05 Nov

PORTRAIT/ Jérôme Chevallier : « Une décision mûrement réfléchie »

J’avais appris comme tout le monde, la décision d’un des piliers de l’Amicale Cycliste Bisontine de rejoindre le club d’Ornans dans la perspective d’un grand projet d’équipe VTT dans la vallée de la Loue. Le champion franc-comtois venait de faire un choix « mûrement réfléchi » avait-il précisé. Mais avec les conséquences de devoir assumer la déception de toute une petite famille qui vibrait chaque week-end à ses côtés depuis quatre ans.


Jérôme Chevallier dans l’atelier du Bd du Cycle à Besançon/ PHOTO © Jean-Luc Gantner

On avait alors convenu d’aller faire un bout de route ensemble autour de Besançon pour discuter de ses choix et de ses projets. Jérôme Chevallier : Un palmarès comprenant entre autres, 8 couronnes régionales en Cyclo-cross, et du talent dans plusieurs disciplines comme le VTT. Une spécialité où le mécano du BD du Cycle tient toujours son rang face au gratin mondial et malgré ses 38 ans maintenant. « On me demande régulièrement si je me suis fixé une échéance pour arrêter, mais qu’est-ce que tu veux que je réponde ? Si mon niveau baisse, je courrais dans la catégorie inférieure. C’est tout ce que je peux dire ! Ça ne m’empêchera pas de me faire plaisir !… » Récemment, le coureur et pilote Bisontin terminait un championnat du monde Marathon à cette « époustouflante » 32e place sur le parcours de l’Xtrem-sur-Loue. (De quoi secouer un sacré coup pas mal d’idées reçues dans le domaine de la physiologie sportive… Un domaine dont le cycliste bisontin adore d’ailleurs discuter !) « Aujourd’hui, je bosse alors que d’autres ne font que du vélo, mais je n’en fais pas une excuse lorsque je perds une course. Je ne me plains pas. Au contraire. Le fait d’avoir un boulot te donne un cadre contraignant, mais qui a aussi ses bons côtés. Tu ne te dis pas : j’ai pas envie de rouler maintenant, il pleut, j’irai rouler plus tard !… ça t’oblige à y aller sans réfléchir ». Depuis la grande épreuve du 7 octobre disputée dans une boue cauchemardesque qui sied pourtant si bien aux images de télévision, Jérôme s’est offert un sans faute sur les épreuves hivernales. Ce joli doublé à Liebvillers et Pont-de-Roide en un seul week-end, avant de s’offrir un bouquet à Vesoul la semaine suivante. Une saison qui avait débuté par sa place préférée sur le podium d’Epenoy quelques jours seulement avant les mondiaux d’Ornans…

le Gir’s G-Star X/ PHOTO © Jean-Luc Gantner

Ce matin là, Jérôme travaillait à son atelier, concentré sur le réglage de son nouvel « avion de chasse » pendant qu’il y avait foule dans la boutique gérée par Hélène dans la pièce d’à côté. Un Gir’s G-Star X. Le genre de machin (de fabrication Britannique), pensé tout exprès pour monter sur les plus belles estrades de cyclo-cross. Le type de monture qui donnerait à n’importe quel cycliste l’envie d’aller prendre l’air sur le champ (je dis les champs comme j’aurais dû directement prendre l’exemple d’un de ces prés belges et boueux plus propice à la spécialité de l’objet quasiment fétiche dont je vous parle). Un de ces terrains… favorable aux gueules noires par temps humide. Ces forçats d’un autre âge reconvertis dorénavant dans les guerres de tranchées à bicyclette. La discussion s’enclenche à propos de son boulot. Jérôme m’explique qu’il a appris sur le tas ; d’abord avec son père pilote de course automobile. « J’ai toujours baigné là-dedans, les moteurs, les courses de côtes quand j’étais tout jeune, même si les courses automobiles ne m’ont jamais passionné… »

Hélène Gounand et Jérôme Chevallier dans la boutique du Bd du Cycle à Besançon/
PHOTO © Jean-Luc Gantner

Les derniers tours de clés et quelques conseils à donner aux clients avant de prendre la route habituelle de beaucoup de cyclistes locaux. Une virée depuis les faubourgs de la capitale comtoise pour rejoindre les rives du Doubs et le pied de cette bosse d’Abbans par exemple, après Boussières… Une difficulté quasi rituelle depuis le passage du dernier Tour de France que nous évitons sagement à cette heure de causerie qui nous prend déjà tout notre souffle. Une côte où Jérôme m’avoue en souriant la gravir 5 à 6 fois de suite quelquefois. Un dur au mal. Mais surtout le plaisir du travail bien fait. Jérôme aime la rigueur d’un entrainement strict, mené toute l’année quoi qu’il arrive des aléas du temps ou de quelques baisses de motivation passagères.  Au cours de mes séances, j’imagine des attaques, des concurrents fictifs. Je mets en place des scénarios de course où il faut répondre à chaque fois. En compétition, ça se passe beaucoup dans la tête. C’est ma façon personnelle de fonctionner ». Des séances quotidiennes et « beaucoup d’intensité » qu’il effectue presque toujours seul (course à pied le matin et vélo entre midi et deux) « seul…  et dans sa bulle » me confie-t-il. « Une question d’hygiène de vie » poursuit l’ancien pilote de BMX et spécialiste Descente lorsqu’il était plus jeune.  « J’y prends du plaisir chaque jour. Je ne me souviens pas m’être dit une seule fois que j’en avais marre de rouler. Quand vraiment je ne me sens pas en forme. Je préfère alors couper tout de suite, et je rentre, voilà tout. Ça peut paraître bizarre, mais je m’entrainerais de la même manière, même si je ne courais pas en compétition. Ces séances font partie de ma façon de vivre. J’ai besoin de sentir mes limites, savoir que je peux encore rouler à plus de 40KM/H de moyenne ». Il soufflait un vent du diable ce vendredi. Une partie de manivelles contre un mur d’air, qui aurait pu rapidement tourner au calvaire, si mon coéquipier de circonstance n’avait pas réduit son allure à mon humble rythme de la conversation. Jérôme devait prendre le départ de la course de Saint Hippolyte le lendemain où il finirait 2e avant d’enchainer avec le prix de Quintigny qu’il remporterait devant le jeune Loïc Doubey.

