08 Avr

Doc Savage, le Bob Morane américain est de retour en BD

Enfin une réédition digne de ce nom des premières adaptations en bande dessinées des aventures d’un héros XXL sorties à l’origine dans la seconde moitié des années 70 avec le grand John Buscema au dessin…

Aux côtés de The Phantom, The Shadow, Green Lama et quantités d’autres, Doc Savage fait partie de ces héros caractéristiques aux aptitudes intellectuelles et physiques quasi-surhumaines ayant dédié sa vie à défendre la veuve et l’orphelin apparu dans les années 30 aux Etats-Unis dans les pages de pulps, ces magazines bon marché regorgeant d’aventures bon marché. Dixit son créateur Lester Dent, Savage était censé être un mélange de Tarzan pour ses qualités physiques, de Sherlock Holmes pour son sens de la déduction et d’Abraham Lincoln pour a droiture. Grâce à des fonds illimités et l’équipe de scientifiques qui l’entoure, il a voué sa vie à combattre l’injustice, niché dans au 86ème étage d’un luxueux gratte-ciel new-yorkais.

Savage est l’archétype même du héros sans peur et sans reproches, sorte de super-héros avant l’heure malgré son absence de pouvoir. Le tout pourrait forcément paraître un peu caricatural vu avec nos yeux du XXIème siècle mais il a cette naïveté et ce charme désuet propres aux héros de cette époque, féconde pour l’imaginaire où une Amérique dévastée par la Grande Dépression de 1929 avait terriblement besoin de s’évader.

La France le découvre à la fin des années 60, dans des versions édulcorées et plus « adaptées au jeune public » de ses aventures , d’abord parues dans le Journal De Mickey puis ensuite en poche via l’éditeur Marabout, où l’on retrouvait déjà son pas si lointain que ça cousin européen, Bob Morane.

De l’autre côté de l’Atlantique, au même moment, grâce au succès-surprise de Conan, Marvel commence à réfléchir à ressusciter d’autres héros de l’ère pulp. Suite à de nombreux courriers de lecteurs, l’éditeur de comics achète les droits de Doc Savage et publie ses premières aventures dès 1972 avec, déjà, le grand John Buscema (Thor, Conan, Les 4 Fantastiques etc.) aux pinceaux pour la couverture. Les lecteurs français, eux, découvrent le personnage dans les pages du magazine Titans en 1976.

Les quatre longues aventures réédités ici (une soixantaine de pages chacune) sont parues en France dans l’éphémère revue La Planète Des Singes, chez le même éditeur. Si le contexte a été modernisé, l’action se passant désormais dans les années 70 plutôt que dans les années 30, les bases restent les mêmes : Savage est un colosse à sang froid, homme aussi cérébral que physique, presque dénué d’affect et accompagné d’une bande hétéroclite stéréotypée (l’avocat snob toujours prompt aux bons mots, la brut au look simiesque, l’intello à lunettes faisant de grandes phrases etc.) lui obéissant au doigt et à l’œil. Les méchants sont assez caricaturaux et pour les combattre, Savage a droit à un attirail semblant sortir d’un film de James Bond, avec sous-marin de poche, hélicoptère etc. Clairement, le tout était à destination du jeune public et cela se sent.

Mais c’est justement tout ce qui fait le charme de ces aventures légèrement teintées de fantastique et n’hésitant pas à emmener les lecteurs aussi bien dans les bas-fonds de ‘Big Apple’ qu’au milieu du Pacifique dans une île inconnue. Il y a ce côté un peu foufou et épique, justement très proche de l’esprit d’un Bob Morane.

Et puis surtout, il y a dans ce premier volume (un second est déjà prévu) le grand, le très grand John Buscema aux dessins, assisté par le tout aussi talentueux Tony Dezuniga pour la finition. Son trait iconique, sa façon instantanément reconnaissable de tisser les traits ou de donner à chaque mouvement une dynamique quasi-féline est indissociable de la légende Marvel, sublimé ici par le très beau travail de reproduction de ces planches en noir et blanc. Pour les amateurs de comics 70s mais aussi du ‘Big John’, c’est quasi-indispensable.

