14 Jan

Pour une heure de moins #2

myope-drmaisonOmar parle et nous on se regarde ! Mais il est fou ou c’est du sérieux ?

– il a dit qu’il ne ferait rien ce soir, ouf, je vais pouvoir boire le Chasse Spleen que j’ai amené !

– alors bois-le vite Antoine, car moi, il va peut-être enlever mon heure et on se retrouvera dans le vestiaire le jour où je t’ai fait un nez en virgule et où tu as mouchė rouge, tu te rappelles Mérignac Sbuc en junior ?

– parce que je t’avais laissé un bristol dans la poche en marquant mon troisième essai, mauvais joueur Olivier !

Odile (toujours voulant recentrer les débats) : Arrêtez les garçons, vous n’allez pas recommencer, laissons Omar nous expliquer.

– ça me fait peur moi tout ça ! buvons le Chasse et oublions le Spleen !

– rassurez-vous mes amis, dit Omar ! on est là pour passer un bon moment et je ne ferais rien ce soir mais on peut à tour de rôle imaginer ce que serait votre vie avec cette heure de moins.

Geoffroy, le premier, essuyant ses lunettes machinalement avec sa chemise :

– moi, je sais !

– tu sais quoi ?

– l’heure que j’enlève ! Celle où ma mère m’a mis sur la plage en plein soleil alors que j’avais la varicelle, j’avais 7 ans !

– et alors ? Tu as eu des cicatrices ?

– non mais mes yeux ont été abîmés et mon nerf optique touché !

– c’est là où tu as acheté ton premier labrador ?

– arrêtez, ne rigolez pas, je ne serais pas ce pauvre décorateur de film, je serais Truffaut, Spielberg Woody Allen, Lelouch… si je pouvais seulement regarder dans l’objectif de la caméra sans mes lunettes à la Suzanne Boyle !

– tu sais, tu as quand même super réussi ta vie, combien d’intermittents du spectacle aimeraient avoir ton cursus ! Passer de « la vie est un long fleuve tranquille » à « Vidocq », « Maupassant », sur le dos « Tatie Danielle » ?

– peut-être ! Mais quand je vais chez l’ophtalmo, je ne vois que le ZU.

(Odile toujours aussi éveillée)

– Pourquoi tu dis ZU ? Chez nous à Bordeaux, on prononce le T on dit zut.

– C’est ça Odile, continue de fumer la moquette et laisse-nous entre grands…

– Tu vois Geoffroy moi, je ne suis pas d’accord, tu pourrais certes y voir mieux, tenir une caméra, regarder par le petit objectif, mais filmer n’importe quoi, être nul et te retrouver figurant sans lunettes dans une série TV !

– j’ai tellement d’idée dans ma tête, de scénario, d’histoires touchantes que je suis sûr de faire passer mes émotions à travers ma caméra.

– (Geoffroy) imaginons la scène : il fait très chaud devant la doucette, ma villa du Ferret, ma maman me réveille de ma sieste et va me poser sur la plage. Tes boutons de varicelles sècheront plus vite  ! On dirait un Homard

– (notre indien au flegme et humour très colonie britannique avec un clin d’œil coquin) je vous en prie, chère Madame, une écrevisse pas un Homard, j’ai déjà si peur de finir en court-bouillon à Pinasse Café.

Tout le monde éclate de rire devant ce trait d’humour, sauf notre pauvre Geoffroy qui veut reprendre le cours de son  histoire :

– alors au lieu de le mettre sur la plage, tu ferais mieux de l’amener manger une glace dirait ma tante Sylvie. Mais comme maman Geoffroy c’est une sorte de Ma Dalton c’est elle qui décide et donc bébé Geoffroy ira sur la plage !

Alors Mr Langoustine, vous me repositionnez au moment où ma tante Sylvie pousserait ma Dalton et m’emmènerait chez Frédélian ? Ou je reste miro à tout jamais ?

Imaginez, cher Monsieur De Bouillon (c’est de l’humour d’une langoustine légèrement vexée) ce que serait votre vie avec cette glace absorbée et ce nerf optique respecté.

– je suis sûr que j’aurais pu filmer ce mélange de couleurs, fait de bleu de vert et de jaune qui sont dans ma mémoire chaque fois que je pense au Ferret, mais cette fois si je pouvais voir enfin le détail d’une main, la ride des yeux d’un vieux marin buriné, l’étoile de mer coincée dans la jagude.

– (Antoine) mais certes, tu y verrais mieux mais serais-tu un bon cinéaste pour autant ? Ta description que tu nous fais de ce vieux pêcheur ramassant ses filets où se débat une Stella Maris est encore plus belle car elle vient de ton imaginaire et non parce que tu l’as vue.

-Tu as peut être raison Antoine, mais cette frustration aujourd’hui a 60 ans elle est parfois difficile à digèrer. J’ai bien envie d’appeler notre Fakir la semaine prochaine …

– (Nathalie) mais moi, tu ne m’aurais pas connue ? tu serais le mari d’Arielle Dombasle ou de Sophie Marceau tes copines des films où tu as décoré les scènes !

– voulant copier l’autre Antoine (de Saint-Exupéry) : tu sais on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux.

D’accord ! Je reste avec mes lunettes, mes décors et toi, ma chérie !

06 Jan

Pour une heure de moins – #1

heure-drmaison

Ce soir un repas, très « bordelais ». Un groupe d’amis et souvent quelques surprises.

La journée a été dure, je me suis levé de bonne heure, l’épidémie de gastro a surbooké ma salle d’attente.

Je n’ai absolument pas envie d’y aller à ce repas, mais le manque de motivation sera égal à la joie que j’aurai en rentrant.

La douche rapide pour se laver de la journée, le dress-code est simple : jean, chemise blanche, pull-over sur les épaules (je vous l’ai dit, c’est très bordelais ce soir). Je cherche la bouteille de vin qui fera plaisir (j’hésite entre le Palmer de Bernard ou le Chasse-spleen de… Baudelaire). Ma chérie est prête depuis longtemps, elle a acheté un magnifique bouquet de fleurs, elle non plus n’est pas très motivée, mais on ne peut y échapper, nous avons déjà repoussé deux fois, on les aime bien les Dupouy mais sur semaine un repas du soir c’est fatigant.

On fait le point dans la voiture : combien sommes-nous ?

D’abord, nos hôtes les Dupouy : le couple qui semble inébranlable et qui reçoit beaucoup sûrement pour éviter cette monotonie qui s’est installée dans leur petite échoppe caudérannaise.

