26 Août

Des gentlemen…

 

rugby

L’autre passion de ma vie c’est le rugby, j’y’ ai joué pendant trente ans! Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir associer sport et le travail en étant médecin sportif.

Le gros Juju, pilier originaire de Captieux, joue maintenant à un haut niveau. Ce dimanche-là il a raté son match. Il vient me voir et me prend à part.

 » Doc, ça va pas, je suis nul, il me faut des vitamines, sinon je ne vais perdre ma place, et dimanche on joue Mont-de-Marsan !

– Passe demain au cabinet je vais te donner ce qui faut, une cure de Berroca !

– Tu n’as pas compris, charge moi! »

Je sais très bien que je ne le ferai jamais et que le mot dopage me provoque des allergies mais je vois ce pauvre Juju si triste que je lui assure que je vais réfléchir et commander ce qui faudra. La troisième mi-temps de Juju me rassure en le voyant chanter torse nu sur le comptoir, et je pense qu’il a déjà oublié sa requête.

Le vendredi, à l’entrainement, Juju vient me voir sur le bord de la touche et suant, soufflant, il me demande :

« C’est bon, tu as les cachtons? Putain, c’est Mont-de-Marsan dimanche !! »

Pris au dépourvu je lui réponds avec assurance « oui, oui bien sûr, je te le donne dimanche matin. »

Je suis sûrement un homme qui ne sait pas dire non mais qui a un sens de l’éthique encore plus poussé; alors imaginez ce dilemme! Doper ou non doper notre Juju?

Le dimanche matin, dans ce petit resto routier de Labouyere, je demande à Juju de venir me voir dans la petite salle de derrière.

 » Juju, voilà tu vas prendre ce comprimé maintenant et tu bois beaucoup d’eau. » Je lui donne cette fameuse pilule verte comme un dealer, place de la Victoire en regardant à droite et à gauche pour surveiller que personne ne nous surprenne.

Juju en rentrant tel un taureau dans l’arène m’envoie un clin d’oeil témoin de notre secret, et nous fait une magnifique roulade sur le pré de ce stade mythique des Landes. Il est comme un fou, il crie, il bave, encourage les autres, lève les bras pour arranguer la foule. Première mêlée,  Juju est prêt, il pousse, pousse et son pauvre adversaire direct s’écroule. Pénalité pour nous, Juju est un dieu, tout le monde lui tape dans la main et lui, regarde dans ma direction ….

Ils ont gagné à Mont-de-Marsan! Tous les avants ont fait un match magnifique!

« A noter la bonne performance du pilier gauche Julien Buick », c’est le gros titre du journal Sud-Ouest de lundi.

Devant cette performance, Juju bien évidement revient me voir le jour même et me dit : « On remet ça pour Bayonne ! »

– Bien sur, mon Juju. »

Bon, mon Juju, il y a prescription, ça fait 20 ans!  Je dois t’avouer aujourd’hui, je ne t’ai jamais dopé! Je te donnais un comprimé d’Immodium, un anti-diarrhéique banal en te faisant croire que c’était un Captagon!! Et c’est pour ça, qu’un jour, alors que m’étant pris au jeu, je te proposais un cacheton de plus, tu me répondis: « Non arrête quand je me charge le dimanche , je ne vais pas aux toilettes pendant huit jours! »

Chez M. le Baron…

vertige

 

Ce matin, un de mes vieux patients de la noblesse française, le baron Auguste de Blanche de Prada de Beauprés et …..d’autres lieux découverts à marée basse, m’ appelle car il a la fièvre. C’est un grand appartement coquet de Caudéran, où trônent des vieux meubles 18ième et des tableaux, portraits des aïeux. L’interrogatoire, l’examen clinique… je ne trouve rien. « C’est sûrement la grippe, mon cher Baron. Un peu de paracétamol et hop, tu repars au golf » (on se tutoie). Michel a le faciès buriné de l’expat’ qui a bourlingué autour de la planète, nourri au whisky et qui a ramené des petits bibelots de chaque tournée où il a vendu son savoir.

Néanmoins, je trouve Monsieur le Baron sans son humour habituel, les traits tirés et inquiet. Je rédige mon ordonnance de paracétamol et prend ma bouteille de « knockando », cadeau à chaque visite de Michel qui partage le même amour pour ce délice tourbé. En franchissant la porte de la chambre, j’aperçois des lances de guerriers Masaï et là… une connection dans mon cortex:

« Tu as déjà été en Afrique ? »

– Oh oui, il y a plus de 30 ans.

– Tu as fait déjà du palu?

– Jamais , tu y penses?

– Ca me traverse l’esprit, je te fais une goutte épaisse, et un petit bilan sanguin ! »

Retrouvant son humour : « pour le bilan ok, mais pour la goutte, impossible je n’ai pas eu de rhume !! »

J’avoue, la fièvre du baron ne m’ a pas tracassé durant cette journée.

19h-

Je passe prendre mon fils Paul chez nous pour l’amener à l’entrainement et, dans la voiture, je reçois un coup de fil du labo.

« Bravo Doc, ton baron il est bourré de falciparum » (un des plus mauvais ).

On est toujours content même si on est inquiet, lorsque l’on trouve un diagnostic inhabituel chez un patient. Je l’appelle donc !

Pas de réponse! J’insiste, rien. Michel ne sort jamais, c’est bizarre! Bêtement je pense à Fosto Coppi qui est, paraît-il, mort de son paludisme. Je demande donc à mon fils si on peut s’arrêter pour voir son état.

Je sonne, résonne, toujours rien. Je tente chez les voisins et la jeune voisine de palier m’ouvre (18 ans, 1m75). Mon Polo me suit, heureux de vivre un épisode de ma vie profesionnelle. Devant la porte du baron, aucun signe de vie! La voisine me propose de passer par son balcon.