À noter que le tout sort en tirage limité sur un petit éditeur marseillais, déjà responsable de quelques belles rééditions dans le même genre, comme Voltar ou Red Sonja.

Olivier Badin

Doc Savage – L’Intégrale 1875-1976 de Doug Moench, John Buscema et Tony Dezuniga. 38€. Neofelis.

Neofelis / Doug Moench, John Buscema & Tony Dezuniga

07 Avr

Mon Infractus : Hervé Bourhis à cœur ouvert !

Allons-nous devoir nous cotiser pour payer un correcteur orthographique aux éditions Glénat qui ont laissé passer cette monumentale faute d’orthographe en couverture ? Mon infractus ? On aurait pu le croire si Hervé Bourhis, dès les premiers pages, ne nous en donnait l’explication et nous racontait à sa manière sa vie de Dj et de survivant à un infarctus, avec le R au bon endroit !

Généralement, on ne s’y attend pas ! Pour Hervé Bourhis, auteur de BD et Dj amateur, ça s’est passé en juin 2022 à l’âge de 48 ans. Au réveil, il ressent le poids d’un éléphant sur son thorax, appelle les urgences et se retrouve à l’hôpital. Le diagnostic est sans appel : un infarctus ou un infractus comme dirait son médecin généraliste. Oui, c’est troublant pour une professionnelle de prononcer infractus plutôt qu’infarctus, se dit Hervé Bourhis, mais c’est ainsi. Et finalement, ça fait un bon titre !

De toute façon, ça ne change pas grand-chose. Hospitalisation, opération, réadaptation, médicaments pour la vie… le quotidien s’en trouve forcément bousculé.

De quoi faire une BD de tout ça ? Qui rejoindra la pléthorique production de livres dans le genre ? Hervé Bourhis s’y refuse mais en même temps consent à évoquer son accident cardiaque d’une manière détournée.

« Ne comptez pas sur moi pour entrer dans les détails. Ça relève de l’intime, n’insistez pas, j’ai ma dignité. Voilà pourquoi je vais plutôt vous raconter mes souvenirs de Dj amateur ». Et d’ajouter : « Mais ne partez pas, voyons ! Il y aura des anecdotes amusantes ! Et de nombreuses connexions avec ce qui m’est arrivé… »

Avec un lien entre les deux, le BPM, le nombre de battements par minute. « Tempo musical ou cardiaque, le cœur sera toujours le cœur du sujet ».

Et de fait, Hervé Bourhis livre ici un témoignage original et intime sur sa vie de Dj, une centaine de pages rythmées par les soirées, la musique, les disques, les pochettes, les amis, les rencontres… et cette aventure médicale dont il se serait à vrai dire bien passé. C’est léger, très drôle, bourré de références musicales comme tous ses livres depuis Le Petit livre rock paru en 2007, et graphiquement bien senti.

Eric Guillaud

Mon infractus, d’Hervé Bourhis. Glénat. 20€

© Glénat / Bourhis

06 Avr

INTERVIEW. Gwen de Bonneval signe « Philiations », une œuvre profondément sensible qui interroge notre relation au monde

Il n’y avait pas de mot pour exprimer ce qu’il souhaitait raconter dans cet album. Alors, Gwen de Bonneval l’a tout simplement inventé. Philiations, de Philia et filiations, un néologisme assumé évoquant une histoire aussi universelle et collective qu’intime et introspective, une histoire de lien, d’héritage et de transmission dans un monde pas très loin de l’effondrement.