Il y aura les Lafont, assureur et ancien sportif de haut niveau quand il était jeune avant un accident de scooter qui lui a détruit la cheville. Puis les Flêches, couple aussi intermittent du spectacle que fidèle en amitié. Lui est chef décorateur célèbre sur des grands films, elle est peintre décoratrice. Les Soulac, un « nouveau » couple vivant chacun chez soi depuis six ans en essayant de ne partager que les bons moments. Et puis il y a nous.

– Il parait qu’il y a un invité mystère ce soir, tu le connais ?

– Non, Olivier (Dupouy) m’ a dit qu’il est surprenant !

– Comme il a invité aussi Odile, la vieille copine toujours en recherche de l’amoureux, j’imagine qu’il va tenter un énième plan pour une rencontre déjà vouée à l’échec.

Le coup de sonnette transforme mon faciès fatigué, non motivé, en celui d’un gai-luron devant tenir son rôle de bon copain rigolo que l’on aime inviter.

– Oh les Toine ! toujours en avance ? (en effet, nous avons une demi heure de retard, dépassant donc de quinze minutes l’arrivée des autres convives qui sont arrivés avec le quart d’heure bordelais indispensable à la bonne marche d’un repas digne de ce nom (c’est une coutume quand on invite, on fixe une heure, souvent 20h et on se doit d’arriver à 20h15!).

Tout le monde est déjà là : Geoffroy et Nathalie ont quitté le film qu’ils préparent en ce moment (sûrement précipitamment car la salopette maculée de peinture rose donne un côté décalé qui me plait bien).

Les Soulac toujours habillés comme pour un mariage (ils ont un métier de commerciaux).

Les Lafont sont toujours très « cool » ou plutôt sportwear chic.

Enfin, nos hôtes les Dupouy (Corinne et Jean) s’affairent : lui sert le champagne, elle dans la cuisine américaine essaye d’éviter les regards des autres filles après avoir fait tomber le morceau de foie gras sur le sol… Odile en bonne complice fait diversion et ramasse le délice du Gers explosé sur ce carrelage blanc.

Et puis, il y a Omar ! Cinquante ans cheveux gris, un foulard en soie autour du cou, une chemise en lin bleue faisant ressortir la couleur de ses yeux que j’appellerais bleu des mers du sud souvenir des pages d’écriture avec cette ancre turquoise que nous avions tous sur les tables d’école !

Ca y est, nous sommes tous devant la cheminée, les discussions sont parties, les garçons parlent du dernier match du Sbuc, les filles de l’adaptation de nos enfants dans le collège et des résultats scolaires.

Omar ne dit rien, il regarde, écoute, il a un faux air d’un autre Omar (pas celui qui m’ a tué) mais de Sharif.

Mon esprit curieux est excité, j’essaye d’imaginer ce que fait notre Omar parmi ce petit monde ?

Voyageur ? Chercheur ? Artiste ? Je ne trouve pas ! Alors, profitant d’un tout petit moment d’accalmie :

– Mais qui est donc ce monsieur Omar ?

– Jean (notre hôte), c’est le fils d’un ami de mon grand-père, il est né en Inde.

– Ne riez pas, cet ami est formidable, il a un don !

– Un don ?

– Oui ! Il peut enlever une heure de votre vie !

Omar ne dit rien, il caresse sa petite barbe de deux jours, les yeux rieurs devant les nôtres ébahis !

– Ca va nous changer de nos discussions habituelles !

Omar se lève, une coupe à la main, attend que le silence envahisse la pièce et se met à parler :

– Mes chers amis (un petit accent étranger avec une petite pointe britannique) merci à Jean et à Corinne de m’avoir invité dans ce petit monde bien fermé et merci à vous de n’avoir pas fui en voyant cette sorte de mage, un peu fou en apparence mais pourtant bien réel.

Voilà, j’ai en moi un pouvoir, qui est merveilleux pour certains, très effrayant pour d’autres. Je peux et seulement avec votre accord vous enlever une heure de votre vie, celle que vous voulez. Vous reviendrez au moment que vous déciderez et votre vie ne sera plus la même.

Allez, ne stressez pas, buvons cette coupe de champagne à notre rencontre, je ne vous ferai rien ce soir, simplement vous donner mon numéro de téléphone et on ne sait jamais, un jour vous viendrez…

 

28 Déc

Mon zapping

fin d'année-drmaison

Les derniers jours de décembre sont souvent l’heure des bilans, des résumés, des bétisiers… alors je vais écrire en quelques lignes le zapping 2013.

Le « Docteur Maison » est né un matin de juillet. Toujours levé tôt, j’aime sous les pins prendre un petit café serré. J’adore le mélange du bleu du ciel avec le vert des pins, il fait juste un peu frais, le silence me plaît et mon Mac est là devant moi et chuchote : vas-y Antoine écris,  écris tes petites histoires qui tournent dans ta tête, raconte ces tranches de vie que tu côtoies tous les jours depuis 30 ans, donne de l’espoir, de l’amour, du rire, de la tendresse.

Alors j’ai pris mon index droit et, une par une, j’ai tapé sur ces lettres qui, assemblées, ont fait ma première histoire.

J’ai pleuré en racontant la maladie d’Adrien mon ami si cher parti d’une SLA maladie de Charcot, mais j’ai été fou de joie quand sa fille m’a appelé après la lecture de cette histoire : Toinou, merci c’est tellement vrai.

J’ai pleuré… mais de rire quand j’ai raconté mes hospitalisations après mon accident. Je me suis tellement rendu compte que le statut de malade doit être vécu pour que nous, les soignants, augmentions  notre capital d’humanisme.

J’ai eu des frissons quand la maman d’Agathe, après avoir lu son histoire, m’a dit qu’elle dormirait mieux maintenant qu’elle sait ce que je ressentais.

J’ai souri quand j’ai revu mon patient aveugle de naissance, parti avec sa femme aux USA et qui aujourd’hui aperçoit des formes, des couleurs, des visages et qui a découvert les lignes de son histoire sur mon blog.

J’ai repleuré (si quelqu’un a des actions chez les mouchoirs en papier, je suis preneur) quand j’ai pris dans mes bras la petite Gaia, bébé de la maman séropositive ayant dépassé la maladie grâce à une force puissante que l’on nomme Amour. Des patients, la reconnaissant après avoir lu son histoire, se sont levés dans ma salle d’attente et l’ont tous embrassée.

J’ai fait venir mes amis devant ma télé quand on a vu Eric, vainqueur d’une tumeur du cerveau et brillant candidat de Masterchef.