Jérôme Chevallier (VC Ornans) sur les rives du Doubs/ PHOTO © Jean-Luc Gantner

« J’adore tenter de comprendre les principes qui régissent la performance, la façon dont la machine humaine fonctionne ». ) Jérôme avait d’abord fait une Fac de médecine avant de se consacrer entièrement au vélo…) Mais le coureur avoue aussi préférer le travail « à l’ancienne », « aux sensations ». « Bien sûr, j’exploite les connaissances actuelles, le travail dans les filières physiologiques précises par exemple. Je pense d’ailleurs avoir été dans les premiers à le faire à une époque où on découvrait ces techniques. Il faut savoir s’adapter, évoluer. Mais je crois que rien ne peut remplacer les sensations personnelles ». Tout ce que voudrait aujourd’hui transmettre l’ancien pro de VTT aux plus jeunes. « À Ornans, il y a des jeunes vraiment supers. J’essayerai de les aider à comprendre une course, savoir ce qu’il faut faire pour gagner, éviter les bêtises de jeunesse. Je peux leur faire gagner du temps ». On avait aussi un peu parlé de son choix de quitter l’Amicale pour Ornans. Jérôme disait qu’il ne trouvait plus sa place, en particulier concernant le VTT qu’il a toujours continué en parallèle de la saison de Route. Un mal nécessaire selon lui, pour retrouver la sérénité. J’étais très embêté pour les nombreux copains du club. On avait une bonne équipe dans laquelle tout le monde s’entendait bien, mais la philosophie ne me convenait plus, voilà ».

Sur les rives du Doubs à Besançon/ PHOTO © Jean-Luc Gantner

Byans, puis Osselle. La route nous porte maintenant facilement. L’effet grisant de quelques courants toujours vigoureux, mais dorénavant favorables. Ces 40 KM/H dont nous parlions, qu’on atteindrait presque sans donner un coup de pédale. Et pour vous dire le caractère pourri de la météo d’un mois de novembre qui commence à peine… Je ne peux m’empêcher de lui demander pour son principal coéquipier. Laurent  Colombatto… L’image qui me revient d’une échappée sur la dernière étape du Tour du Jura cette année. L’ultime coup de pouce de Jérôme Chevallier qui avait permis à l’Amicale Bisontine de remporter la bataille finale. Laurent Colombatto en jaune sur la première marche du podium au pied du massif de la Serres grâce à cette complicité de toujours. Une si belle image dans les journaux ! « Avec Laurent, c’est autre chose. On se connaît depuis longtemps. Depuis nos débuts communs en Descente VTT. On a souvent voulu nous opposer, parce que c’était mieux de nous voir nous confronter sur les courses. Ce sera certainement encore pire maintenant que l’on n’est plus dans le même club. Mais entre nous, on a toujours été au dessus de tout ça. D’ailleurs, le week-end dernier on est partis ensemble faire un cross dans le Nord de la France et sans les maillots. Juste pour le plaisir d’être ensemble ».

Jérôme Chevallier (VC Ornans)/ PHOTO © Jean-Luc Gantner

Thoraise, ce petit promontoire au dessus du Doubs qui marque le retour imminent au bercail. Le temps tourne doucement à la pluie. L’ancien membre d’Étupes arrivé à l’Amicale Bisontine en 2009 me parle de cette maison qu’il a rénovée au pied du fort de Planoise où nous arrivons. La ferme de sa grand-mère. « J’ai trouvé ça super de passer du temps à ce projet. Je n’y connaissais rien et j’ai dû tout apprendre petit à petit. J’ai lu des revues techniques, j’ai pris le temps de réfléchir… Ma copine (Mélanie Guerrin, déjà sociétaire du VC Ornans) me dit souvent que je réfléchis trop, mais c’est mon caractère ; je préfère parfaitement savoir où je vais pour éviter de faire des conneries. C’est drôle, gamin, j’avais imaginé les choses comme ça… Je me voyais vivre dans cette maison dont j’aurais un jour tout refait moi même. Beaucoup de choses me sont arrivées dont j’avais prévu qu’elles se dérouleraient de cette manière ». Avant de nous quitter, je demande au nouveau coureur d’Ornans de me confier ses objectifs sportifs pour l’année qui vient. « Je ne me focalise pas sur une date plutôt que sur une autre… Je fais en fonction de mes sensations du moment, c’est tout. Il faut que ça reste du plaisir. « Un tas de bons moments… » m’explique-t-il, amusé. « On s’est toujours bien marrés en compétitions ! J’avais des parents stricts, et en même temps, on profitait pas mal de la vie grâce au vélo. Ça ne s’est jamais arrêté depuis… Jean-Luc Gantner