Mes chers amis lecteurs, je dois vous attrister. Le grand sauveur de l’humanité que vous croyez lire a une faille. Il a le vertige! Impossible au 4ième étage d’enjamber le balcon tellement j’ai peur d’être attiré dans le vide! Mes jambes sont dans le même tissu que mon pantalon (en flanelle) et Paul, mon gamin de 13 ans, se propose de suite. Reprenons! Le décor: une voisine en chemise de nuit transparente, un balcon à franchir, un enfant excité de gravir les marches de la gloire… Et moi… vert, tremblant de vertige. En deux temps trois mouvements, Paul se retrouve chez le Baron. Il pénètre dans l’appartement et ressort aussitôt. « Papa, papa il est tout  nu dans sa baignoire, sans eau, il a fait caca partout et il dit n’importe quoi !!!  »

Après m’avoir ouvert par le pallier, la voisine sur mes talons, (toujours aussi sexy avec les formes que l’on aperçoit à travers son deshabillé rose pale) je me rends vite compte que notre Baron est complètement à la masse: encéphalite paludéenne, trente ans  après un séjour en Afrique!

Heureusement tout rentre dans l’ordre après quelques jours d’hospitalisation et Paul, le cascadeur, se souviendra toujours qu’il a sauvé une vie mais que son héros de père est un grand froussard devant le vide.

25 Août

Ma prison à moi

prison

 

Vendredi 6 janvier

Comme je ne supporte pas d’ être inactif, je décide de travailler la seule après-midi de repos que j’ai. Je deviens médecin vacataire de la maison d’arrêt de Gradignan !

Une gifle… voilà, je reçois une grosse gifle. Le bruit, les hurlements à travers les fenêtres, le clic-clac de toutes les portes, les sas, les surveillants qui me regardent comme si j’ étais un extra-terrestre.

Mon arrivée  à l’ucsa (l’infirmerie) a quelque chose de cinématographique: des infirmières qui travaillent comme des abeilles autour d’une ruche, deux matons qui font de l’humour de … charcutiers, ce dont je rafole du style « eh… Kadhi, tu avances ou t’as les jetons?  »  Le pauvre Khadi, ne comprenant pas de suite, notre kiki de maton prit le temps de lui répéter avec gentillesse: « oui, caddie… les jetons. »

Sans plus attendre, on m’installe dans mon bureau et l’on me dit tout naturellement:  » voilà une sonnette au cas où … »

Mon premier patient, 5o ans, chauve, tatoué de partout, une dentition identique à la mienne après mon fabuleux match à Lavardac où ce gros connard de deuxième ligne m’avait, d’un magistral coup de poing, envoyé mes canines et autres molaires sur l’herbe grasse de ce terrain du Lot-et-Garonne .

On m’avait bien prévenu, Adrien, ne soit pas emphatique, ne tutoies pas, ne sois que médical, ne demande rien, soigne et donc ….

« Salut, qu’est-ce qu’il t’arrive? Tu es malade? Qu’est-ce que je peux faire pour toi? » Désolé mais je ne peux pas faire autrement, il faut que je sois sympathique.

« Ben, je passe aux assises mercredi et je veux être calme sinon je vais  tout casser même avec les bracelets. »

Surtout, Adrien, ne demande jamais pourquoi ils sont là, et donc :

 » Tu as fait quoi pour passer aux assises?

– On m’accuse d’avoir tué un mec et de l’avoir brulé ! et doc, je vous jure je ne l’ai pas tué !  »

Et moi toujours dans mon rôle de Docteur Bisounours : « c’est vraiment pas juste !  »

– Ouais, surtout que j’en ai  tué six dans ma vie, que je les ai découpés ou brulés et que j’avoue, mais le seul que je n’ai pas fait on m’accuse, alors là c’est dégueulasse! »

Je ne vous cacherai pas que le Dr Ouioui que je suis, ressentit un petit frisson que je dissimulai d’une réponse médicale: « donc, tu veux un antistress? »

En sortant, Kiki le maton lui cria: « Dépêche-toi, grosse saucisse! »  Je comprends pour une fois assez vite cette blague de potache en me rappelant son nom « Mr Francfort ».

Je consulte ce jour-là, une dizaine  de patients, du petit dealer aux chauffeurs de go-fast. Je suis émerveillé, heureux de vivre quelque chose de nouveau comme à la télé et surtout dans ce monde prison, je me sens libre car mon téléphone est par obligation resté dans ma voiture!

Le vendredi suivant, je repars vers « graduche » (nom de la prison de Gradignan) avec une joie intense.

Mon premier malade est  un ancien maitre d’hôtel (82 ans) d’une grande maison et qui avait eu depuis quelques temps des pulsions de montrer son gros kiki à sa fenêtre. Ce beau vieillard, au regard très bleu et aux cheveux bien gominés, continue son rôle de major d’homme, m’ouvre la porte, me tire ma chaise et finit ces phrases par des « s’il vous plaît,  avec plaisir Cher Docteur, veuillez m’excuser » etc , etc. Il a mal au dos et veut que je lui fasse changer son matelas! Cela me change vraiment de mes malades habituels qui viennent plus souvent pour des dépressions conjugales ou des harcèlements professionnels.

Après ce premier mois de ma nouvelle vie, je retiens une phrase que m’a dite un homme célèbre, emprisonné pour une affaire d’état très médiatisée: « Docteur, merci d’ apporter votre humanisme dans un monde si inhumain. » Voilà, j’avais gagné mon premier test !

Ces premières rencontres carcérales me démystifient le mot « prison ». J’ai toujours dit que, si un jour,  je dois être emprisonné, je pense que je me suiciderais avant. Je suis attiré par cet inconnu, je m’imaginais ces cellules, cette vie rythmée par les clics clacs des clefs, ces longs  couloirs, cette promiscuité, ce monde de violence, de sexe, de drogue, ce manque d’intimité.

Pour ne pas penser à tout ça, je me concentre sur  l’humain, sur la médecine, sur le rire, l’humour. Il m’arrive parfois de sourire de choses atroces tellement elles sont inadaptées à notre monde réel.  » Tu vas rester longtemps en prison? demandai-je à un petit homme trapu qui, lui aussi, vu sa dentition, aurait pu être édenté par ce gros, gros connard de Lavardac.