J’ai reçu l’accord de grands champions de rugby pour faire un match en fauteuil roulant pour rencontrer Mathieu, ce tétraplégique au coeur d’or et à la volonté de fer.

Et puis, j’ai appris ce matin le départ de ce grand rugbyman qui m’offrait le café le matin à 6h à Pessac. Ne marchant plus, il avait deux occupations : regarder des matchs et lire mes petites histoires. Tu vas me manquer Jeannot, je te dédie tout ce que j’écris aujourd’hui et sache que si de la haut tu peux, envoie moi plein de courage pour aider mes malades.

Enfin, j’ai ri quand un de mes lecteurs m’a appelé pour me dire que j’exagérais quand je raconte l’histoire de ma rencontre avec une vedette de cinema que je nomme Marylin Monroe pour respecter le secret médical : c’est impossible Docteur, elle est trop âgée !

J’ai plein d’histoire tous les jours, je pleure parfois, je souris toujours, je ris très souvent : j’ai le plus beau métier du monde !

12 Déc

Les maux dedans #17

lever-drmaison

Voila pourquoi j’ai écrit !

Deux semaines se sont passées. Je savoure quotidiennement cette fin de psychanalyse. J’avoue que parfois, allongé dans mon lit, je me dis qu’il a peut-être réussi dans sa mission, qu’il m’a appris à dire « non ».

J’ai honte de penser cela, quand je me remémore cette mascarade, ses cris, ses humeurs, ses demandes, ses humiliations, ses sommes d’argent demandées.

Puis un jour, au cabinet ma secrétaire me passe un appel.

« Bonjour Antoine, c’est le docteur Mie. J’aimerais que vous repreniez vos séances, pouvons-nous nous voir jeudi ?

-Je crois que vous n’avez pas compris, j’arrête.

-Vous faites une erreur, c’est dangereux pour vous, je vous en conjure.

-J’arrête! » (et je raccroche)

Huit jours plus tard, sur mon portable je vois le numéro de son cabinet qui m’appelle, je ne décroche pas. Il va réitérer ses tentatives peut être 15 fois ! Je ne décroche jamais.

Un matin, un numéro inconnu me réveille.

« C’est le docteur Mie, j’ai besoin de vous voir, c’est urgent.

-Vous êtes malade ?

-Non je ne veux pas que l’on arrête notre relation sur un mal entendu.

-Où ?

-Chez moi, jeudi 6 heures. »

Ce jour-là, j’ai eu le doute, je ne savais quoi penser. Y avait-il de l’humain chez le gourou ? Est-ce encore une manoeuvre machiavélique?

Quel intérêt pour lui de continuer ? Sa clientèle est énorme, il a un emploi du temps monstrueux, alors pourquoi ?

Je n’y suis pas allé ce jeudi matin. J’ai même tout fait pour ne plus penser à lui. J’ai fait comme dans un couple qui se déchire et qui, un jour, décide d’enlever de leur cortex la personne. Comme dirait un adolescente, « je l’ai zappé » !

Pendant 18 mois, le nom de docteur Mie est sorti de ma vie. Mais, comme le méchant génie des bandes dessinées, un jour…

Un jour est venue à mon cabinet Pascale, la jeune femme qui suivait une psychanalyse sans le savoir avec le même thérapeute que moi.

« Antoine, tu connais un psy qui s’appelle docteur Mie ?

-euh oui, de réputation…

-Arrête, ne me mens pas, tu as fait une psychanalyse avec lui !

-Quoi ? (le mauvais génie sortait de sa lampe par les mains frêles de Pascale )

-Arrête, je le sais .

-Bon d’accord, mais comment le sais-tu et quel est le problème ?

-Il n’y a pas de problème mais il n’y a pas que moi qui le sais. Nous sommes nombreux, très nombreux.

Je suis à ce moment-là tremblant, blême, abasourdi.

-Explique moi !

-Je suis allé à une séance signature du livre du docteur Mie, j’ai acheté son livre.

-Quoi ?

Il vient de faire un livre et il est vendu chez Mollat.

-Et alors ?

-Alors, page 45 (Pascale sort de son sac le livre et l’ouvre à cette fameuse page qu’elle a soigneusement agrafée d’un trombone.)

-Je te lis ?

-Vite !

-« C’est donc François 45 ans qui vient me voir un jour, lui médecin, deux enfants ancien joueur de rugby, président d’un club huppé de première division pour soit disant apprendre à dire Non¨…. »

-Alors, ce n’est pas toi ce François ? A part le prénom tu en connais beaucoup des médecins de 45 ans avec une telle description ?

J’ai ouvert la porte de mon bureau, j’ai simplement dit à Pascale : je préfère que tu partes. Je me suis assis, j’ai pleuré longtemps, longtemps.

Un seul mot tournait dans ma tête: VIOL, VIOL,VIOL.

Cela fait plus de dix ans, ma vie aujourd’hui est belle, mon métier est le plus merveilleux du monde mais comme l’enfant abusé n’oublie jamais j’ai essayé, j’ai consulté un vrai psy, il m’ a aidé mais pour guérir complètement, j’avais besoin d’écrire, j’avais besoin de dire, j’avais besoin de …..revivre.

N.B.  toute similitude avec une personne existante ne saurait être une coïncidence.

 

 

11 Déc

Les maux dedans #16

cri_drmaison

Cette fois-ci après quatre ans, j’arrive enfin à avoir du recul et à sortir de mon aveuglement total. Sûrement que j’étais en souffrance pour chercher bêtement le nom d’un psychanalyste dans un annuaire téléphonique, sûrement que j’étais têtu pour résister à des affronts répétés, sûrement que je croyais avoir à faire à un thérapeute compétent, sûrement que mon esprit compétiteur et gagneur m’ont poussé au delà de tout pour gagner cette partie de bras de fer contre lui.

Je rentre dans ce bureau, ce matin là, il fait très froid dehors mais je suis bouillant de détermination. Je suis le petit trois-quart aile qui doit plaquer ce deuxième ligne devant la ligne d’essai. Si je ne le fais pas mon équipe perd et si je n’arrête pas mes séances, c’est moi qui suis perdu.

-« Venezzzzz »

D’un ton fort depuis la salle d’attente j’hurle à mon tour : « J’arrive !!!!!! »

-Vous êtes malade de crier comme cela, vous…vous croyez où ?

-Chez un tortionnaire monsieur !

-Reprenons

-NON, je ne reprendrai pas, j’arrête mes séances.

