04 Avr

Les primeurs à Bordeaux : les étrangers fortement intéressés par le millésime 2016

Les professionnels étrangers du monde du vin sont venus en nombre pour déguster le millésime 2016. Parmi eux, les marchés très porteurs pour Bordeaux : la Chine, les Etats-Unis, la Belgique, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Des Américains qui font un grand retour avec un marché qui est le 1er consommateur au monde de vin.

Suzanne Mustacich, journaliste au Wine Spectator © Jean-Pierre Stahl

Suzanne Mustacich, journaliste au Wine Spectator © Jean-Pierre Stahl

Journaliste au Wine Spectator, Suzanne Mustacich connaît non seulement bien le marché américain puisqu’elle nous vient du pays de l’Oncle Sam, mais en prime elle a une expertise sur les vins de Bordeaux, car elle vit à Bordeaux depuis de nombreuses années.

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« Il y a beaucoup de monde, même plus que l’année dernière, c’est parce qu’il y a une demande aux USA, le plus important marché de vin au monde (1er pays consommateur), et Bordeaux reprend sa place », explique Suzanne Mustacich.

Il faut dire que le taux de change est redevenu beaucoup plus favorable que pour les derniers grands millésimes 2009 et 2010. Au château Batailley, à Pauillac, la dégustation de l’Union des Grands Crus Classés de Bordeaux est ainsi prise d’assaut par de nombreux américains dont André Holmes, juriste aux USA et grand amateur de vins de Bordeaux.

Parmi les grands amateurs de vins de Bordeaux, l'américain Andre Holmes à gauche à l'image (JPS)

Parmi les grands amateurs de vins de Bordeaux, l’américain Andre Holmes à gauche, aux côtés de Bertrand Lafon, conseiller en vin (JPS)

Bon fruit, les tanins sont équilibrés, c’est un grand millésime ! » André Holmes grand amateur américain de vins de Bordeaux.

Robert Landness agent américain de la maison Jeffrey M. Davies est aussi emballé : « si vous deviez le comparez avec le 1989 ou le 1990, il ressemble plus au 1990, avec une belle structure, belle densité, un grand millésime à souhait ».

Le château Batailley, pris d'assaut par les étrangers © JPS

Le château Batailley, pris d’assaut par les étrangers © JPS

Mais pour ne pas faire fuir le marché américain qui est en passe de dépasser en volume les exportations belges (2e marché des vins de Bordeaux avec 25 millions de bouteilles) et se positionner en seconde position, les prix des crus classés devront essayer de rester stables, en tout cas ne pas flamber comme en 2010 :

IMG_4513J’espère que tout le monde restera raisonnable car il faut quand même que les vins soient atteignables par le plus grand nombre même si nous avons fait de très grands vins cette année », Philippe Castéja président des Crus Classés 1855.

Au Domaine de Chevalier, on a pu croiser aussi pas mal d’acheteurs européens intéressés : des Allemands, et même des Anglais, ce malgré le brexit:

On attend tous une petite augmentation parce que c’est un très bon millésime, mais si ça reste raisonnable cela va très bien marcher » Nickie Daste, responsable Achats et Ventes Richards Walford (Royaume-Uni)

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Nickie Daste, responsable Achats et Ventes Richards Walford (Royaume-Uni)

Les Britanniques sont le 4e marché pour les vins de Bordeaux à l’export avec 22 millions de bouteilles, devant les Allemands 5e avec 21 millions : « je suis sûr que nous allons acheter pas mal de lots de ce millésime car c’est très bon, et on va pouvoir le vendre à nos clients qui seront très contents, » me confie Grégor Sturm importateur de la maison Sturmweine à Munich.

Les Chinois sont aussi très choyés dans les propriétés, ils restent et de loin le 1er marché à l’export pour les vins de Bordeaux avec 73 millions de bouteilles vendues sur les 12 derniers mois.

Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl, Sébastien Delalot et Françoise Dupuis :

Olivier Bernard sur les primeurs à Bordeaux : « on a eu la chance de produire 2009 et 2010, il n’y a pas si longtemps, et 2016 c’est du même niveau »

 » Quand vous avez des vins comme ça, ce sont des grands, grands millésimes ». Olivier Bernard, propriétaire du Domaine de Chevalier et Président de l’Union des Grands Crus de Bordeaux, se confie à Côté Châteaux en exclusivité sur le millésime 2016. Il est l’invité de parole d’expert.