Il me répond avec calme et un grand sourire:  » Autant que de morceaux de l’amant de ma femme que j’ai découpés avec la scie, c’est à dire 25, euh… je voulais dire 26  car je me suis fais prendre et  on a retrouvé mes empreintes sur le sexe que j’avais déposé dans la boite aux lettres de ma femme. »

Mon premier bilan, en fait, n’est  pas dans le concret. C’est le mot « liberté » qui  raisonne  dans ma tête avec un autre sens. Moi, je ne suis pas libre, je suis emprisonné dans mes névroses, mes culpabilités, mes passions. De voir un être qui passe 22h sur 24h enfermé dans 9 mètres carrés, j’en arrive même a me demander si il n’est pas plus libre que moi!

Je prends l’habitude de fumer un D4 de Partagas à chaque fois que je pars à « Graduche ». J’aime fumer ce barreau par analogie avec ce qui est  le symbole de la maison d’arrêt, pour moi c’est la maison de départ de ma nouvelle vie.

Petit signe de reconnaissance devant la salle d’attente, des patients nouveaux, des anciens qui reviennent, mon succès relatif me rassure mais prouve que des années de psychanalyse n’ont pas eu le résultat escompté.

Le premier qui se présente est un jeune instit de 30 ans, beau gosse, calme, avenant. Comme d’habitude  je lui demande pourquoi il est là. Il me raconte avec un ton de faux offusqué, qu’on lui reproche une « relation non consentie » (selon ces propres termes) avec un enfant de 11 ans. Une montée de reflux gastrique remonte dans ma gorge, une nausée immédiate m’oblige de sortir du bureau. Kiki le maton  me reprend de suite: « Ne le laisse pas seul, tu n’as pas le droit! » Je reviens en ne pensant qu’à une chose « sois médical Adrien ! »

Si je suis franc, j’avoue ne pas l’avoir bien soigné et, pour une fois, cette connerie de pub « les antibiotiques ce n’est pas automatique » trouve un sens. En effet, son angine blanche mérite un antibio et moi, je lui ai donné un dolipranne 500. Je ne peux pas! Je pense à mon petit à 11ans qu ‘un instit vicieux aurait pu maltraiter.

Puis vient le choc, on frappe à ma porte, rentre Brahim.  Il s’approche de moi et se met à fondre en larmes, moi, pas loin.

15 jours avant, alors que je cherche un cuisinier pour faire un méchoui que j’offre à mon neveu, on me fait rencontrer un amour de mec, un algérien de 40 ans qui fit de ce baptême une réussite totale. Plein d’attention, de générosité il me raconte sa vie, son divorce, l’absence de ses enfants partis avec leur maman, ses difficultés financières, je ressens un énorme élan de sympathie pour lui .

 » Mais qu’est-ce que tu fais là? »

– T’as pas vu les journaux ? la tentative de meurtre à Bazas c’est moi ! »

Il me raconte alors un épisode digne d’esprits criminels ou des experts. Dimanche soir, sa femme venant de Nantes, vient lui montrer ses enfants et récupérer sa pension alimentaire. Ce sont mes quelques billets de banque du méchoui que Brahim s’apprête à lui donner. Alors sa fille ainée demande à ses parents de bien l’écouter: « Papa, Maman je veux vous dire que le copain de maman (son beau père) m’a plusieurs fois embêtée et plus …  »

Sa maman nie, rigole:  » Tu dis n’importe quoi, tu es bien comme ton père! »

Brahim devient fou, prend un couteau de décoration, se jette sur elle et la perfore de 4 coups de couteaux dans le coeur, les épaules et le foie. Elle git par terre, les petits hurlent, Brahim est comme un fou, appelle les voisins et téléphone aux secours, aux pompiers, à la police.

Jamais, en écoutant Brahim,  je n’imagine qu’il puisse me mentir. Je sais qu’il dit vrai, je le sens triste, il a honte, il a tout perdu. Depuis, j’essaye d’être objectif, de penser à une manipulation, un mensonge. Je pense aussi aux enfants, à la famille de la maman, je doute de tout et surtout je doute. Je reprends mon humanisme, je lui donne les quelques cigarettes que j’ai et  lui demande de faire un bon tous les vendredis pour venir me voir.

Le soir, dans mon lit, je pense à lui, dans sa cellule à 3 dans 9 mètres carrés. Moi, dans mon lit, apparemment heureux et pourtant…

Je suis très fier, aujourd’hui, je reçois ma carte magnétique, pour rentrer dans la prison et avoir les fabuleuses clefs dont 500 détenus rêvent dans leur sommeil.

Parce que c’était lui, parce que c’était moi…

main

 

Il vient de faire son footing. Nous sommes samedi matin je viens de finir mes consultations. Il est transpirant, souriant, beau. Nous sommes en septembre et son teint halé fait ressortir ses yeux si bleus. Adrien, c’est l’homme parfait ! Marié depuis plus de 20 ans avec Isabelle (il n’a eu qu’elle dans sa vie), il a deux enfants superbes, un super job, il a 45 ans. C’est beau la vie !

 » Regarde, Antoine, quand je cours j’ai des muscles qui sautent sans arrêt.  »

Je  ne peux, à cet instant, penser une seconde que je viens de commencer le film le plus triste de ma vie professionnelle. Je suis hors drame, je suis dans la « bisounours life ». Tout le monde rêve de connaitre Adrien, sa femme, belle comme une rose, ses deux enfants Camille et Matéo aussi beaux que vifs et intelligents.

J’examine ses muscles, son dos, ses jambes, tout en lui parlant du dernier match de Toulouse contre Toulon (il adore le rugby).

 » C’est vrai que ça saute tes petits muscles, tu es fatigué ? »

– Pas plus, je viens de courir une heure, je me prépare pour le marathon du Médoc.

– Je vais te faire faire un bilan pour voir si tu n’as pas de carence, magnésium, fer etc. »

Je ne pense à rien, je le regarde, il n’est pas inquiet, sourit, plaisante sur mon écriture plus arabisante que médicale. Ma réflexion sur le bilan sanguin que je demande me fait avoir les yeux dans le vague et par hasard (ou nécessité) ils se posent sur ses mains. Il n’a plus de muscle dans le creux de sa paume droite, juste sous le pouce.