La couverture de ce nouvel album de Gwen de Bonneval paru aux éditions Dupuis est à elle seule une source de réflexion et de questionnement. L’auteur s’y représente au travail sur sa table à dessin tandis que la forêt brûle derrière lui. Une façon d’illustrer un éventuel déni ? Sans doute. Et surtout le déni d’un monde qui court à sa perte si rien ne change rapidement.

Mais si Gwen de Bonneval a un temps refusé ou plus exactement sous-évalué l’ampleur du désastre, le réveil ne fut que plus brutal lorsqu’il commença à s’intéresser plus sérieusement aux questions environnementales et notamment à la théorie de l’effondrement selon laquelle notre société est vouée à disparaître du fait de l’enchaînement de crises environnementales, économiques, géopolitiques et sociétales. 

Plongé dans une profonde éco-anxiété, Gwen de Bonneval se devait de réagir, s’imaginant dans un premier temps lanceur d’alerte à travers son art, la bande dessinée, avant de se rendre à l’évidence que réaliser une œuvre didactique ou pédagogique sur cette thématique n’était pas vraiment son truc !

Au travail militant, Gwen préfère alors partager avec le public une « expérience sensible », ce sera Philiations, une première véritable autobiographie pour l’auteur qui lui permet de s’interroger à travers son parcours de vie sur notre monde et cette obsession qu’on a à vouloir le détruire. Une façon de nous interpeller sur notre place, sur la place du collectif et de l’individu dans la lutte contre l’effondrement annoncé, tout un processus qu’il nous explique ici et maintenant…

La suite ici

29 Mar

Délivrance : la douleur rend-t-elle libre ?

Premier roman graphique d’un auteur français influencé par le manga, Délivrance a la forme d’une quête existentielle où la seule raison de survivre dans un monde en déliquescence est de trouver un moyen… de mourir en paix. Âpre et désespéré mais atypique !

En ouvrant les champs du possible, la science-fiction a toujours été l’un des terrains très fertiles pour les allégories. En ouvrant une brèche sur un univers très lointain ou un futur parallèle, tout devient possible, sans qu’on ait forcément besoin d’avoir ni un pourquoi ni un comment.

Aucune explication ici donc. Pourquoi la Terre est-elle devenue aride ? Qu’est-ce qui a déclenché cette apocalypse écologique ? Pourquoi les hommes n’arrivent plus à mourir mais finissent, invariablement, par se transformer en des espèces d’êtres difformes et violents sans volonté propre ? Comment Graham, son frère ainé Ikar et la femme mutique se sont retrouvés à errer comme cela au milieu des ombres ? Que cherchent-ils vraiment ? On ne sait presque rien au début du récit, à part l’évocation d’un endroit où ils pourront tous les trois mettre fin à leurs souffrances et être en paix, sous-entendu mourir.

© Glénat / Kim Gérard

En attendant, ils fuient, tout simplement. Le monde (ou ce qu’il en reste) autour d’eux, les autres devenus synonymes de violence, et eux-mêmes. Jusqu’à ce qu’ils rencontrent cette petite fille sans nom et sans voix autour de laquelle la nature moribonde semble revivre et au contact de laquelle ils redeviennent humains, retrouvant leurs souvenirs enfouis mais aussi leurs blessures. Sauf qu’elle suscite les convoitises…

© Glénat / Kim Gérard

Même si Délivrance est sa première BD, Kim Gérard, qui signe ici les dessins et le scénario, a d’abord fait carrière dans le graphisme et cela se sent ici. Plutôt avare en dialogue, sur le plan visuel le tout rappelle pas mal le trait inspiré du manga de l’écurie Label 619. Au diapason, le récit en lui-même est en perpétuel mouvement, comme ses héros dont on lit les émotions comme dans un livre ouvert à grâce à de nombreux gros plans. Cette idée de mouvement, on la retrouve d’ailleurs dans les nombreuses scènes de combat : pleines d’onomatopées, elles sont aussi soudaines que crues, sans jamais pour autant glorifier la violence. Au contraire, leur absurdité ne fait que souligner un peu plus l’inhumanité des rares survivants de ce monde à l’agonie.