Olivier Bernard, le président de l'Union des Grands Crus de Bordeaux, organisateur des dégustations primeurs à Bordeaux © JPS

Olivier Bernard, le président de l’Union des Grands Crus de Bordeaux, organisateur des dégustations primeurs à Bordeaux © JPS

Jean-Pierre STAHL : « Olivier Bernard, tout le monde parle du 2016 comme d’un millésime exceptionnel. Est-ce un nouveau millésime du siècle ? »

Olivier Bernard : « Bordeaux a parfois la réputation de raconter des histoires, mais là il n’y a pas d’histoire. Quand vous avez des vins comme ça, ce sont des grands grands millésimes. Cela fait partie des quelques millésimes que l’on produit dans la vie d’un homme. On a eu la chance de produire 2009 et 2010, il n’y a pas si longtemps, et 2016 c’est du même niveau. Est-ce que c’est meilleur que 2015 ? Chez nous oui, certains vous diront que non, mais sur l’ensemble du bordelais j’ai l’impression que 2016 dépasse un peu 2015. « 

Ce millésime 2016, il est très Bordeaux… Il est très vertical, structuré, puissant et droit. »

« On ne sent pas l’alcool, ni une certaine sucrosité, ni de la barrique, ni de la surmaturité ou de la surextraction, ce sont des vins très bien définis, très purs, très droits, c’est ça les grands Bordeaux. »

« Et en plus, il y a ce petit supplément d’âme, qui des fois sur des vins un peu trop droits peuvent frôler l’austérité. Sur ce 2016, on a des couleurs profondes, des vins puissants et verticaux à la fois, mais en même temps il y a un charme. On le sent dès le nez, on a un côté aromatique étonnant. Ce côté aromatique s’il se révèle très tôt, c’est qu’il y a une très belle maturité et ce côté équilibre ».

Les grands vins comme les grands hommes ne s’expriment bien que s’ils sont en parfait équilibre, on est su des notes de terroir et de cerise noire »

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Jean-Pierre Stahl : « Quant au système des primeurs, est-il relancé, et à quels prix faut-il s’attendre ?

Olivier Bernard : « Le système des primeurs est passé par deux excès : il est passé par deux grands millésimes 2009, 2010 avec la surchauffe chinoise qui a fait que l’on est monté sur le millésime 2010, sur certains crus, trop haut. Je me rappelle des vins qui se sont vendus très chers en sortie de propriété mais qui coûtaient le double 15 jours plus tard. Cela veut dire que c’est le marché qui a aspiré ces vins à un peu n’importe quel prix. Donc une folie non maîtrisée du marché. Et nous qui aimons les très grands vins, qui partent à des prix de folie, on est un peu énervé…Donc 2010 a été un des premiers éléments qui a participé au Bordeaux bashing ».

« Et puis derrière manque de chance : 2011, 2012 et 2013, trois millésimes de consommation rapide, des beaux millésimes mais pas des grands millésimes de Bordeaux. Ces 11, 12, 13 ont été un deuxième élément qui ont fragilisé les primeurs. Donnez moi une bonne raison d’acheter des 2013 en primeur, il n’y en avait pas beaucoup ».

« Avec 2014, 2015 et 2016, on est revenu dans un cycle tout-à-fait normal à Bordeaux et ceux qui ont acheté des 2014 ont fait de très bonnes affaires, aujourd’hui cela vaut au moins 30% plus cher qu’en primeur. 2015, on a fait un très grand millésime qui s’est vendu au bon prix ».

« Bien sûr on va parler des exceptions. Je veux rappeler que Bordeaux, c’est 6000 châteaux. Dans une année comme 2016, sur ces 6000, il y a 400 châteaux qui vont se vendre en primeur. Sur ces 400, admettons qu’il y en ait 10% qui pètent un peu les plombs, ça fait 40. Peut-être qu’il y a une quarantaine de crus qui peuvent un peu sortir des prix. Bordeaux c’est 6000 châteaux, 5960 seront au bon prix, j’aime bien parler de la règle, plutôt que de l’exception. Et trop souvent en France, on parle de l’exception, parlons de la règle. »
Regardez l’interview d’Olivier Bernard, le président de l’UGCB réalisée par Jean-Pierre Stahl et Sébastien Delalot :

Jean-Pierre Stahl : « Pour ces primeurs, il y a de nombreux étrangers de retour, non ? »

Olivier Bernard : « Le millésime 2014 et le millésime 2015 ont redonné confiance au marché, les gens ont gagné de l’argent, globalement 2014 et 2015 se sont vendus au bon prix avec de très bons niveaux de qualité. En 2014, c’était l’année où on pouvait acheter des grands crus, y compris des 1ers crus. Ils étaient à un prix raisonnables ».

« 2015 et 2016 sont des années plus cotées, plus chères, et c’est normal. Car en 2016, on va avoir beaucoup de gens qui vont s’intéresser à ce millésime. On le voit, en tant que président de l’Union des Grands Crus, on a déjà 6500 inscrits, professionnels du monde entier, contre 4500 précédemment. Ca peut créer une forte demande. Après les propriétaires de châteaux devront faire extrêmement attention et il y a un avantage très marqué sur ce millésime, c’est qu’on a fait de la production, un certain volume. Et quand un propriétaire a fait un certain volume, il doit vendre au bon prix, sinon le marché ne lui prendra pas. Parce que dans un marché comme celui-là, comme il y a du vin, eh bien on ira acheter chez le voisin.

« Donc je suis assez confiant sur la mise en marché de ce 2016. Sur les 122 crus présentés ce matin à l »Union des Grands Crus, je peux déjà vous dire qu’il y en a déjà cent qui ne seront pas chers ».