Je lui demande de me la montrer, je la touche, la caresse. Je le regarde, je suis ému, je suis bouleversé. Il ne comprend pas, il me lance: « ça va Antoine ? »

Mon cortex vient de connecter les cellules de ma mémoire d’internat: « fasciculations plus amyotrophie de la loge thénar » = sclérose latérale amyotrophie, maladie de Charcot !

Maladie de Charcot c’est la descente aux enfers, c’est la mort par supplice, ce sont tous les muscles qui se paralysent un par un, sauf ceux des yeux. Le cerveau fonctionne jusqu’à la fin, la mort est atroce et arrive maximum en 3 à 4 ans.

Mon ami est là devant moi, heureux, souriant, se demandant sûrement si son copain qui lui caresse la main de façon attendrissante n’est pas entrain de changer de sexualité alors que  je viens de commencer un compte à rebours de fin de vie, de fin de SA vie.

Je me reprends et l’humour (mon arme de protection fatale) me pousse à lui lancer:  » t’as de beaux yeux tu sais » façon Gabin.

Mon diagnostic clinique est sûr. Je ne veux pas y croire. Ce n’est pas possible, pas lui, pas cet homme merveilleux, cet ami, ce papa, ce mari, ce sportif.

Heureusement que les examens complémentaires existent en médecine. Ils permettent de retarder l’annonce du verdict et surtout de s’y préparer.

 » On va faire le bilan et je vais demander un électromyogramme.

– Tu penses à quoi ? »

Il a l’air soudainement inquiet et ses yeux rieurs d’il y a quelques secondes sont interrogatifs avec les sourcils en accents circonflexes comme si il essayait de pénétrer dans mes circonvolutions cérébrales.

Ma réponse est nulle: « à tout et à rien, t’inquiète pas ».

Il est midi, je monte dans ma voiture. Habituellement je ressens un grand bonheur de finir ma semaine,de rentrer chez moi, décompresser, voir mes enfants et me saouler de matchs de rugby, allongé sur le canapé, le D4 à la bouche.

Mais là, je suis k.o ! J’ai envie de pleurer, je n’y arrive pas. Je roule sans savoir où je vais, je ne pense à rien, je suis mal, j’ai une boule de la taille d’un ballon de foot dans le ventre. Je déteste mon métier, je me déteste, je déteste celui en qui je crois, ce connard de Dieu pourquoi faire du mal:

« Tu peux m’expliquer toi qui fait le beau le créateur, le gentil,  pourquoi tu fais ça? Tu es mauvais, tu donnes la vie pour la reprendre et faire souffrir. Adrien ne t’a rien demandé, tu lui montres un appartement témoin et tu l’enfermes dans un tunnel qui le fait glisser vers la mort ? Tu es un salaud mon Dieu ! »

Le plus dur quand on vit cela, c’est de rentrer en famille, de voir sa femme, ses enfants qui ne savent rien de mon tourment et de faire comme si rien n’était. Parler des devoirs du matin, de la chambre mal rangée, du match de Paul de demain, de la guitare de Louis, des futures vacances en famille. Je voudrais être seul sur une plage du bassin, les pieds sur le sable, la tête dans les étoiles. J’aimerais rencontrer mon Dieu et lui parler face à face et qu’il m’explique.

Le lundi quand je reprends mon travail, j’ai toujours ce sentiment d’être chanceux car je fais le plus beau métier du monde. Il me tarde de commencer ma journée. Ce lundi l’enthousiasme est remplacé par l’angoisse des résultats de l’irm et de l’emg d’Adrien. Mon empressement pour lui faire faire ses examens le surprend. Je suis lâche, je lui raconte que c’est pour vite lui trouver un traitement pour ses fasciculations or il n’y a pas de traitement…

Je suis très fier que l’on dise de moi : « il va très vite mais il a un bon flair diagnostic ». J’aimerais tellement me tromper aujourd’hui, j’aimerais tellement me dire ce soir : »Pourquoi as-tu pensé à une « sla » alors que c’est un manque calcium ou de magnésium ? »

18h- Le téléphone retentit. J’ai le coeur qui bat, j’ai devant moi une pauvre ado de 16 ans qui pleure car son petit copain vient de la laisser.

« Allô, Mareilhac? C’est Philippe, le neuro : « c’est une « belle sla », c’est sûr ! bravo ! »

Ma tête explose, mon coeur se fend en deux et lui ,cet andouille de neuro, technicien électrique me dit « bravo » !!  Bravo de quoi ? bravo pour annoncer à mon meilleur ami qu’il va souffrir, qu’il va mourir dans moins de 3 ans, que sa femme va se retrouver seule avec deux bambins ?

Et puis, pourquoi il dit « belle sla »?  Comment une telle maladie peut -elle être qualifiée autrement que monstrueuse, atroce, injuste ?

Je n’ai pas besoin d’appeler Adrien, il vient lui même, poussé sûrement par le souvenir de ma tristesse en lui caressant la main samedi.

« Alors, tu en penses quoi ? »

Je ne sais pourquoi dans de telles situations j’arrive à parler, des phrases automatiques que je ne maitrise pas mais qui sont justes et à propos.

« Je pense que c’est une atteinte de la moelle, que cela peut aller du plus grave au plus bénin, il va falloir voir un bon neuro ».

– Arrête Antoine, dis moi, tu penses à quoi ?

– Tu m’embêtes Adrien, j ai peur que tu aies une vilaine merde.

– Je le sais depuis samedi, quand je t’ai vu me caresser ma main. J’ai su, j’ai tout cherché sur internet, j’ai une maladie de Charcot, je suis foutu, mais ça va, je vais me battre. Les miracles, tu sais ça existe ».

Ce mec est l’homme parfait, il avait déjà tout et maintenant alors qu’il se sait condamné il a la dignité, le courage, la force.