© Glénat / Kim Gérard

Très symboliquement, pour ne pas ‘sombrer’ dans l’apathie précédant cet état de semi-conscience dont on ne sort plus et devenir ainsi prisonnier en quelque sorte de leur propre corps, les deux personnages principaux doivent régulièrement se tabasser mutuellement. En gros, ici, les survivants doivent se faire souffrir, se martyriser si l’on veut, pour ne pas tomber dans une torpeur devenue synonyme de condamnation sans retour.

© Glénat / Kim Gérard

C’est autant la force que la limite de cette épopée entre Mad Max et Le Fils de L’Homme. Kim Gérard jette ses personnages dans une quête désespérée et passe plus de 300 pages à les faire souffrir, littéralement, dans leur chair, la douleur était l’une des clefs de leur rédemption. Maso Délivrance ? Peut-être un peu, les chairs étant ici autant triturées que dans un film de body horror, malgré une fin ouverte laissant (enfin) un tout peu d’espoir filtrer.

Olivier Badin

Délivrance de Kim Gérard. Glénat. 25€

Murmures des sous-bois du Canadien Kengo Kurimoto : une véritable ode à la nature

Premier roman graphique de Kengo Kurimoto, Murmures de sous-bois nous susurre à l’oreille les bonheurs simples de la nature, à qui sait prendre le temps d’observer. Un album aussi beau que tendre !

Comme tous les jours, Poppy promène son chien dans le quartier. Mais ce jour-là, Pepper, c’est son nom, fausse compagnie à sa maîtresse, se faufile sous une barrière et s’enfonce dans les sous-bois. Poppy se lance à sa poursuite, finit par le retrouver avec l’aide d’un jeune garçon, Rob, qui semble bien connaître l’endroit.

Le lendemain, rebelote, Poppy toujours accompagnée de Pepper rejoint Rob dans le sous-bois. Et le lendemain encore. Au fil des jours, Poppy et Rob se lient d’amitié, Rob faisant découvrir à Poppy les merveilles de la nature, ici un troglodyte mignon, là un bourgeon, une fleur, un tronc sur lequel court le lierre, et puis un jeune cerf, un hibou…

Poppy est aux anges et elle aimerait par-dessus tout partager ce bonheur avec sa mère qui déprime dans son canapé depuis des jours, depuis que sa mère à elle est décédée. Mais acceptera-t-elle de la suivre ?

Si beaucoup de romans graphiques demandent aujourd’hui un temps de lecture assez conséquent, Murmures des sous-bois peut se lire rapidement… mais pas trop tout de même ! Profitez justement du peu de dialogues et du peu de personnages pour admirer le paysage comme on dit, vous régaler de cette nature si délicatement et poétiquement mise en images par Kengo Kurimoto dans un bel album au doux format à l’italienne. C’est le but recherché par l’auteur, nous faire apprécier la magie de la nature, retrouver des sens qu’on a peut-être perdus dans notre monde contemporain et de plus en plus urbain.

À la manière d’un Taniguchi ou d’un Miyazaki, dont il se dit influencé, l’auteur canadien, ex-étudiant en éco-construction et écologie profonde, ceci explique cela, explore ici la relation de l’homme avec la nature à travers un tas de petits détails, un peu comme des gros plans sur une nature généreuse et magique. Il n’en oublie pas les relations humaines avec notamment cet amour d’une fille pour sa mère. Beau et tendre à la fois l

Eric Guillaud

Murmures des sous-bois, de Kengo Kurimoto. Rue de Sèvres. 18€

© Rue de Sèvres / Kengo Kurimoto

23 Mar

La Vengeance de David Wautier : une sacrée chevauchée dans l’Ouest sauvage

Si la vengeance est un thème récurrent dans le western, il s’accommode formidablement à toutes les sauces, comme ici à travers le prisme de la famille. Avec cette question : le désir de vengeance, aussi naturel soit-il, peut-il être plus fort que tout, plus fort que l’amour de ses enfants ?