-D’abord allongez-vous et reprenons où nous en étions, à votre soit disant copain qui venait de mourir sur un terrain.

-NON, je ne m’allongerai pas, je crois que vous ne comprenez pas: j’arrête !

-Ne soyez pas un enfant (d’une voix calme forcée)

-Je suis un homme libre, j’ai décidé d’arrêter sans explication mais déterminé.

-Vous ne pouvez pas faire ça! Notre travail a été magnifique, je vous ai associé dans mes groupes.

-NON, j’arrête!

J’essaye d’ouvrir la porte, il m’en empêche avec son pied.

-Antoine (il ne m’a jamais appelé Antoine!) vous devez continuer c’est vital pour vous.

-Non, laissez-moi partir.

-Alors, d’accord mais allongez vous pour me l’annoncer.

Je m’allonge sur ce divan pourri où l’odeur du tapis le recouvrant me donne cette force puissante qui me rappelle mes années de tortures.

-Docteur Mie, j’ai décidé d’arrêter mon travail avec vous et c’est définitif.

(je suis fier, bravo Toinou, c’est merveilleux tu as dit NON à ce gourou.

-On en restera là, à jeudi, cela fait 48 euros et en liquide !

Je me lève, je prends mon manteau, je laisse mes 48 euros sur la table, je ne le regarde pas, je lui dit simplement:

– A jamais, Docteur Mie.

A peine avais-je le dos tourné qu’il se mit à crier :

« A jeudi, à jeudi votre inconscient vous poussera vers vers moi. »

Je ne me retournai pas dans ce couloir de la liberté, je fonçai vers la porte d’entrée n’écoutant pas ses cris hystériques

« Votre inconscient vous ramènera vers moi. A jeudi, à jeudi ! »

Ma voiture était garée juste en bas de chez lui. Il ouvre la fenêtre et hurle : « A jeudi! »

Je le regarde depuis le trottoir, lui, sa tête frisée dépassant de cette fenêtre ovale.

Mettant mes mains en forme de haut parleur je crie comme jamais je ne l’ai fait dans ma vie:

« NON, NON, NON! »

 

05 Déc

Les maux dedans #15

chaines-drmaison

Je suis revenu lundi avec 48 euros dans la poche, je me suis allongé et j’ai continué ma journée noire à La Rochelle.
C’est moi qui ai fait le bouche à bouche à Eric. Je me rappelle encore le goût sucré de ses lèvres, ce sentiment bizarre d’embrasser mon meilleur ami, mon frère, mon clone.
Je me rappelle encore qu’au bout de 22 minutes l’électrocardiogramme posé par le Samu a montré un redémarrage du coeur et je me rappelle encore que mes deux bras tendus en signe de victoire à ce moment précis ont entrainé un tonnerre d’applaudissements de tout le stade. C’était la première fois que je faisais lever des spectateurs aussi longtemps!
Mes larmes de l’avant veille recommençaient à emprunter les sillons de mes joues mais lui, le prédateur dormant, semblait m’écouter, me comprendre, me soutenir.
Ce redémarrage cardiaque ne dura pas et moi je baissai mes bras, regardai ma montre et, en me retournant vers le Samu, je balbutiai: on arrête tout, c’est trop long 26 minutes.
J’arrêtai mon monologue et un silence de cathédrale envahit ce vieux bureau enfumé par un cigare lacanien. Pendant 5mn, et c’est long 5mn, on aurait dit que l’âme d’ Eric nous avait envahis.
Il me dit un au revoir timide et accepta mes 48 euros que moi, le morpion, j’avais réuni en pièce de 2 euros ! Je pensai alors très fort que je venais de lui mettre un uppercut et que la victoire au poing se dessinait.

Cette soit disant victoire allait entrainer des suites désagréables. Le mercredi, la réunion pluri-disciplinaire avait comme thème la mort du proche. Je n’avais rien préparé et, quelle ne fut ma surprise, quand notre Gérard Miller bordelais après une brève introduction me donna la parole pour parler d’une expérience professionnelle. Il me faisait comprendre par des sous entendus que je devais non pas discuter d’un cas clinique mais du récit « enlarmé » que j’avais exposé sur son divan deux jours plus tôt.

En fait je payais un psychanalyste très cher pour rien mais je devais obtenir des réponses d’ un cercle de paumés psychologues. Soyons honnête, j’étais ravi de pouvoir parler de mes sentiments sans pour autant que l’on sache qu’il s’agitait des miens (toujours aussi compliqué ce pauvre Antoine naviguant entre le manque de confiance en moi et un égo démesuré !)
L’explication des intervenants était intéressante  et constructive. Chacun y allait de sa petite phrase et moi je maitrisais le sujet parfaitement : j’étais moi même le sujet ! Puis vint l’explication de la psychologue lacanienne. Elle devait soit avoir fumé une marie jeanne directement arrivée de Colombie ou alors elle était vraiment barjo :

– « Le problème ici est bien clair: nous avons un petit a sur un grand A, nous avons un transfert relationnel du corps vers l’âme et réciproquement, qui de la matière ou de l’esprit va s’entremêler dans ce noeud boromerien ? En fait l’amour dépasse le vivant ! »

Evidemment je ne pouvais répondre et je me demandais si j’étais inculte, nul en psychologie ou bien un gros con ?

Le tour de table se terminait toujours par la conclusion du gourou, chef de la secte. J’avais hâte d’entendre sa version, de savoir ce qu’il avait pensé de ce drame. Et bien ma déception fut à la hauteur de ma peine: immense.