Le lendemain, sans avoir fermé l’oeil de la nuit, je ressens une oppression énorme, je suis désemparé. Adrien m’a toujours parlé de son meilleur copain à Toulouse. Il est pharmacien, il s’appelle Jean-Luc. Ma seule idée de la journée c’est de le retrouver, de lui parler, de parler à quelqu’un qui aime Adrien. Je n’ai pas le courage d’appeler Isabelle, sa femme. Les réseaux sociaux servent à quelque chose, en regardant sur sa page je vois un de ses amis qui se prénomme « Jean-Luc ». J’appelle et je trouve une voix chaude, humaine, transpirant la ville rouge et Nougaro.

« Je ne vous connais pas mais nous avons un ami très cher en commun, Adrien ».

Le ton de sa voix exprime de suite, la compréhension, il sait que c’est grave.

« C’est bon, arrête j’ai tout pigé. Il est foutu…  » Il se met à éclater en sanglot et …moi aussi. On arrive même plus à parler.

Ce qui a de merveilleux dans la vie, c’est comme il est écrit  dans l’ecclésiaste: « Ce qui fut, cela sera; ce qui s’est fait se refera ».  Et il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Jean-Luc est, depuis ce jour-là et encore aujourd’hui, mon indispensable ami.

La leçon de vie que j’ai vécu pendant 3 ans m’a beaucoup plus apporté que les heures allongées sur un divan. Aux cotés d’Adrien et Isabelle, j’ai tout appris, j’ai essaimé une marguerite où je disais bonheur, force, humilité, simplicité, courage, humour, amour, amour, amour jamais tristesse.

On ne peut détailler ces 3 ans où du choc du départ, on passe de l’espoir à la désillusion, de la souffrance à l’agonie.

Deux mois après la certitude du diagnostic, Adrien a voulu manger avec moi. Simplement, il m’ a dit:

« Antoine, prends soin d’eux. »

Je vois mon ami devant moi, me regardant droit dans des les yeux, sur ses deux jambes, comment voulez-vous que je ne lui dise pas.

« Bien sur, je te le promets Adrien, je te le jure ».

Il ne me répond pas il se lève, m’ embrasse et me serre  dans ses bras pendant un long moment.

Trois ans sont passés. Adrien est dans sa chambre, trachéotomisé, il ne bouge rien, il est assisté jour et nuit. Isabelle est là 22h sur 24. Elle essaie pendant deux heures de gymnastique intense de se défouler comme un boxeur à deux mois d’un championnat de boxe. Il a toute sa conscience et ne peut communiquer que par le clignement des paupières. Je lui montre lettre après lettre et la fermeture des paupières signifie que je dois la retenir.

Un soir, Adrien veut me parler, enfin cligner..

Il me rappelle ma promesse …. il est parti cette nuit-là.

Je t’aime, Adrien.

22 Août

Les maux dedans #3

bill

Venir le vendredi à 13h30 ne m’arrangeait pas du tout car je commençais mes consultations à 14h à l’autre bout de Bordeaux. J’ai imaginé un moment que c’était volontaire de sa part. Moi qui lui avait annoncé que je ne savais pas dire non, il me demandait l’impossible. En fait, pas du tout, j’ai su par lui qu’il avait perdu une cliente qui venait tous les vendredis, mais qui s’était suicidée et qui lui avait écrit une lettre qu’il m’a lue ce vendredi et dont la conclusion était  « Merci Docteur Mie de m’avoir accompagnée jusqu’à ma mort » !

Je ne comprenais pas, j’étais paumé, je prenais la place d’une suicidée, il me lisait une lettre d’amour pour lui.

Il me lance :

« Alors, on en était où ?

– Dans un stade sans but.

– Continuez.

– Finalement…

– Bien, cela fait 40 euros, en liquide s’il vous plait !

« Oui, voilà, excusez-moi je n’ai pas la monnaie. »

Je lui tendais un billet de 100.

Fou de rage : « C’est la dernière fois ! C’est votre inconscient qui parle! En fait, vous appréciez tellement notre travail que vous pensez que le tarif que je vous demande de 40 euros est trop faible, vous avez raison. Aussi, je garde ce billet, et si vous n’êtes pas d’accord la prochaine fois, vous amènerez le compte exact ! »

J’étais k.o. ! Je descendais cet escalier complètement abasourdi. La séance avait duré 2 minutes, elle s’était arrêtée au mot finalement et il m’avait volé 60 euros !
Je n’avais pas le temps de réfléchir, je devais foncer à mon cabinet. Il était 14h et j’avais sûrement la salle d’attente pleine.
C’est fou mais, alors que je devrais être furieux de tout cela, j’avais comme un sentiment bizarre, un peu comme admiratif, très curieux de la technique, envouté par cet homme qui me terrorisait mais qui me motivait pour réussir ce que j’aime tant faire : arriver à le séduire.

Pendant mes longues heures dans la voiture, j’avais toujours le temps de réfléchir et de repenser à mes minutes passées dans le donjon en haut de l’escalier avec le  » dentiste  » ! C’est ce que le docteur appelait mon  » auto analyse « . Cette semaine-là, j’avais vraiment du travail. Pourquoi m’avait t’il demandé de « remplacer  » une morte ? Pourquoi, lui qui ne parle pas, m’avait t’il raconté son suicide, m’avait t’il lu cette lettre? Pourquoi avait t’il stoppé la séance sur mon « finalement » ? Pourquoi cette histoire de mon inconscient …généreux ?

Je suis tellement motivé que j’arrive à trouver une explication à chaque question. Je suis tellement dans la passion psychanalytique que je n’imagine pas une seconde que les réactions du docteur ne sont autres que thérapeutiques, et bien sur honnêtes !

Pourquoi revenir le vendredi ? Parce que mon travail doit évoluer et une seule séance par semaine ne suffit pas. J’arrive même à m’expliquer que je ne parle que de la face visible de l’iceberg le lundi et, ayant moins de choses superficielles à exprimer, je vais dans la profondeur de mon fameux inconscient le vendredi. J’arrive à penser qu’il a trouvé un analysant intéressant. Pourquoi me parle-t-il de sa suicidée et pourquoi me lit-il la lettre ? Parce que la mort est un sujet qui m’inquiète terriblement, il a compris cela et il veut démystifier la mort à mes yeux. Pourquoi arrête t’il la séance sur un  « finalement » ? Parce que mon inconscient devait sûrement arrêter ? N’avais-je plus rien à dire ?