Ah mais oui, un bon petit western de derrière les fagots ! En voilà une bonne idée. Non pas que le genre se fasse rare en bande dessinée, bien au contraire, il a toujours été et est encore aujourd’hui plébiscité par nombre d’auteurs et de lecteurs, mais il permet finalement d’aborder pas mal de thématiques contemporaines, comme l’écologie, les droits de la femme ou encore les droits des opprimés, le tout sous couvert d’une fiction et d’action.

Alors oui, la thématique de la vengeance est récurrente, dans le western et ailleurs, mais elle permet ici à l’auteur d’en détailler le mécanisme dans un pays et à une époque où la loi se faisait à coup de colt calibre 36 et non de 49.3.

Qui dit récurrent dit rabattu ! Oui, en cela, on peut dire que l’album de David Wautier n’a pas grand-chose d’original. À ceci près que le vengeur de service, un certain Richard Hatton, désireux de voir mourir les « ordures » qui ont tué sa femme, a embarqué dans l’aventure ses enfants, Anna et Tom, qui n’aspirent dans leur cas qu’à une chose, rentrer chez eux et retrouver ce père qu’ils aimaient tant…

Un autre grand classique dans les westerns est bien évidemment la nature ! Avec un style graphique qu’il a développé sur des carnets de voyage, vif et proche du croquis, relevé d’une touche d’aquarelle, David Wautier nous offre une sacrée chevauchée entre montagnes enneigées et déserts rocailleux. Et rien que pour ça, ça vaut le détour !

Eric Guillaud

La Vengeance, de David Wautier. Anspach. 19,50€

© Anspach / Wautier

14 Mar

L’Énorme enquête de Rambaud et Oiseau : un polar en absurdie

Avec sa couverture en jaune et noir et son titre, tout indique que nous avons affaire ici à un polar. Et c’est le cas ! Mais L’Énorme enquête des sieurs Lorrain Oiseau et Yann Rambaud fait aussi dans l’énorme humour. Un tueur, un cadavre, deux policiers, une allergie à l’amoxicilline et un trafic d’apéricubes… prêt.e.s pour une bonne tranche de rigolade ?

Un meurtre horrible ! Le commissaire est sous le choc, il a du mal à trouver les mots pour décrire la scène :

« Le meurtrier a recouvert de goudron le corps de la victime. Puis il a dessiné une ligne blanche dessus et posé un chewing-gum déjà mâché sur son cadavre ainsi qu’un mégot de cigarette… ». 

L’inspecteur s’étonne : « Hmmm, c’est la route ça. Le cadavre est juste à côté ! »

Oui, c’est énorme ! Le titre nous avait pourtant prévenus mais à ce point-là, on peut encore être surpris. Et nous ne sommes qu’au début de l’affaire, à la première des 64 pages que compte l’album.

Alors, bien sûr, il y a une victime, Gabriel Berthier, retrouvé avec un couteau planté dans le thorax, le corps resté en suspens comme s’il s’était mis en pause sur une pas de danse. Il y a des policiers dont le grade fait office de patronyme, Inspecteur et Commissaire, il y a un meurtrier quelque part, un suspect dans l’immédiat au nom prédestiné de Justin Tueur, une enquête avec des dispositifs d’écoutes téléphoniques pas très discrets, des courses poursuites en fusée, un mobile du crime qui sent le pétrole, un dealer qui fait dans l’apéricube et des histoires d’allergies à l’amoxicilline.

Bref, tout ce qu’il faut pour faire un bon polar sauf que là, le récit part en vrille, c’est totalement fou, cinglé, déjanté, dément, désaxé, ravagé, maboul, bref en un mot absurde et si vous préférez en deux mots : totalement absurde.