– « Nous avons là un cas très simple de tristesse d’un être vers un autre géré par une immaturité affective et qui ferait bien d’aller voir les orphelinats bulgares pour comprendre les théories psychanalytiques de l’école de la cause freudienne. »

Si j’avais pu ou eu le courage j’aurais dû raconter à ce moment là toutes les perversions de cet homme envers moi, pauvre paumé.
Le lendemain je devais avoir une séance chez lui. Trop ébranlé par la soirée de la veille, je prenais mon téléphone et je me trouvais une excuse bidon du style ma mère est hospitalisée. J’imaginais qu’il n’était pas dupe et je croyais naïvement qu’il savait très bien pourquoi j’annulais. Sa réponse fut simple et cinglante:

– « à lundi »

En fait je me présentai lundi matin matin et là je trouvai la porte clause: on était le premier jour des vacances scolaires et monsieur ne travaillait pas. Encore une fois je me torturai en me demandant si son attitude était celle d’un étourdi, d’un méchant ou bien c’est moi qui n’avait pas compris que le « à lundi » était celui de la semaine prochaine.
Je profitai pleinement de cette période vide de Mie pour faire un point essentiel sur mon travail psychanalytique, sur mes tourments, en fait sur ma vie tout simplement.
J’ai atteint un âge raisonnable, j’ai réussi les différentes étapes de ma vie professionnelle, je nage en eaux troubles concernant ma vie de famille, mes relations avec les autres, mais surtout je suis dans un labyrinthe confusionnel sur ma propre existence, sur mon MOI.
J’essayai de faire une synthèse rapide depuis le début de mes séances. Passé le stade de l’excitation, j’étais tombé tout d’abord dans le questionnement puis le doute, la colère, la haine. Puis retour à la passion, à l’admiration, le dévouement, la tristesse, la joie, le rire, les pleurs. En fait mes relations avec Mie me permettaient de vivre en raccourci ce que des hommes ou des femmes mettent une vie entière pour parfois ne pas y arriver.
Avais-je besoin de lui pour vivre cela ? Ne l’aurais-je pas vécu un jour simplement seul ? Dans mon fort intérieur, j’avais honte d’être si naïf, si stupide, si bête parfois pour réagir comme un faible alors que dans ma vie extérieure j’essayais de démontrer le contraire.

04 Déc

Les maux dedans #14

tristesse

Alors d’accord, je vais oublier tous ces états d’âme de médecin analysé et me concentrer sur mon travail d’analyse avec le plus  » grand Lacanien du monde », le mec qui apprend à dire non, le mec qui te change une personnalité, qui te rend heureux : enfin Dieu quoi !
Motivé plus que jamais ce matin-là, je m’étais levé tôt, très tôt. Je monte presque en courant l’escalier. Je n’ai pas le temps de m’asseoir qu’il vient me chercher. Souriant et d’un geste très commercial, d’une main tendue, il m’indique son bureau (comme si je ne le connaissais pas !) et là je crois qu’il me tend la main et  je lui tend donc la mienne. D’un geste brutal, il la relève et me jette un regard revolver et me hurle: « pas de contact, pas de lien physique ! »

Je suis abasourdi, je baisse ma main restée suspendue et inclinant la tête je pars vers le divan de torture.
Pourquoi a t-il réagi comme ça ? Pourquoi a t-il eu la même attitude qu’une prostituée qui repousse la main fébrile de l’adolescent qui voulait lui carresser les cheveux et qui avait dit « ne me touche pas c’est interdit ! »
Oh, oui la réponse pourrait être facile et dire que le docteur Mie est une pute et que je me fais baiser mais ça serait trop facile et surtout ça serait faux. Enfin je voudrais tant que ça soit faux!
Je suis allongé, j’ai froid, je suis contrarié et je n’ai rien à dire. Monsieur s’impatiente :

– « Alors, alors, ALORSSSSS ?

– « Je n’ai rien à dire !

– Continuez !

– Continuez à ne rien dire, continuez à ne rien foutre, continuez et restez dans votre état, ça fait 45 euros et en liquide svp ! »

Conclusion : mon cher Antoine, c’est une pute, tu te fais baiser et tu ne reviendras plus !

Pendant 15 jours je n’allais plus le revoir car c’étaient les vacances scolaires et Monsieur allait faire de l’humanitaire en Bulgarie dans un orphelinat. Moi j’étais bien décidé à ne plus revenir chez ce fou, cet imposteur, ce diable, ce méchant.
Tous les jours, je me suis motivé, j’ai même écrit sur une feuille les mots que j’allais lui dire

 » J ‘ai décidé d’arrêter mes séances chez vous car je pense qu’elles ne m’apportent rien et que vous abusez de ma gentillesse. »

Killer Antoine, sois un killer ! Mie t’es mort!

Deux jours plus tard, c’est à dire 7 jours avant son retour de Bulgarie, mon téléphone portable sonne :

« Docteur, c’est Philippe Mie, je suis rentré plus tôt que prévu, venez me voir demain pour une séance. »

Alors sans ciller, le tueur répond sans une seconde de doute:

« Bien sur d’accord …..mais à quelle heure ? »

Quel courage, quelle force de caractère… tu n’es pas guéri mon pauvre Antoine!

Allez, je vais y arriver! J’arrive en bas de la maison, je sonne, j’ai le coeur qui bat comme si j’allais annoncer à mon amoureuse que je la quitte. Certes… juré, ce n’est pas pour une autre, c’est parce que nous ne pouvons continuer un morceau de vie ensemble. Mes phrases sont prêtes dans mon cortex, elles sont dans un fichier bien calées dans mon PC cérébral, prêtes à être copiées-collées sur mes lèvres et à être ressorties devant ce gourou.
Son costume est noir comme son regard, comme son appartement, comme son bureau, comme ce masque noir au dessus de ce fameux divan noir recouvert de tapis.

 » Voilà monsieur, j’ai décidé de faire un break à nos séances.

– Continuez!

(comme dans la rupture avec l’amoureuse, je n’ose pas lui dire que tout est fini entre nous je veux juste faire une pause pour … réflèchir)

– Oui j’ ai besoin de prendre du recul et cela ne m’apporte plus, les séances sont trop rapprochées, j’ai trop de travail et je n’ai pas le temps de faire une bonne analyse ! »

– A jeudi ! »

Bon, on se pose, fais le point Antoine! Tu veux t’arrêter, tu doutes de la sincérité de ton thérapeute, il te prend pour un con, se sert de ta faiblesse, de ton argent, tu dois le quitter, tu n’oses pas le dire, tu imagines pour te rassurer que c’est une technique pour t’apprendre à dire non. Tu es flatté car il t’intègre dans son groupe multi disciplinaire et là il te répond : à jeudi !

Je suis paumé! Quand on a une amoureuse, le moment triste de l’annonce de la rupture est souvent minoré par le souvenir des bons moments. Là, je n’ai rien, j’ai des soucis en plus, beaucoup d’argent en moins et surtout je ne sais toujours pas dire non !

Jeudi, le réveil sonne à 5 h30. Je me demande encore si je vais partir chez lui ou si je vais téléphoner pour annuler.

Je suis en bas de chez lui, j’en ai marre.
Au lieu de me torturer, je prends le parti de faire comme si de rien n’était et je vais essayer d’en tirer du positif.
Alors je commence par lui reparler du sujet qui est le traumatisme de ma vie: le décès de mon copain Éric. C’est un sujet dont je peux parler des heures tellement j’ai d’ interrogations, d’ émotions, de tristesse , de culpabilité. En prenant le parti de raconter ça je savais que je n’allais pas réfléchir, tout était inscrit et ma parole était automatique.