Les maux dedans #2

sofa

 

La semaine suivante fut curieuse. Comme pour tout, j’aime aller à fond et me passionner. Je repars chez Mollat, je feuillette et achète des nouveaux livres sur Lacan. Je me procure moi aussi un fameux petit carnet où je décide de préparer mes futures séances.  Je ne comprends toujours pas trop les livres mais je progresse, je les lis à l’endroit!

Ce nouveau lundi, excité par un nouveau rendez vous, je me lève très tôt et pars presque heureux d’ avoir un nouveau but. 6h 23,  je sonne, 2mn d’attente… l’ouverture de la porte, l’escalier et là, derrière la porte, notre Alain Souchon, ben ladenien hirsute m’accueille, si on peut dire :

 » 6h30, c’est 6h30 et pas 6h23!

– Veuillez m’excuser.

– Venezzzz. »

Je rentre dans le bureau où, déjà, l’odeur du cigare envahit la pièce plus sombre que jamais. Seule une petite lampe de bureau et l’éclairage de la rue permettent d’y voir.

Je m’assois en face de lui et là, pour ne pas avoir ce vide de la dernière fois, je m’apprête à parler en premier, et là, surprise, il me lance avec un petit sourire :

« Alors, on en était où? »

Je le trouve plus humain, normal quoi. J’avais préparé mon introduction, et voilà qu’il faut que je réponde à une question! Eh bien, je suis content de revenir!

« Continuezzzzzz! »

– Cela me gène un peu de dire que je consulte un psychiatre alors je dis à tout le monde que je suis en traitement chez un dentiste!

– Oui, normal pour vos maux dedans! »

Ça y est, je viens de tout comprendre des théories lacaniennes!  Il faut bien dire qu’à partir de cette phrase, l’ Alain Souchon du pauvre, le Ben Laden des riches ou le Woody Allen de la psy devenait un vrai thérapeute et le doute que j’avais pu ressentir s’effaçait. Ce n’était pas un imposteur, c’était bien un enfant de Lacan, génie, gourou et sauveur.

J’ai eu le tort de lui montrer que je trouvais fabuleux ce jeu de mot, moi qui en fais toute la journée, souvent plus bête que fin mais qui me font rire et parfois font rire les autres. Alors il se croit obligé de reprendre un air méchant, obscur et me relance par un:

« Oui, continuezzzz! »

Je reprends donc le fil conducteur de ce que je voulais dire avant d’être interrompu et je sors:

 » Voilà,  je suis à un stade sans but dans ma vie et cela me dérange, j’ai besoin de but. »

D’un air enjoué il part alors dans une tirade cinématographique :

 » C’est merveilleux, vous vous rendez compte, cher monsieur, de ce que vous venez de me dire? Non, quoi ? non, vous ne voyez pas ? mais c’est dingue ! Il faut voir, entendre l’inconscient!  Vous pensez que vous venez pour vous reposer ici ? »

Son ton était fort, agressif et bizarre. Je ne savais pas si c’était de la comédie ou si c’était thérapeutique. En tout cas,  il commençe par m’expliquer que moi, sportif, ex rugbyman,  je parlais de stade sans but.  Il ne comprenait pas la différence entre des buts de football et des poteaux de rugby, et je ne comprenais rien à ce que venait faire mon inconscient sur une pelouse. Enfin, je savourais ces premières joutes analytiques quand la phrase cloche retentit:

 » Bien… ça fait 40 euros, en liquide s’il vous plait. A vendredi, 13h30.

– 13h30? Vendredi? Pas lundi, 6h30?

– J’ai dit vendredi 13h30. »

Machinalement je regardai ma montre et je constatai que cette séance n’avait durée que 7 minutes! Mais, toujours optimiste, je pensai que ce qui comptait c’était le contenu et qu’une immense piste de réflexion s’était ouverte: que faire d’un stade sans but?

C’était nouveau, j’avais besoin de nouveauté dans ma vie, j’avais toujours eu parallèlement à ma vie familiale et professionnelle des passions. Au début,  j’étais joueur de rugby, puis j’ai eu la chance d’être médecin des Girondins de Bordeaux avec tous les plus grands joueurs puis je suis devenu président du SBUC, et aujourd’hui, je sentais que la psychanalyse et son gourou, le fabuleux docteur Mie, allait être le nouveau moteur de ma vie.

Les maux dedans #1

cortex

 

Ça y est !

C’est décidé,  je vais faire une psychanalyse!  ça fait bien non? Un peu américain, un peu « american beauty ».  J’ ai 45 ans, j’ai eu une vie bien remplie, beaucoup de réussites extérieures, mais un grand bazar intérieur. Alors je prends le bottin, pages jaunes, la rubrique psy, je ferme les yeux, et avec mon index, je pointe, au pif: docteur Philippe Mie, rue Saint-Rémi, Bordeaux !
J’ai l’habitude d’aller toujours vite, alors le portable d’une main, la clope de l’autre, le genou sous le volant afin de maintenir un cap sur la chaussée et … hop!  Allô, Docteur Mie?  Et là,  une voix feutrée comme la nuit à la radio quand une psychologue prend les communications des pauvres désespérés qui n’ont jamais atteint l’orgasme.

« Ouiiiiiiiii,  bonsoir que puis-je pour vous ? »

-Je voudrais un rendez vous avec vous.
-Pourquoi ? »

J’avais envie de lui répondre parce que tout va bien et que j’ai envie de vous donner du fric.

-Parce que je souhaite vous consulter.
-Demain 15h.
-Je ne peux pas, je suis médecin et je consulte l’après-midi.
-Alors 6h30, lundi.
-Ok, pas de problème je commence tôt.
-C’est votre problème, pas le mien, à lundi. »

Je ne vous cache pas que cette première approche avec la psychanalyse est plutôt surprenante, mais bon, je la veux, je l’aurai ma psychanalyse.

Après cette impulsivité téléphonique, je commençais à cogiter un peu. Est- il freudien, youngien, lacanien ou je ne sais quel autre race de psy?

