04 Nov

Jamais je n’aurai 20 ans : Jaime Martin raconte la guerre d’Espagne et le franquisme à travers l’histoire de ses grands-parents

album-cover-large-31044Le Convoi, Dolorès, La Nueve, Nuit noire sur Brest, Le Recul du fusil, No pasarán… nombreux sont les albums qui, depuis quelques années, s’intéressent directement ou indirectement à la guerre civile espagnole. Mais jamais, je pense, récit n’avait été aussi fort que celui-ci, aussi fort et éclairant sur les divisions profondes qui ont entraîné le peuple espagnol dans la spirale de la guerre…

Et ce récit-là, Jamais je n’aurai 20 ans, est celui de Jaime Martin, basé sur la vie de ses grands-parents, Isabel et Jaime Benitez. Isabel aurait dû fêter ses 20 ans le 19 juillet 1936 mais la veille, le 18 juillet, les troupes du général Franco renversent le jeune gouvernement espagnol républicain. Isabel, qui fréquente alors une bande d’anarchistes, est obligée de quitter sa ville natale Melilla, ses parents, sa jeunesse, ses rêves. Jamais, elle n’aura 20 ans mais elle survivra, contrairement à beaucoup de ses amis, assassinés par les forces nationalistes.

Direction la banlieue de Barcelone encore sous le contrôle des Républicains. Plus pour très longtemps ! La guerre civile, longue de trois années, ne laissera rien ni personne intact. Les morts se comptent par centaines de milliers, les villes sont ravagées, les bombardements visent pour la première fois des civils… L’Espagne est devenu un champ de bataille où s’affrontent toutes les idéologies de l’époque, telle une répétition générale de la Seconde guerre mondiale.

© Dupuis / Martin

© Dupuis / Martin

Mais la guerre n’empêche pas l’amour. Isabel rencontre Jaime, un combattant républicain, avec qui elle choisira de partager sa vie à la fin de la guerre. Ensemble, ils tentent de survivre dans l’Espagne franquiste et de faire oublier leur passé en travaillant durement. Une vie de misère à recycler des bouteilles et flacons vides récupérés dans les poubelles des quartiers chics où on a encore la chance de boire du champagne et de se parfumer.

Dans une Espagne où on ne sait plus très bien qui était avec qui pendant la guerre, où le voisin de pallier, le boulanger du quartier, l’ami d’enfance, peut vous dénoncer, une Espagne où les familles se sont profondément déchirées, où les différents clans se sont haïs et entre-tués sauvagement, le traumatisme est abyssal. Et malheureusement, la fin de la guerre ne marque pas la fin des exactions. Dans cette atmosphère sinistre, Isabel et Jaime fondent un foyer, un refuge pour eux et leurs filles, et se concentrent sur le développement de leur activité…

Ce n’est pas la première fois que Jaime Martin aborde cette thématique du franquisme. Déjà, dans Les Guerres silencieuses, il raconte le service militaire de son père dans le Sahara espagnol et, au-delà, la jeunesse de ses parents dans l’Espagne des années 50, une Espagne tenue d’une main de fer par les institutions, l’armée, la religion. Avec Jamais je n’aurai 20 ans, l’auteur ne fait pas que montrer l’horreur de la guerre, il raconte la vie de ceux qui n’ont pas choisi l’exil au bout du compte et ont dû courber l’échine jusqu’à la mort de Franco en 1975. Un récit passionnant au trait réaliste simple et séduisant ! 

Eric Guillaud

Jamais je n’aurai 20 ans, de Jaime Martin. Éditions Dupuis. 24€

Extrait d’une interview de Jaime Benitez réalisée en 2004 par l’auteur et illustrée de ses dessins

20 Avr

Paco Roca nous raconte l’histoire de la Nueve, la neuvième compagnie, à travers les souvenirs d’un républicain espagnol exilé

 

NUEVE (LA) - C1C4.inddC’est un récit passionnant et un témoignage remarquable que nous propose l’Espagnol Paco Roca avec La Nueve, son nouvel album paru aux éditions Delcourt. L’auteur du très remarqué et très primé Rides paru en 2007, réédité et adapté au cinéma sous le titre La Tête en l’air, nous embarque ici dans les pas des républicains espagnols rassemblés au sein de la 9e compagnie et qui furent parmi les premiers à libérer Paris en aout 1944.

Le récit de Paco Roca commence là ou s’arrête la guerre d’Espagne, par la défaite et l’exode des derniers républicains. Par la terre ou par la mer, beaucoup de ceux qui réussirent à quitter le pays se retrouvèrent dans les camps d’internement français. Pour quelques-uns, le combat reprit quelques années plus tard dans le cadre de la Nueve, cette fameuse 9e compagnie du régiment de marche du Tchad, intégrée à la 2e division blindée, autrement appelée Division Leclerc. Sur les 160 hommes qui la composaient, 146 étaient des républicains espagnols. Leur combat pour la liberté commença sur le sol africain avant de se poursuivre en France et donc aboutir à Paris. Bien sûr, tous étaient convaincus que la lutte contre le franquisme serait l’étape suivante. Mais l’Espagne n’était pas l’Allemagne et les Alliés avaient d’autres projets…

© Delcourt / Roca

© Delcourt / Roca

La Nueve raconte le parcours d’un de ces républicains espagnols, Miguel Ruiz, depuis les quais d’Alicante où il embarqua pour l’Afrique du Nord jusqu’à la Libération de Paris. C’est dans le nord-est de la France, à Baccarat très précisément, que Paco Roca met en scène sa rencontre avec le vétéran espagnol qui lui raconte sa guerre dans les moindres détails. Le récit alterne alors entre l’épopée de ces héros oubliés de l’histoire officielle et la rencontre pleine d’humanité entre l’auteur et le vieil homme.

Mais Miguel Ruiz a-t-il vraiment existé ? Pas tout à fait. Le personnage central de ce récit est fictif mais largement inspiré d’un combattant de la Nueve, Miguel Campos. Paco Roca nous explique :

« Miguel Campos est un personnage bien réel dont on trouve trace dans les carnets de route du capitaine de la Nueve, Raymond Dronne. Celui-ci le présente comme un anarchiste, vaillant au combat. Après la prise de Paris, il a disparu au cours d’une mission derrière les lignes ennemies. Son corps n’a jamais été retrouvé, ce qui a permis toutes les spéculations. Pour les uns, il était mort, pour les autres, il avait déserté pour rejoindre un groupe d’anarchistes. De plus, ce nom de Miguel Campos était certainement un faux nom, ce qui a rendu impossible de reconstituer son passé et de localiser un parent. L’interview de Miguel Ruiz permet de faire revivre Miguel Campos. Bien que cette interview soit fictive, j’ai tenté d’être très cohérent avec le personnage de Miguel Campos ».

Au moment où l’on s’apprête à fêter les 70 ans de la libération de Paris, le roman graphique de Paco Roca nous invite à porter un regard nouveau sur cet épisode très important dans notre histoire. Un album essentiel préfacé par la maire de Paris, Anne Hidalgo, d’origine espagnole !

Eric Guillaud

La Nueve, de Paco Roca. Editions Delcourt. 29,95 €

© Delcourt / Roca

© Delcourt / Roca