Je lui parlai du déroulement de cette journée depuis la minute où je sortis de mon lit et mis mon costume du club, la cravate jaune et noire. J’ avais laissé un mot pour ma famille afin de me déculpabiliser de les abandonner une fois de plus un dimanche pour partir vers cette cité imprenable que représentait de La Rochelle. Pour une fois, j’en étais sûr, elle allait être conquise par la bande d’Éric le fer de lance de mon club. Cela me fit du bien de lui exprimer ce cataclysme émotionnel.

15h53 – une touche sur les 40 mètres Eric n’y va pas, il titube et s’écroule. Je n’ ai jamais pensé une seconde qu’il était sonné, k.o comme tout 3eme ligne de rugby peut l’ être parfois. Eric est mort, voilà ce que j’ai pensé  tout de suite. C’est d’ailleurs par ce flash cérébral que j’ai tout bousculé, enjambé la barrière et couru sans autorisation vers lui devant 5000 spectateurs médusés.

Eric était mort.

En racontant ça mes yeux se noyaient dans des larmes qui, par pudeur, dégoulinaient sans bruit le long des sillons de mes joues.

« Et alors ? » me cria le Docteur Mie. Quel rapport avec la cause essentielle de votre mal-être, c’est à dire l’absence du mot Non dans votre moi ? »

Pas ça! Il pouvait tout me faire, mais pas ça. Ne pas respecter le drame de ma vie, ne pas comprendre que ce moment-là allait changer mon chemin, mes relations avec les autres, mon amour.
Je me lève brutalement, les yeux encore humides mais rouges de colère. Je lui laisse l’argent sur son bureau et j’essaye d’ouvrir la porte. Il me regarde méchamment et me dit : « il en manque, il en manque ».

Je ne comprends rien,

« Il manque quoi ?

-Il manque trois Euros car j’ai augmenté le tarif; ça fait 48.

Je fouille dans ma poche, trouve 20 euros et je les pose sur le bureau attendant la monnaie.

-Vous n’aurez pas le reste car c’est votre inconscient qui me paye et votre inconscient vous dit: « il mérite cette somme. »

– Mais rendez-moi ma monnaie !

– Non, votre inconscient vous rattrapera, alors à lundi ! »

Sois je lui mets mon poing dans la gueule, soit je claque la porte et je ne le revois plus, soit…

28 Nov

Hymne à l’amour

amours_drmaison

Ils se sont mariés il y a soixante ans. Robert et Roberte ont vécu ce que l’on appelle une petite vie tranquille. Lui était employé des postes et elle, femme de ménage dans un collège. Ils ont eu trois garçons et ont toujours vécu dans la même petite maison à Caudéran. En trois mois, Robert est parti d’un méchant cancer.

Roberte est là, devant l’église, en ce froid de décembre, soutenue par ses enfants derrière ce cercueil fleuri. Comment va-t-elle surmonter son chagrin?

Elle ne tient pas debout, terrassée par le malheur. Ils ne se sont jamais quittés, partageant les joies et les petits tracas de la vie quotidienne.

Le lendemain des obsèques, elle m’appelle :

– Mon petit, comment vais-je pouvoir surmonter ça ?

Cette maison trop grande, ce lit trop grand, cette pipe presque encore fumante posée sur la table de la salle à manger qui prolongent cette tristesse immense qu’elle ressent.

Mes mots sont tellement vides, tellement classiques :

– Il va falloir remonter mamie (je l’appelle toujours mamie car elle me nomme toujours mon petit).

Je lui conseille bien sûr d’aller passer quelques jours chez son fils dans le Médoc, mais elle n’en a pas envie, préférant rester dans cette atmosphère où l’image de son chéri est encore partout. Elle a ressorti les photos d’un vieil album en cuir, leur mariage, leurs premières vacances à la mer, la naissance des enfants, la première 403…

Trois mois se sont écoulés.

Mamie se partage entre ses arrières petits-enfants qu’elle garde le mercredi et une visite dominicale avec les grands. Elle pleure tout le temps, ne mange qu’un bol de soupe le soir et se lève tôt.

Elle me demande de venir la voir souvent; en partageant un petit café, elle me raconte ses souvenirs, ses rires, ses peurs, ses angoisses qu’elle a eus avec son Robert pendant si longtemps.

– Tu sais qu’un jour (il y a 30 ans), il n’est pas rentré de la nuit ? Il a essayé de me faire croire qu’il s’était endormi chez son copain Phiphi. Je ne l’ai jamais cru, il ne me l’a avoué que deux mois avant qu’il ne parte : il avait dormi chez une fiancée mais il m’a juré qu’il n’était jamais rien arrivé. J’ai fait semblant de le croire et pourtant je savais qu’il me prenait pour une naïve. Mais tu sais, petit, ce n’est pas au vieux singe que l’on apprend à faire la grimace.

Les mois s’écoulent et Roberte déprime de plus en plus. J’essaye la parole réconfortante mais je suis obligé de passer à une thérapeutique plus forte : l’antidépresseur ! Le bonbon Prozac qui ne ramène pas le mari mais qui permet de mieux supporter son absence.

Cela fait deux ans que Roberte essaye de survivre. Son inscription au foyer lui donne un but une fois par semaine : scrabble, question pour un champion, des chiffres et des lettres : tout un programme !

Et puis un jour… elle m’appelle. Il est six heures du matin.

– Viens, petit, il faut que je te parle, je ne peux plus tenir, j’ai un secret à te dire…

Mon petit café serré est servi sur le napperon blanc, elle est déjà habillée, rouge à lèvres soulignant ses lèvres fines, bien coiffée, parfumée de ce parfum qui me rappelle ma grand-mère (Heure Bleue de Guerlain) . Elle a un petit sourire coquin.

-« Voilà mon petit, je crois que je suis amoureuse…

– Quoi ?

– Oui, mes enfants m’ont offert un ordinateur pour mes 83 ans. Je n’y comprends rien et j’ai demandé à Kevin (mon petit fils) de me montrer. En rigolant, je lui ai demandé de chercher des noms dans le « facebock » ou « fissebouc », enfin tu sais ce truc où l’on retrouve tout.

– Tu t’es mise sur Facebook, toi ?

– Oui, petit ! Mais ce n’est pas fini, j’ai repensé à mon premier amour quand j’avais 17 ans.