La rencontre fortuite avec un copain psychiatre autour d’un stade de rugby me permet de lui demander s’ il connait le Dr Mie : « Oh, oh, un Lacanien pur souche; mais compétent, pourquoi tu me demandes cela? » Et là, comme d’habitude dans ce genre de circonstance, le gros mensonge: « Euh, c’est pour un ami qui cherche un analyste lacanien ».

Bon,  je sais qu’il est lacanien mais je ne sais pas ce qu’est un lacanien. Alors direct chez Mollat, la grande librairie de Bordeaux et au rayon psy, je cherche Lacan bien sûr,  je trouve et j’achète deux livres pour le weekend !!

Je me rappellerai toujours cette lecture des premiers chapitres. Je ne comprenais rien, de rien de rien, mais bon, j’étais presque fier d’être rentré dans ce monde intello, psycho, socio et voir ma femme, me regardant avec un sourire admiratif en train de lire, suffisait à mon bonheur, même si je tenais le livre à l’envers!

J’ai toujours aimé me lever tôt, et savoir qu’un homme de l’art, médecin comme moi, psychiatre, se levait aussi tôt me réjouissait et je traversais tout Bordeaux avec une émotion, un petit frisson, comme si j’avais donné un rendez vous à une femme par Meetic sur le net.

Je n’avais pas fait attention à l’adresse mais, en descendant de voiture,  je remarquais que le cabinet était situé à coté de l’ancienne maison de mes grands parents, maison qui m’avait remplie de bonheur, de souvenirs merveilleux et que j’avais quittée il y a plus de 35 ans! Bonne augure tout ça!

Par contre, ce petit escalier en colimaçon m’apparaissait comme un Everest surtout pour un vieux rugbyman ayant laissé son genou sur un terrain de Saint-Sever. Enfin, pour prendre du plaisir, il faut souffrir!

La salle d’attente est toute petite, avec une odeur de vieux. Les revues sur une petite table Ikea sont surprenantes, ce n’est pas un vieux match ou un Elle de 1968 comme dans tous les cabinets mais c’est beaucoup plus Art press, des livres d’humour juif, un livre sur Lacan,  un magazine de photos très pornographiques.

J’entends un murmure au fond du couloir,  preuve qu’il ya quelqu’un. Je suis fébrile, impatient et un peu craintif. Puis ça y est, un bruit de porte, un au revoir lugubre, des pas, et l’arrivée dans la salle d’attente d’un homme tout de noir vêtu, frisé comme un mouton (noir), un nez qui me parait immense, un teint que je qualifierais d’ « olivâtre » et cette fameuse voix à la Meni Grégoire que j’avais entendue lors de ma prise de rendez-vous: « Vous venezzzzz? »

Alors là, pas de surprise pour la description du bureau: petit, sombre, une odeur de cigare, des tapis partout (vu l’allure et le teint du propriétaire je ne peux m’empêcher de penser: il a dû en vendre dans sa première vie!) un petit divan recouvert d’un autre tapis,  des tableaux abstraits, sombres eux aussi, des masques africains noirs, et quelques grigris frisés comme la chevelure de mon psy! Une tasse de thé encore fumante, un fauteuil en cuir tout vieux, bien sûr, situé derrière le divan et perpendiculairement, un petit bureau ancien avec un cendrier plein, des papiers et un petit carnet, un fameux petit carnet!

Je me suis toujours demandé si j’allais devoir m’allonger dès la première séance ou si j’allais m’asseoir devant lui. D’un signe de la main, il m’invite à m’asseoir et je peux dire que cela me rassure. Je me voyais mal allongé dès le premier jour.

Je suis mal à l’aise et il ne fait rien pour m’aider. Il ne me dit rien, moi non plus. Deux bonnes minutes se passent avant que je ne prononce le premier mot:

« Je viens vous voir parce que je voudrais savoir dire un mot que mon cerveau n’ a pas dans ses archives le mot: NON! »

Je suis assez fier de cette première déclaration et, comme j’ai lu dans les livres que la parole est primordiale chez les lacaniens, je pense que mon Alain Souchon (il lui ressemble en brun) va pouvoir s’éclater. Eh bien, pas du tout! Toujours aussi lugubre, il ne dit rien. Alors gêné, je me sens obligé de continuer et je lui raconte en quelques phrases ma vie que je pourrais résumer en: amours, rugby, médecine! Dix minutes plus tard,  il se lève, prononce un mot qui sera récité à chaque fin de séance comme la cloche du collège:

« Bien ! cela fera 40 euros en liquide, s’il vous plaît, et vous viendrez lundi prochain à 6h30! »

La descente de l’escalier en colimaçon fut encore plus difficile que la montée surtout que mon genou n’était pas revenu de Saint-Sever !

Je monte dans ma voiture, j’éteins la radio, j’allume ma cigarette et je réfléchis. J’éprouve un mélange de frustration, de plaisir, de déception, mais bon,  je m’en fous: je suis en analyse !!

La saison des transferts

Le transfert, haut symbole de psychanalyse, est bien connu. Je le vis au quotidien mais parfois on s’y attend pas, ça arrive.

2 mai ! Je me souviens, c’est le jour de l’anniversaire de mon père et on m’attend pour repas festif.

19h ! Le téléphone sonne et je réponds toujours tel Zorro, je pense que c’est une histoire de vie et de mort ! La voix paniquée de cette institutrice de 40 ans divorcée, à peine audible : « Venez vite, docteur, venez vite ».

Je saute dans ma voiture et fonce pour peut-être sauver une vie, éviter un suicide, masser un coeur arrêté, injecter un corticoide pour une crise d’asthme …

Je monte 4 à 4 les trois étages de cette petite résidence modeste où l’odeur de piperade excite mes papilles avant mon repas familial.

Elle m’attend cheveux hirsutes devant la porte.

 » Ah, vous voilà, docteur ! » Elle claque la porte sans contrôler ses gestes, elle titube, elle  parle seule: elle est bourrée !!!!

 » Vous êtes pas prêt de repartir car je vous aimmmmmmme… hic, docteurrrrrrr. »  Elle prend les clefs de la porte et  les jette par le balcon!

