26 Oct

DOPAGE/ l’Après Armstrong…

Mercredi 24 octobre 2012. Une salle de classe à l’Université de Besançon. Une dizaine d’étudiants en management et ingénierie du sport suit un cours sur les cycles de travail de l’athlète afin d’optimiser ses pics de forme dans la saison. Le cours se déroule sous la responsabilité de FRÉDÉRIC GRAPPE, maitre de conférence et spécialiste de l’optimisation des performances. FRED, également entraineur à la FDJ-Bigmat connait on ne peut mieux les mœurs et coutumes du cyclisme, son métier et sa passion depuis toujours. Une arrière salle derrière la classe au même moment. RÉMY DEUTSCH, encore étudiant et tout jeune entraineur à l’Amicale Cycliste Bisontine regarde la présentation du Tour 2013 en direct du palais des congrès sur un ordinateur portable avec JULIEN PINOT, le frère de THIBAUT, 10e du Tour de France cette année. (Le « numéro » d’un tout jeune coureur engagé sur la grande boucle dans les rangs de la Française des jeux, le benjamin du peloton qui s’échappe seul ce 8 juillet vers la première grande victoire médiatique de sa carrière dans le Jura Suisse). JULIEN PINOT, ancien coureur lui-même et aujourd’hui coatch dans la grande équipe française aux côtés de FRED GRAPPE et du Dolois Jacques Decrion… À leur côtés, JÉRÔME GANNAT, le manager depuis 2005 de l’équipe d’Étupes inscrite au calendrier de la première division amateur, le club du Pdt Robert Orioli, 6 fois champion de France depuis 1996 et vainqueur de la Coupe de France en 2009. Le meilleur club de l’Est de la France depuis le début des années 90…

REPORTAGE © France Télévision 2012
JL Gantner, Fabienne Lemoing, Flora

Tous les trois ont accepté la règle du jeu de la question sans détour et sans aucun tabou. Celle de livrer leur sentiment face caméra en pleine affaire « Armstrong ». La destitution définitive du septuple vainqueur de la Grande Boucle décrétée par les plus hautes instances du cyclisme mondial. La fin de carrière pour la star des pelotons, et les commentaires un peu partout qui ne manquent pas d’alimenter la réputation d’une discipline régulièrement montrée du doigt. « Tous des tricheurs », »Tous chargés », « Tous pourris »… La rédaction de FRANCE 3 voulait en savoir un peu plus ; essayer de dépasser les préjugés, les idées toutes faites au cœur de la vindicte. Pas une grande enquête… mais juste l’envie de recueillir un témoignage à chaud, et sans faux semblant. À vrai dire, je connaissais un peu tous mes interlocuteurs, et « un tout petit peu » le vélo aussi, je l’avoue volontiers… De quoi permettre de se parler en toute franchise justement, de ces affaires de dopage qui gangrènent l’image du cyclisme depuis des décennies.

Fred Grappe et Julien Pinot lors d’un test de puissance à l’Odped/ PHOTO © FDJ

FRED d’abord, et qui ne se défile jamais pour parler de sa passion. FRED, qui râle d’emblée sur des instances « prêtes à se décharger entièrement sur les coureurs au lieu de se remettre en cause en profondeur. Le problème explique le prof et conseiller technique spécialisé dans la performance, c’est tout un système qui reste en place pendant qu’on continue de sanctionner uniquement les sportifs. Tout un système qui doit maintenant assumer ses responsabilités. Ces gens là doivent laisser leur place. Il faut qu’ils partent. Ça suffit, dégager !… » Il faut aussi dire au public, que le vélo, lui, va bien. Que oui, le dopage est un cancer, certes ! Le cancer du vélo… mais le vélo lui, va bien répète l’un des cadres de la FDJ-Bigmat. Depuis l’affaire Festina en 99, des tas de choses ont été faites pour combattre la triche. Mais le suivi biologique ne suffit pas ! Si l’on s’en tient là, il y aura une nouvelle affaire dans 10 ans !… Une batterie de moyens de contrôle modernes et parfaitement efficaces sont depuis à la disposition des équipes, de leurs managers et des cadres fédéraux. On sait faire. Alors qu’est-ce qu’on attend ?!…

Jérôme Gannat sur le Tour de Franche-comté 2012/ PHOTO © Jean-Luc Gantner

Pour le Directeur sportif d’Étupes, c’est » l’amalgame » que le public fait naturellement entre les tricheurs, les affaires médiatiques comme celle de Lance Armstrong qui préoccupe tout le monde ces jours ci, et le cyclisme en général. « Tout le monde est suspect » explique JÉRÔME GANNAT. « Même un cyclosportif qui circule pour se faire plaisir sur la véloroute est soupçonné… On ne sait pas où ça s’arrête ?! Pour les clubs comme les nôtres, les conséquences sont déplorables. Pour les sponsors par exemple. Lorsqu’on recherche de l’argent pour faire fonctionner nos structures de formation, on nous reparle de dopage. C’est sans fin. »