– Et alors ? (émoustillé par ce come back tant d’années après)

– Et alors, je l’ai retrouvé et j’ai appelé…

– J’ai pu lui parler et il m’a de suite reconnue, il était tout gauche, maladroit, il m’a résumé sa vie en deux minutes, puis il a raccroché brutalement. En fait, il est toujours marié et sa femme est très malade. Il m’a rappelé hier, il parlait doucement, il m’a demandé s’il pouvait venir dimanche. Il prétexte qu’il va voir un match de Rugby.

– Roberte, amoureuse pour une liaison coquine ?

– Oui mon petit, coquine !

Depuis six mois, tous les dimanches, Roberte attend son amant (rassurez-vous, c’est en tout bien tout honneur : prostate enlevée, désir coupé !) Il vient de 15h à 17h et, quand les joueurs doivent rentrer aux vestiaires, lui doit rentrer chez lui.

Il lui a acheté un petit piano car elle en jouait quand elle était jeune. Elle a réappris leur chanson préférée : L’Hymne à l’amour d’Edith Piaf…

 

27 Nov

Les maux dedans #13

cerveau_drmaison

C’était bizarre, on sentait très bien que certains sujets l’intéressaient et d’autres pas du tout. C’est un charmeur et un séducteur, il me parlait toujours d’une jeune femme que je lui avais adressée : Pascale.
(Pascale , belle femme de 39 ans avait eu de graves problèmes familiaux dans son enfance et après avoir cru trouver un équilibre avec Patrice, son mari revivait une situation difficile aussi bien professionnelle que conjugale)

Je connais Pascale depuis des années et je suis ami avec son mari. J’étais même à leur mariage, aussi j’aimais discuter avec elle de son travail analytique alors qu’elle ne savait pas que moi j’en faisais un avec le même psy. Son approche n’était pas du tout identique à la mienne, le transfert freudien avait commencé dès leur première rencontre, et elle me racontait qu’elle était persuadée qu’il était tombé amoureux d’elle. J’essayai de lui démontrer que c’était une période habituelle d’une analyse que l’on nomme « transfert ». Je lui expliquai qu’elle déplaçait ses angoisses, ses névroses en un amour impossible et que la qualité du psy sera de bien savoir gérer ce déplacement sans jamais bien sur passer à l’acte.

Je n’aurais pas dû et je le reconnais bien tardivement, enlever toutes les illusions à cette patiente. Elle aurait du et surtout elle aurait pu s’en rendre compte elle même. Si je m’attarde sur elle c’est parce qu’elle joue un rôle primordial pour l’issue dramatique qui se tramait doucement.
Les séances continuaient et même s’essoufflaient comme moi d’ailleurs en montant l’escalier en colimaçon. Parfois, je voyais un autre patient dans la salle d’attente. C’était bizarre, on ne croisait jamais nos regards, on regardait souvent nos pieds. On avait les mêmes attitudes, les mains qui se serraient nerveusement et les gestes répetitifs comme le « tournoiement » des pages d’une revue, d’un livre. Mes minutes de par mon travail sont comptées.  On aurait dit que cela lui faisait plaisir que, chaque fois que je me retrouvais avec un autre dans la salle d’ attende, (quelque soit celui qui était arrivé le premier) il venait toujours chercher l’autre me laissant ruminer seul. Il prenait un malin plaisir à faire durer l’entrevue et (ne croyez pas que je vire à la paranoia) il jouissait à me le dire :  » Vous êtes un patient et un patient doit être patient. Vous n’êtes pas le grand docteur qui se permet tout, vous êtes ici pour travailler et soulager vos maux ».

Ce matin-là, il me hurla plus fort que d’habitude: « Venezzzzzzzzz! »

Je m’allonge rapidement, j’ai mal au dos sur ce canapé pourri et la la phrase rituelle « je vous écoute » est remplacée par un monologue:

– « Monsieur, je n’ai plus de nouvelle de votre patiente Pascale, vous la voyez toujours ?

– Oui pour son fils quand il est malade.

– Pouvez-vous lui dire de revenir travailler, elle en a besoin, c’est trop grave. »

Je me demandai si je j’étais fou, si j’avais bu ou si j’avais à faire à un imposteur ? Je me levais à 5H 30 pour me faire psychanalyser, je devais payer 45 euros pour m’entendre dire que je devais télèphoner à une de ces patientes! Peut être Pascale avait-elle raison ?  Le transfert amoureux était-il réciproque?

Le comble fut atteint quand il se leva, se pencha sur moi et me tendit son téléphone: « Appelez la maintenant ! » Et il fit le numéro!

– Mais il est 6 heures du matin

– Parlez , me hurla t-il.

Pascale décrocha d’une voix très endormie, me dit un « allo » rempli d’inquiétude

– Allo, Pascale c’est moi

– Qu’est-ce qui a?

– Le docteur Mie voudrait que tu le recontactes

– T’es fou, tu me réveilles pour me dire de rappeller mon psy ?

– Oui, c’est lui qui veut.

– Tu m’emmerdes, je dors, je te rappelle !

Lui, il souriait, heureux que je l’ai appelée ou heureux de m’avoir prouvé une fois de plus que je ne savais pas dire « non ».

Je venais de raccrocher et d’un aplomb que j’admire encore aujourd’hui il resta debout et me balança: « 45 euros et en liquide » !

– Mais je n’ai rien dit ?

– Vous m’en avez dit plus que vous ne le pensez !

Que voulait t-il dire ? Je doutais, avait-il fait exprès ? Est-il amoureux de Pascale ? Est-il fou ?

Les séances continuaient et je me demandais si je perdais mon temps, mon argent ou si j’étais entrain de changer de personnalité et que j’allais savoir dire ce mot qui m’arrache les lèvres: NON
Je ne comprenais pas comment j’arrivais à ne pas tout lui dire, non sur sa technique, mais sur moi. Je n’arrivais pas à lui dire les tourmants de ma vie privée, très mouvementée à cette époque. Je n’arrivais pas à lui dire que j’étais fatigué de ma vie stressante et pas épanouissante. Je n’arrivais pas à lui dire que la mort m’obsédait, que j’étais comme attiré par cette inconnue qui pourrait peut être me donner enfin la sérénité.

