25 Mai

La Dernière Maison

un film de Camille Morhange
Diffusé le vendredi 30 mai 2014
sur France 3 Provence-Alpes vers minuit

Une architecture calquée sur le modèle des hôpitaux ; des couloirs interminables que voudraient égayer des rambardes colorées ; des chambres proprettes pour tout horizon. 
Voilà le décor en place lorsque l’on pousse la porte de certaines maisons de retraite.

Camille Morhange pénètre cet univers clos et méconnu de nous-autres actifs, avec l’intention de rendre un peu d’humanité à ces murs défraîchis. Questionner les vies qui s’écoulent, là, dans leur dernière ligne droite ; peser la douleur du passé à jamais disparu – la maison que l’on a quittée, le mari qui s’est effacé devant vous. Et les illusions que l’on ne se fait plus :

On a des habitudes, ça oui, on en a mais on n’est pas chez nous, c’est sûr. La maison c’est quelque chose de… sacré.

 

Poignants moments de paroles que la réalisatrice permet en ne s’imposant pas, en indiquant d’un mot, d’une intonation, la direction à prendre : celle de la profondeur, celle de l’intimité. La parole est précieuse et rare dans un quotidien rythmé par les « occupations », les activités socialisantes et les repas. Toutes celles qui se livrent au micro de Camille Morhange ne se racontent pas d’histoire : Ici c’est le bout du bout. On y est pour soulager ses proches, pour se faire tout petit et finir à petit pas. A quoi bon ?

Entretien avec Camille Morhange

PZ : Dans votre film vous donnez la parole à des personnes que l’on dirait oubliées de notre monde. Vous les faites parler et ce qu’elles disent a une profondeur tout à fait rare. 
Comment avez-vous installé ces conditions de dialogue ?

CM : Je suis d’abord allée rencontrer et tenir compagnie aux personnes qui le souhaitaient au sein de la maison de retraite. J’y suis allée deux fois par semaine pendant plus d’un an sans caméra, sans enregistreur, sans carnet de notes. J’ai erré dans les chambres et les couloirs et ainsi j’ai pu petit à petit nouer des liens très forts avec certains résidents et avec le personnel de la maison de retraite.
Ces moments d’écoute et ces moments d’attente, de vide, m’ont permis à la fois d’être acceptée par les personnes et de recueillir leurs sentiments, mais aussi d’appréhender moi-même un peu de ce que peut être la vie dans un tel endroit. A chaque fois que j’y vais je me mets dans une position d’écoute et d’empathie, et je reçois en retour la gratitude des personnes qui ont tant besoin d’une oreille amicale et d’une distraction qui fait passer la journée un peu plus vite. J’ai aussi beaucoup joué au scrabble et aux mots croisés, ou même regardé la télé en buvant mon café gentiment offert par le personnel soignant, j’y ai passé beaucoup de mon temps. Mes tournages ont été comme une errance dans la maison de retraite. J’ai tourné seule la plupart du temps et j’ai passé plus de temps à me balader dans les couloirs, ma caméra prête, au cas où, à tourner réellement. Je suis souvent revenue bredouille et les séquences les plus marquantes ont souvent été prises à la volée au cours d’une banale visite.

PZ : Combien de temps êtes-vous restée à la maison de retraite (entre le repérage, le tournage et peut-être une projection?

CM : J’ai commencé les repérages fin 2008, j’ai commencé à tourner bien plus tard mes premiers rushs en DVCAM (format devenu ensuite obsolète, ces rushs n’ont donc pas pu être exploités dans le film..), puis j’ai tourné régulièrement, souvent seule, jusqu’à la veille du montage à France 3 en janvier 2014. Il y a eu des périodes plus intenses que d’autres, la naissance de mon fils en 2010 m’a écartée un moment de la maison de retraite, en revanche j’ai fait tous les derniers tournages et le montage du film enceinte de ma fille. Je trouve très symbolique de travailler à la parole de personnes en fin de vie lorsque l’on est en train d’accueillir une vie nouvelle.

PZ : Vous a-t-il fallu beaucoup de temps pour que se dessinent vos personnages ?

CM : Les personnes qui sont devenues les personnages du film sont celles qui ont tout de suite manifesté l’envie de participer au projet, et qui avaient une urgence à dire leurs sentiments. Certains ont été présents dès mes premiers repérages (c’est le cas de Mme Magnan, Mme Ricard et Mme Vicente), et d’autres sont arrivés à la maison de retraite en cours de route. (j’ai rencontré mme Braunwart seulement deux mois avant le début du montage, et elle est vite devenue un personnage très important du film, ainsi que sa fille avec qui j’ai créé des liens forts très rapidement). Mais à chaque fois la rencontre s’est faite très vite et il a été très facile de savoir qui serait dans le film. Ce sont les personnages qui sont venus à moi et pas le contraire.

PZ : On sent par votre commentaire que vous avez été bouleversée par ce que vous avez vécu là-bas et les rencontres que vous y avez faites. Bien que certaines de ces personnes aient disparu depuis, vous arrive-t-il d’y retourner de temps en temps avec votre ou vos enfants puisque vous êtes mère, dites-vous ?

CM : J’ai le projet d’aller y faire une projection du film, et je leur ai promis de leur présenter ma fille qui vient de naître ! Je pense que je continuerai à y aller de temps en temps, même si chaque fois il est toujours un peu difficile de pousser la porte… Il faut se faire un peu violence et être bien disponible mais une fois dedans on est remplis de toutes ces rencontres, ces regards.

PZ : Qu’apprend-on d’essentiel qui puisse être transmis, lorsqu’on recueille la parole de personnes âgées sans illusions sur leur fin prochaine.

CM : Ce que cette expérience m’a permis d’entrevoir, c’est que la fin de vie n’est pas une « non-vie », et qu’il faut s’en préoccuper avant de ne plus être en capacité d’avoir le choix. On choisit (quand cela est possible bien entendu) son orientation scolaire, son métier, la ville que l’on a envie d’habiter, la personnes avec qui on va partager notre vie, et puis on laisse entre les mains d’une société gérée de manière essentiellement économique notre fin de vie. Je me suis posé réellement la question : est-ce ce projet que j’envisage pour la fin de ma vie ? Ma réponse est évidemment non, et je réfléchie dès maintenant à d’autres solutions possibles : maisons de retraites auto-gérées en coopératives, éco-hameaux multi-générationnels, des solutions alternatives existent et il ne tient qu’à nous de les mettre en place… et ce avant de ne plus être en capacité physique pour le faire !

Propos recueillis par Pernette Zumthor-Masson

Un film de Camille Morhange
coproduit par AMDA Production et France 3 Provence-Alpes