24 Jan

Krzysztof Warlikowski, Les Français: « Ça sent bon et ça pue »

©Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

Samedi soir, les spectateurs de la Comédie de Clermont-Ferrand ont eu le privilège d’assister à la première française du nouveau spectacle de Krzysztof Warlikowski, Les Français. Inspirée par La Recherche de Proust, la pièce a littéralement et en près de cinq heures, happé le public.

D’entrée, il y a quelque chose de nauséabond qui plane dans l’air. Une séance de spiritisme chez les Guermantes où l’on tente de faire venir le fantôme d’Albert Dreyfus, parce que l’officier d’origine juive, accusé et jugé coupable de haute trahison, est sur toutes les lèvres, dans toutes les conversations mondaines, plante le décor. Si l’on se fie à ce que l’on voit, c’est bien la beauté qui nous enveloppe mais c’est lorsqu’on tend l’oreille (où que l’on tente de lire le sur-titrage qui défile à toute bringue au début de la pièce) que l’on perçoit la mauvaise odeur dont nous a parlé le metteur en scène quand on l’interrogeait la veille. Chez les Guermantes, selon Krzysztof Warlikowski, « ça sent bon et ça pue ». Les Français, puisque c’est ainsi que le roman de Proust a été rebaptisé par Warlikowski, c’est à la fois ce cliché répandu dans le reste de l’Europe et du monde, le peuple du bon goût, « c’est comme une marque de vêtement » nous dit le metteur en scène, mais c’est aussi ce peuple pétri de ressentiment, peureux et recroquevillé sur lui-même. C’est donc cette époque que Proust nous raconte, celle qui précède la Grande Guerre où l’avant-garde artistique est florissante mais où croît dans le même temps l’antisémitisme et la peur de l’autre. Et l’autre, c’est aussi l’homosexuel, le décadent, celui qui se cache et que Proust cachera d’ailleurs derrière le couple que forme Marcel et Albertine.

Et puis il y a le Temps

Evidemment, on ne peut pas transposer Proust au théâtre sans parler du temps. Et c’est là que l’on comprend ce que veut dire Krzysztof Warlikowski lorsqu’il parle « d’installation proustienne » plus que d’adaptation de La Recherche. Le temps est figuré dans la pièce à chaque instant et le spectateur en est d’ailleurs l’otage à plusieurs reprises. Que ce soit le premier monologue du narrateur Marcel ou la Pièce pour Violoncelle et bande magnétique de Pawel Mykietin, la durée est une épreuve que les acteurs partagent volontiers et souvent avec le spectateur. La pièce est longue mais longue à venir est aussi notre prise de conscience du temps qui passe. Elle nous terrasse en toute fin quand on voit ces si beaux personnages devenus de si vieilles caricatures. Le public, celui qui a tenu bon (et les plus vaillants étaient aussi les plus nombreux) s’est levé pour ovationner cette lente et addictive torture que le metteur en scène lui a fait subir.


Interview de Krzisztof Warlikowski pour son spectacel « Les Français »

Le 24 janvier à la Comédie de Clermont-Ferrand, les 30 et 31 janvier à la Comédie de Reims, du 11 au 13 février à la Comédie de Genève, les 22 et 23 mars au Parvis de Tarbes et du 18 au 25 novembre au Théâtre National de Caillot, Paris XVIe.