Pascale avait repris ses séances avec le docteur Mie. Elle prenait un malin plaisir à me raconter Ses phrases libidineuses du genre: « je serai toujours là pour vous ! »

Elle y allait à sa guise, elle choisissait son horaire et elle ne lui donnait que 27 euros et remboursée par la Cpam !
Comme elle ne savait pas que je partageais le même thérapeute, je ne pouvais bien sur pas lui montrer la colère qui bouillonnait en moi.
Je me demandais si ses façons d’agir diamétralement opposées entre Pascale et moi étaient celles d’un surdoué de la psychanalyse ou bien d’un pervers amoureux d’une de ces patientes ou alors j’étais un pauvre jaloux qui pensait être le centre d’intérêt d’un thérapeute.

21 Nov

Premiers pas

operation_drmaison

Voilà, je viens d’avoir les résultats du concours de médecine ! Je suis reçu ! Je vais pouvoir vivre mon rêve : être médecin !

Ma vie bascule, je sais aujourd’hui que cette première année terminée, je vais rentrer dans le vif du sujet : voir, toucher, soigner des malades…

Je reviens d’un match à Clermont-Ferrand où j’ai joué en première (et où j’ai perdu), je prends un train de nuit pour retrouver ma famille en congés. Je suis dans l’euphorie la plus complète, tout me réussit : rugby, médecine, copains, famille.

Je partage un compartiment du train avec une dame sympathique très bavarde d’un âge plus près de la retraite que du mien.

– Tu fais quoi comme étude ?

– Médecine, Madame.

– En quelle année ?

L’euphorie et les restes de ma troisième mi-temps clermontoise me poussent avec aplomb à lui lâcher :

– Je viens de passer l’internat (me permettant ce mensonge car persuadé que j’ai très peu de chance de retrouver cette inconnue du train)

– Bravo, tu es bien jeune, tu dois être très doué.

– Non, non, pas du tout, travailleur surtout ! (modeste)

Quinze jours plus tard, c’est la rentrée. J’ai le choix de mon premier stage : orthopédie au CHU avec le professeur Sénégas. Le ponte, le Dieu, le Patron, le rugbyman et celui qui a opéré mon genou en juin.

La blouse blanche est repassée, mon premier stéthoscope autour du cou (ils font comme ça à la télé), je vais découvrir mon Eden, je vais « sauver des vies » !

– Oh, Antoine, cela me fait plaisir de te voir, comment va ton genou ?

– (tremblant de peur devant ce monstre sacré que représente le professeur Sénégas), je lui dis un petit : super, j’ai rejoué à Clermont.

– Tu as gagné, j’espère ?

– Non, nous avons pris 35 points !

– Allez, oublie tout ça, je t’amène au bloc, tu vas assister à ta première opération .

C’est fou, cela fait cinq minutes que je suis rentré dans l’hôpital, le Patron me propose de l’accompagner voir une grosse intervention, il m’appelle Antoine et me parle de rugby. Je dois faire un rêve, ce n’est pas possible !

Il m’accompagne, discute de ma note d’anatomie au concours, du match perdu, de tout, de rien et moi je souris béatement. On rentre dans le vestiaire, il me demande de m’habiller en cosmonaute, en chirurgien quoi !

J’essaye de regarder ses gestes, j’admire son corps d’athlète. Je me sens tout petit ; un frisson de bonheur et de trouille m’envahit.

Je rentre dans ce bloc glacial où un traumatisé de la route est déjà allongé sur la table. Le Patron m’initie à mettre ma première paire de gants stériles, comme un instituteur de classe maternelle apprend à un bambin à se rhabiller (pince toi Antoine, tu ne rêves pas !). Après deux essais, j’arrive enfin à mettre mes gants en respectant l’asepsie.

Arrive un étudiant de sixième année, qui m’a vu en grande difficulté et me lance un : « Bonjour gamin, alors on opère ? ». Tout en me tendant sa main pour me saluer. Machinalement, je lui tends la mienne. C’était le piège ! Je ne dois jamais rien toucher puisque les gants sont stériles et donc… je dois recommencer cette manipulation « gantesque » et moi, je suis grotesque !

Et là, va commencer après le rêve, le cauchemar.

Tout est prêt. Le Patron commence : il fait la première incision au niveau du cou. Le froid glacial du bloc n’empêche pas une bouffée de chaleur dans tout mon corps. Je transpire, mon kimono de chirurgien se transforme en serpillère humide, des perles de sueur coulent sur mon front, je tremble, j’ai peur !

Je regarde juste derrière le Patron le petit filet de sang qui surgit sous le bistouri. Je vois tout d’un coup tout clair, tout trouble et… je me retrouve par terre, allongé, avec des dizaines de personnes qui me tapent dessus et me disent : « ouvre les yeux, ouvre les yeux, tu as eu un malaise vagal ».

Le Patron continue imperturbablement ses gestes et moi, je suis ridicule en train de perturber tout le monde. On me porte dans le vestibule, on me donne du sucre, je reviens juste à moi, je suis humilié.

Une femme s’approche de moi, me prend la main et me regarde fixement. Je ne la reconnais pas, puis en enlevant son masque, elle me sourit et me dit : « Alors, jeune homme, je croyais que vous veniez d’être reçu à l’internat ? ».

Mon humiliation est à son comble : c’est la femme du train de nuit qui est infirmière du bloc ! Mon mensonge de ce voyage d’une nuit d’été me servira de leçon et m’apprendra que la modestie et l’humilité doivent être les piliers de la réussite médicale.

J’ai le calot de travers, je suis debout, plus blanc que ma blouse, le masque serré contre mon visage, je veux revenir au bloc. Je suis un compétiteur, je ne veux pas que le patron rigole de moi, je repars !

– Alors Antoine (tout en continuant d’opérer) tu es un peu sensible ?

– Non, non, je n’avais pas mangé ce matin (encore un mensonge car j’ai dévoré une baguette entière).

– Bon regarde, je vais prélever un morceau d’os à la hanche pour caler entre deux vertèbres. Il réincise la peau et le coup de bistouri fait resurgir le même filet de sang.

Le compétiteur, vous savez l’interne du train, le grand joueur de rugby, le docteur Mamour… et bien il a encore plus chaud, il transpire comme un Zidane après un match, il essaye, essaye, essaye encore et… pouf de nouveau, il se retrouve par terre ayant perdu connaissance, le crâne fendu en tombant. Il saigne, il s’est fait dessus et ne sait plus comment il s’appelle, ni où il est !

Le Patron me regarde avec ses petits yeux rieurs et me dit : « Je crois que c’est bon Antoine, tu peux rentrer chez toi… ».

En conclusion, j’ai appris ce jour-là un mot important : humilité.

Merci Patron !

 

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