De son côté JULIEN PINOT hoche la tête et fronce les sourcils lorsque je lui demande s’il accepterait encore de faire son job d’entraineur s’il était obligé de composer avec le dopage au sein de son équipe ? « Non, si c’est le cas, Je me casse ! » répond tout net le Haut-Saônois. Armstrong… c’est bien que la vérité sorte enfin au grand jour. Les tricheurs doivent être punis, évidemment. Mais il ne faut pas s’arrêter là. Il faut sanctionner les managers de la même façon. « Tous dopés… Ce discours là n’a plus lieu d’être aujourd’hui. La grande majorité du peloton est propre, mais les gens n’y croient pas, parce qu’il reste toujours des tricheurs. Les autres coureurs doivent subir la suspicion à chaque fois qu’ils réalisent une performance alors qu’ils sont tout à fait « clean » et qu’ils font leur métier sérieusement. Ce n’est pas facile pour eux ! »

Julien et Thibaut Pinot à Arc & Senans, avant la 9e étape du Tour de France 2012/
PHOTO © Jean-Luc Gantner

Des solutions : JULIEN prône un accompagnement scientifique de l’athlète de haut niveau, et un mode de contrôle systématique, transparent. Un suivi qui commencerait dés les plus jeunes catégories, poursuivi sur plusieurs années. D’ailleurs là dessus, tout le monde est à peu près d’accord. le coureur haut-saônois Laurent Mangel par exemple, me confiait il y a peu son entière approbation face à son devoir de respecter le très contraignant système ADAMS (l’obligation pour les sportifs de fournir aux autorités son emploi du temps 24H à l’avance et de se géolocaliser quotidiennement). « C’est difficile à vivre le jour le jour. Qui accepterait ça ? Mais si ça peut aider les gens à ne plus nous voir autrement que comme des tricheurs  !… Dés qu’un journaliste nous interroge c’est toujours pour nous parler de dopage. J’aime mon sport, mais c’est dur de se voir aussi mal considéré, réduit à des drogués ! » Laurent revenait de Paris-Roubaix où il était entré en tête d’une échappée dans la mythique Trouée d’Arenberg. Quelques semaines plus tard, le coureur de la Saur-Sojasun perdait son boulot après une mauvaise chute sur le Tour de Dunkerque. La vie difficile de coureur cycliste ! (Laurent a depuis retrouvé un contrat dans la formation de Marc Madiot. Le bonheur pour lui de pouvoir rouler avec ses copains franc-comtois.)

« On voit les gars dans des cols en train de faire le spectacle à la télévision en se disant que c’est impossible » relance FRED… « mais qui s’imagine vraiment tout le boulot d’entrainement qui précède pour en arriver là. Des heures et des heures de travail toute l’année. Un métier « de forçat » avait écrit Albert Londres pendant le Tour de 1924… « On a une connaissance de plus en plus approfondie des capacités du corps humain, des nouvelles méthodes pour optimiser le potentiel naturel des coureurs. Ce sport a beaucoup changé ces dernières années.

« Un entrainement qui, oui ! permet de réaliser ces exploits sur les grandes épreuves. Oui, c’est possible de faire un grand tour à l’eau minéral et de remporter des victoires » poursuit JULIEN. « Mais pas toute l’année. Pas systématiquement !?… » Le jeune entraineur croit dur comme fer aux nouvelles techniques de préparation physique, l’aide technologique à la performance. Tout ce qui permet d’optimiser les capacités d’un coureur sans être obligé d’en passer par des dérives médicales.

J’interroge aussi les coureurs de la classe dans les rangs des étudiants. Lance Armstrong… « Oui, il restera pour nous un grand champion !… » CLAIRE, PIERRE ou NICOLAS le revendiquent librement ; mais déplorent tout autant la tricherie. Ils s’inquiètent surtout de ne jamais avoir à être confrontés à ce problème dans leur future carrière d’entraineurs ou de directeurs sportifs. « Ici, pendant notre cursus, on apprend ce qui pousse un athlète à se doper et les moyens de lutter contre. J’espère que le lien que j’aurais avec mes coureurs sera assez fort pour que ça n’arrive jamais dans mon équipe » dit NICOLAS, conscient du rôle privilégié et capital de l’encadrement.  CLAIRE, plutôt passionnée de VTT, jure comme Julien Pinot « qu’elle changerait tout de suite de métier » s’il fallait qu’elle exerce sa fonction dans un sport où le dopage est notoirement répandu. L’idée de toute une nouvelle génération dont on espère qu’elle restera pour toujours étrangère à des pratiques sportives d’un autre âge. Jean-Luc Gantner