10 Mar

Là où se termine la terre, un roman graphique de Désirée et Alain Frappier aux éditions Steinkis

Capture d’écran 2017-03-08 à 20.16.14Là où se termine la terre est une histoire vécue, celle de Pedro Atias, celle aussi d’un pays, son pays, le Chili, et plus largement du monde, notre monde…

Transmettre. C’est ce qui anime depuis toujours Désirée et Alain Frappier, les auteurs de cet album paru chez Steinkis en janvier. Transmettre la grande histoire du monde en la mêlant à l’histoire intime, celle des hommes, en l’occurence ici celle de Pedro Atias.

En 1948, quand débute ce récit, Pedro Atias n’est qu’un enfant en culotte courte, un enfant qui admire son père, Guillermo Atias, écrivain. Pedro est alors scolarisé à l’Alliance française et apprend « nos ancêtres gaulois », quasiment rien sur son pays, le Chili.

Mais peu importe, l’essentiel pour son père, un intellectuel de gauche, est d’inscrire ses enfants à l’Alliance Française, une école réputée pour la qualité de son enseignement.

« La France jouissait alors d’une image exceptionnelle en Amérique latine. Tout le monde aimait la France… »

Aujourd’hui, Pedro l’exilé vit en France. Mais ses souvenirs le ramène perpétuellement au Chili. Des souvenirs d’enfant, main dans la main avec son père face à la mer, puis des souvenirs d’adolescent qui s’éveille au monde, en découvre le côté lumineux, la coupe du monde de football de 1962, le cinéma, la littérature, et son côté obscur, l’assassinat de Kennedy, la guerre du Vietnam, la guerre froide…

Et puis il y a les souvenirs plus douloureux encore, le coup d’état militaire en septembre 1973, la mort de Salvador Allende, la dictature de Pinochet, la répression contre la gauche chilienne, les tortures, les déportations, les exécutions et disparitions de plusieurs milliers de personnes… et enfin, pour lui, l’exil.

Plus fort qu’un récit documentaire, plus fort qu’un récit historique, Là où se termine la terre nous plonge dans le passé chilien entre 1948 et les années 70. « Depuis longtemps, avec Alain, nous souhaitions raconter une histoire qui se déroule en Amérique latine, en Argentine ou au Chili… », explique Désirée Frappier, « Mais cela nous semblait impossible sans l’aide d’un fil conducteur sensible, capable de nous mener dans les méandres d’une histoire excessivement complexe tout en nous maintenant toujours dans la fragilité de l’intime et du particulier ».

Un récit dense et documenté, au ton souvent nostalgique et grave, emmené par un graphisme et une mise en page d’une très belle sobriété, qui ‘n’est pas sans rappeler le travail d’Emmanuel Guibert (La guerre d’Alan). Passionnant !

Eric Guilaud

Là où se termine la terre, de Désirée et Alain Frappier. Éditions Steinkis. 20€

© Steinkis / Désirée & Alain Frappier

© Steinkis / Désirée & Alain Frappier

10 Nov

Maudit Allende ! Le douloureux passé du Chili retracé par Jorge González et Olivier Bras

Couv_259764Vingt-cinq ans après la fin de la dictature, le gouvernement chilien vient de reconnaître pour la première fois la possibilité que le poète Pablo Neruda ait été assassiné par le régime de Pinochet après le coup d’état qui a renversé le président socialiste Salvador Allende. Tout ça pour dire combien cette période est aujourd’hui encore ressentie par le peuple chilien comme une blessure profonde, une déchirure, un passé dont il se serait bien passé et qu’il aimerait parfois effacer. Impossible hélas!

Maudit Pinochet serait-on tenté de crier depuis notre vieille Europe. Maudit Allende! afffichent Jorge González et Olivier Bras en couverture de leur album publié chez Futuropolis. Une provocation ? Non. Impossible de taxer le scénariste Olivier Bras de sympathie pour le dictateur, bien au contraire. Il écrit d’ailleurs en postface que Salvador Allende continue d’incarner « pour beaucoup une personnalité politique inspirante, un homme aux convictions marquées qui mérite bien un piédestal« .

Alors pourquoi ce titre ? Tout simplement parce que l’album retrace la grande histoire du Chili à travers la petite histoire d’un gamin, Leo, dont la famille n’a pas fui comme beaucoup de Chiliens le coup d’Etat de 1973 marquant l’instauration de la dictature mais l’arrivée au pouvoir du socialiste Salvador Allende, trois petites années auparavant.

Éduqué dans le culte du général Augusto Pinochet, Leo grandit en Afrique du Sud avant de rejoindre l’Angleterre, se rapprochant sans le savoir du général Pinochet qui vient de subir une intervention chirurgicale en urgence dans une clinique londonienne. Et c’est là qu’il est arrêté pour génocides, tortures et disparitions, sur intervention de la justice espagnole. Une sacré coïncidence qui va amener Leo à retourner dans son pays lorsque Pinochet libéré retournera lui-même à Santiago. Leo y accompagne sa petite amie, une journaliste française chargée de couvrir l’événement. Au cours de ce séjour, le jeune homme va approcher la réalité de la dictature et remettre des années d’éducation, de croyances, en question.

Absolument passionnant et assurément émouvant. Maudit Allende! prépublié dans La Revue dessinée retrace une période très sombre du Chili avec force et précision. Rien d’étonnant, le scénariste Olivier Bras est journaliste et a notamment couvert le Chili pour Libération et RFI. Il signe ici son premier roman graphique – et quel roman! – avec un très grand dessinateur argentin Jorge González, dont on a déjà dit le plus grand bien dans ce blog. Il a notamment signé Bandoneon, Chère Patagonie et Retour au Kosovo. Comme dans chacun de ses albums, Jorge González nous invite  à vivre ici une nouvelle expérience graphique et narrative singulière, un va et viens entre des planches très sombres, parfois juste esquissées, correspondant à la période de dictature, et des planches en couleur plus légères, correspondant à l’après dictature. C’est beau, tellement beau qu’on en pleurerait !

Eric Guillaud

Maudit Allende!, de González et Bras. Editions Futuropolis. 20 €

En 2012, Jorge González nous avait accordé une longue et passionnante interview au moment de la sortie de l’album Chère PatagonieUne interview à retrouver ici !