Le communiqué de l’éditeur convoque Les Nuls côté influences, on pourrait ajouter Quentin Dupieux, Fabcaro et même une touche de Tuche…

« Des Apéricubes… Vous savez, c’est une drogue implacable. On en prend une fois, puis deux. Puis re-une fois, puis sept, rarement quatre, puis… douze je crois ». 

Énorme, c’est écrit dessus !

Eric Guillaud

L’Énorme enquête, de Lorrain Oiseau et Yann Rambaud. Delcourt. 13,50€

© Delcourt / Oiseau & Rambaud

12 Mar

Le Navigateur sur les mers du destin : le deuxième roman du cycle d’Elric adapté par Roy Thomas enfin disponible en français

Fort de son succès précédent avec Conan, l’un des plus célèbres ex-scénaristes de la maison Marvel, Roy Thomas, décide de s’attaquer à partir de 1981 à l’œuvre de Michael Moorcock et notamment Elric le Nécromancien. Dix-huit mois après un premier tome, l’éditeur Delirium confirme l’essai avec cette réédition mirifique. 

Ils sont plusieurs à avoir essayé de tenter de réaliser l’impossible : adapter en BD les aventures du plus célèbre héros de l’écrivain britannique Michael Moorcock, Elric de Ménilboné. Pourquoi impossible ? Sur la papier, les aventures de ce prince déchu du jadis glorieux mais cruel et désormais en pleine décadence royaume de Ménilboné et Stormbringer, son épée démon dévoreuse d’âme, paraissaient pourtant taillées sur mesure pour le neuvième art, avec son lot de combats épiques, de créatures fantastiques et de magie. Sauf que Moorcock a toujours refusé les lignes droites et a baigné le tout dans un mysticisme assez complexe, faisant de son vrai-faux héros l’un des représentants de ce qu’il a appelé l’un des Champions Éternels, êtres disséminés au grès des mondes, incarnations de l’éternelle lutte entre le Bien et le Mal et garants de la Balance Cosmique. Bien qu’assez courts, ses romans sont toujours très denses et truffés de sous-entendus, par définition donc pas si évident que cela à retranscrire en images.

Face à ce dilemme, il y avait donc plusieurs options. La plus évidente, la plus facile aussi était de gommer un peu cet aspect mystique pour se recentrer sur l’action et la lutte de pouvoir entre Elric et son cousin Yrkoon. Ce fut le choix fait pour la dernière adaptation en date, réalisée par trois Français et déclinée sur plusieurs tomes, avec un cinquième à venir.

© Delirium / Thomas, Gilbert & Freeman

Mais ce n’est pas la voie choisie par le scénariste Roy Thomas. Surtout qu’il avait alors besoin se racheter : en 1972, celui qui est alors éditeur en chef chez Marvel intègre le personnage à une histoire de Conan, histoire de tâter le terrain auprès du public. Mais affublé d’un chapeau pointu vert ridicule et dénué de toute l’ambivalence de son pendant littéraire, cette version ne convainc personne, Thomas lui-même.

Quatorze ans plus tard, il travaille désormais pour l’éditeur First Publishings et décide de s’attaquer de nouveau à l’oeuvre de Moorcock, mais en se calant cette fois-ci dans le sillage direct du maître. Après un premier tome de ce run paru d’abord chez Delcourt avant que la balle soit saisie au rebond par Delirium en 2022, Le Navigateur Sur Les Mers Du Destin, soit l’adaptation du deuxième roman (dans l’ordre) du cycle d’Elric, sort enfin pour la première fois traduite en français. Et c’est aussi beau et lumineux que son pendant chez Glénat était sombre et acéré.