Je vous fais le point: 20h enfermé dans un appartement au 3ième étage avec une instit bourrée en manque d’affection et le gâteau de mon père commence à fondre sous les 78 bougies allumées ! Je reprends mon rôle de médecin:  » Madame Faure, vous avez abusé d’un peu trop d’alcool, calmez-vous et donnez-moi vos clefs ! Je vais vous faire une piqûre.  »

 » Si c’est pour moi voir mon cul, pas besoin de piqûre (elle commence à se déshabiller, titube et tombe par terre renversant une table jonchée de cadavres de bouteilles vides. Je suis perdu, je suis fou de rage, je ne sais pas quoi faire. Notre maitresse d’école est toujours à poil marmonnant des mots grossiers, sexuels et répétant sans cesse son amour pour moi.

C’est grâce à un mouvement d’humeur terrible dont je suis capable que le double des clefs finissent par tomber d’un vieux sac. Le lendemain, Madame Faure m’a donné un petit coup de fil et a présenté ses excuses. Je n’ai plus jamais revu cette pauvre instit’ en mal d’amour.

Un petit miracle

 

bébé

Mes journées se remplissent. Si je ne fais pas de visite, je vais faire mes courses et change tous les jours de boulanger, de boucher, et à chaque fois, je discute, je raconte mon installation, ma disponibilité 24/24 je donne mon numéro de télèphone personnel, mon adresse, tout, je donne tout! J’aime trop mon travail, j’aime les gens, j’aime aider, soigner, j’aime parler, j’aime démarrer fort. Je Je prends des gardes à tous les autres médecins bien contents de laisser les week-ends aux petits jeunes.

J’ai accepté la garde du 1er janvier ! Le premier appel à 7h ! Jusque-là rien de spécial, une gastro chez une jeune femme, elle a mal au ventre. Lendemain du réveillon, j’imagine bien le tableau …

C’est la voisine qui m’ouvre la porte de ce minuscule appartement du centre-ville. Il fait froid et le décor ambiant me rappelle mes années étudiantes. Christine est dans son lit et s’excuse du bazar ambiant. Je ne regarde rien sur les conseils de mon vieux pote Hippocrate, par contre je remarque les traits tirés de la patiente : elle souffre ! Elle m’explique que son mari militaire est en mission a Djibouti et que, comme je le suppose, ce n’est pas le réveillon festif qui provoque ce mal au ventre et ses vomissements mais une belle diarrhée. Soulevant les draps, elle est très gênée, elle m’explique honteuse qu’elle vient d’ avoir une petite fuite. Poussé par foi de sauveur, je lui explique que cela n’est pas grave mais je suis surpris par l’allure de la petite fuite. Elle est sanguinolente et la palpation du ventre est difficile car Christine présente une surcharge pondérale. J’examine et je dois faire un examen gynéco (ce n’est pas ma grande spécialité, je l’avoue) mais là, ma surprise fut totale : des cheveux, oui des cheveux sous mes doigts : Christine est en train d’accoucher!

C’est dingue, c’est fou ! Je lui demande si elle savait qu’elle est enceinte et elle ne le sait pas du tout, c’est un choc énorme. La tête est engagée ! Elle pleure, elle rit, pense à son mari qui est parti il y a trois mois et qui va revenir dimanche. Il a quitté sa femme seule et va se retrouver papa ! J’appelle le Samu de suite mais le médecin régulateur m’annonce qu’il ne peut pas envoyer une antenne avant 45 mn! Aucune ambulance libre ! Soit je l’accouche là dans ce petit studio, soit je l’emporte dans ma petite Ford Ka.

Il faut agir vite. J’amène la voisine et Christine et direction la maternité. Je préviens l’obstétricien de garde et je fonce …. J’ai bêtement la main sur le bas ventre comme si je retenais la tête du bébé. A l’arrivée un brancard nous attend et l’expulsion se passe juste à l ‘entrée du bloc. Je suis là, je souris, je pleure, je tremble. Christine me regarde, elle est anéantie, heureuse, paniquée, et me demande:

 » Comment vous vous appelez docteur ?

– Mareilhac, docteur Mareilhac.

– Non, votre prénom ?

– Antoine !

– Alors, il s’appellera Antoine !! Je vous demande juste d’être là dimanche quand mon mari reviendra ».

La suite est belle : le militaire arrive au studio ce dimanche de janvier. Il fait beau, le soleil illumine le séjour bien rangé, un petit couffin bleu pale est posé sur la table et, quand la porte s’ouvre, Christine, Antoine dans ses bras, se précipite dans ceux du soldat en lui chuchotant en pleurant « c’est ton fils mon Chéri ! Joyeux Noel ! »

Je vous promets que ce jour-là j’ai vécu le moment le plus émouvant de ma vie.

Mordu par l’Urssaf !

Les premiers mois de ma nouvelle vie sont essentiellement faits de longues attentes seul au cabinet où quelques patients se suivent, un par un, tout au long de la journée.

Il m’ arrive, parfois, en début d’après-midi, de faire même une petite sieste sur ma table d’examen!

Une après-midi, je suis réveillé par une vielle dame qui vient de se faire mordre par son petit chien. Je me lève précipitamment avec la marque du drap d’ examen inscrit sur mon front et je fonce  mettre ma blouse blanche afin de retrouver un peu de crédibilité médicale. La plaie sur la lèvre est importante et la pauvre mamie n’a qu un seul mot à sa bouche (ensanglantée) « Urssaf », « Urssaf » ! Je ne comprends rien, je me réveille d’une sieste ….médicale, du sang partout et une vieille dame qui hurle « Urssaf ». je dois rêver..

Pour moi, « Urssaf » c’est un mot tabou car tous mes vieux confrères m’ont toujours dit : « Méfie toi de l ‘urssaf, méfie toi de l’urssaf… », j’ai peur !

Alors, j’ose poser la question: « Pourquoi vous criez « Urssaf », Madame ? » « Ben, docteur c’est le nom de mon petit chien, mon pauvre mari l’a appelé comme ça pour ne pas oublier de payer ses cotisations ! »