,  cela le rend triste car il pense en avoir la capacité.

Jacqueline travaille dans un centre d’handicapés.Toute la journée, elle met des petites poupées en plastique dans des cartons. Lui, il travaille dans un centre aéro spatial où il est responsable de la barrière qu’il lève depuis sa cahute en verre entre deux lectures du journal qu’il décortique ligne par ligne .

Quand ils viennent au cabinet, ils arrivent toujours avec deux heures d’avance, « pour ne pas te rater mon Toinou » me dit-il à chaque fois.

Un soir, je rentre chez moi pas trop tard, mon beau-frère est là pour manger avec nous.Vu la chaleur de la journée, nous nous servons un petit pastis bien frais, quelques cacahuètes et nous passons à table. Menu du jour : un couscous ! J’adore ! Le gâteau au chocolat finit de me combler.

21h30, le téléphone sonne !

« Allo, mon Toinou, tu ne nous a pas oubliés ?

– Euh, pas du tout, j’arrive, je suis en visite. (Mimi et Jaqueline m’ont invité et, alors que je refuse souvent, j’avais accepté de venir diner avec eux, vu la sympathie que je ressens).

Je viens de finir de manger. J’ai un ventre prêt à exploser de semoule et de légumes et me voilà reparti vers un autre repas.

« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez vous » dit Paul Eluard.  Quel rendez vous !!!!

Ils sont là devant moi, habillés sur leur trente et un, lui la pipe à la bouche, elle s’affairant en cuisine.

« On avait peur que tu nous aies oubliés.

– Pas du tout ! (plus Pinoccio que jamais)

– Je te serre un petit pastis?

– Euh, bien sûr » … et il rajoute quelques arachides qui me rappellent quelque chose.

Nous parlons de tout et de rien, de la maquette du château qu’il vient de finir, du napperon au crochet sur la table (oeuvre de Jacqueline) et nous passons à table …..

«  Je t’ai fait un couscous, ma mère est quand même née à Alger ! »

Me voilà pour réitérer le même repas 1 heure plus tard! (on s’étonne après que les abdominaux qui faisaient ma fierté du temps du rugby se soient transformés en baudruche ou air bag de la quarantaine !)

Le repas se passe bien. Touchants par leur naïveté et leur gentillesse, ils me parlent de leur travail, de leur vie d’êtres différents mais « quand on a que l’amour » cela suffit pour le bonheur.

Jacqueline me raconte, en aparté, que Mimi ne va pas très bien au travail, que les moqueries des gens lui pèsent et que son chef lui fait beaucoup de reproches.

Il n’ a qu’une seule mission, c’est d’ouvrir une barrière au personnel qui se présente au centre. Il dort très peu et, depuis quelques temps, se passionne pour des sites internet où il remonte le moral des tristes de la nuit !!

Pendant qu’il bourre sa pipe dans le salon je discute un peu avec lui.

« Alors mon Mimi, on t’embête un peu au boulot ?

– T’ inquiète pas, je fais mal mon travail paraît-il. Je suis fatigué et je m’endors devant la satané barrière.

Alors que nous sommes revenus dans la cuisine où Jacqueline nous sert des bananes flambées, (plus flambées que bananes) Mimi me raconte et me récite les souterrains du château de Versailles.

Alors on peut pénétrer par la porte arrière, on rentre par une porte dérobée, on avance à la bougie et on desc…..

Mimi ne finit pas sa phrase il est complètement endormi sur la table, il ronfle ! Je crois qu’il a un malaise, je me précipite.

Jaqueline me dit :

« T’inquiète pas, il s’endort souvent comme ça d’un coup et il va se réveiller comme si de rien n’était!

Mimi ressurgit de son coma de 15 mn (15 mn après deux pastis, deux couscous et deux bananes flambées c’est long !)

« Alors le souterrain s’éclaire et les tableaux de Louis XIV trônent sur le mur. »

Il vient de reprendre sa phrase là où il s’était arrêté.

« Cela t’arrive souvent ?

– Je ne sais pas Toinou, je dors. »

Jacqueline s’insurge :

«  Si tu ne passais pas tes nuits à faire ta Brigitte Lahaye sur internet tu serais plus en forme ! »

Je viens d’avoir un déclic, son problème au travail, cette barrière qu’il oublie de lever, cet endormissement brutal cataclysmique : Mimi fait de la narcolepsie essentielle !Un rendez vous chez un neurologue confirma ce diagnostic et le super médicament redonna toute la vigueur à notre Rain Man de Versailles.

Quelques mois plus tard Mimi vient me voir au cabinet. Il ne prend plus son traitement, cela l’énerve trop. Je lui explique la nécessité de reprendre le traitement et, pendant qu’il me parle, il se couche sur mon bureau et replonge dans les bras de Morphée!.

Je suis dans mon cabinet, la salle d’attente pleine, Mimi qui ronfle et moi qui n’ose pas le réveiller. Discrètement je fais sonner mon portable et Mimi surgit de sa torpeur et d’un coup :

« J’ai reçu du courrier pendant mes congés ?

– Oui ….. c’est ton ordonnance pour ne plus t’endormir sur mon bureau !!

– Tu as raison mon Toinou, je vais le reprendre !!! »