© Delirium / Thomas, Gilbert & Freeman

Par rapport au (relativement) sage premier roman, le sage Elric de Ménilboné qui ‘installait’ le monde et les personnages, La Navigateur Sur Les Mers Du Destin était déjà dans sa version originale un récit très psychédélique, le prince albinos embarquant sur un bateau magique où il retrouve d’autres champions éternels, comme Corum, Hawkmoon ou Erekosë. Ensemble, ils partent affronter de mystérieux sorciers dans la toute aussi mystérieuse cité de Tanelorn.

Ayant bien compris qu’ils tenaient là l’une des aventures les plus délirantes d’Elric, Thomas et son dessinateur Michael T. Gilbert ont simplement décidé de tirer en quelque sorte le fil de la pelote, aboutissant à un récit baignant dans une perpétuelle brume hallucinogène. Si le dessinateur Barry Windsor-Smith, avec lequel Thomas a travaillé sur les premiers épisodes de Conan, n’est pas là, son ombre plane partout ici. Dans ces couleurs chatoyantes et flashy (parfois limite trop), dans ces visages allongés et gracieux ou encore dans cette influence palpable de l’Art Nouveau etc. Malgré son héros quasi-mutique et désespéré se dégage ici quelque chose de vivifiant, cette camaraderie qui nait entre des êtres à part, réunis autour d’une seule cause.

© Delirium / Thomas, Gilbert & Freeman

Or de tous les romans du cycle d’Elric, celui-ci est peut-être celui parlant le plus de la notion d’exil. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’une grande partie se passe sur les eaux ou que tous ces personnages ont en commun d’avoir été arrachés à leurs terres natales, sans vraiment savoir comment y retourner. Alors même si ce n’est pas le point de départ idéal pour les néophytes (mieux commencer par le commencement pour bien comprendre tous les tenants et aboutissants) cette première édition française trente-six ( !) ans après l’originale se révèle être une petite merveille d’heroic fantasy des années 80, avec une ambiance bien elle, aussi fantasmagorique qu’épique.

 Olivier Badin

Elric – Le Navigateur Sur Les Mers Du Destin de Roy Thomas, Michael T. Gilbert & George Freeman. Delirium. 27 €

Le coin des mangas : quinze titres à dévorer au fond du lit en attendant le printemps

On commence avec le troisième et dernier volet de Biomega du génial Tsutomu Nihei, paru il y a maintenant quatre mois mais totalement incontournable. Près de 1200 pages au final et une sacrée claque visuelle grâce à ce graphisme si singulier du mangaka, un immense fan, et ça se sent, du créateur des décors et monstres d’Alien, H.R. Giger. L’homme s’est fait connaître au Japon et en Europe avec des récits SF sombres, désespérés, violents, oppressants, organiques, reconnaissables entre tous. Après Abara et Blame 0, c’est donc au tour de Biomega de bénéficier d’une réédition Deluxe, de quoi profiter pleinement du génie de Nihei et de se téléporter en 3005, carrément, pour une histoire mêlant exploration spatiale et contamination virale. Le poids des mots, le choc des images ! (Biomega deluxe, de Tsutomu Nihei. Glénat. 14,95€ le volume)

Série toute aussi incontournable, One Piece s’est enrichie d’un 106ᵉ épisode en décembre, un 107ᵉ est attendu pour avril. De quoi nous faire tourner la tête et propulser la série du Japonais Eiichiro Oda dans le top One du manga le plus lu et le plus connu sur la planète Terre et peut-être au-delà. Plusieurs centaines de millions d’exemplaires vendus à travers le monde, une quarantaine de millions sur le seul territoire français, un univers unique, un mélange d’aventure, de fantastique et d’humour, et un héros baptisé Lufy qui rêve de devenir le roi des pirates en trouvant le fameux trésor baptisé One Piece. (One Piece tome 106, d’Eiichiro Oda. Glénat. 6,99€)

On reste dans le même univers avec un anime comics en deux tomes tout juste sortis des presses. One Piece Film – Red, tel est son nom, permet de retrouver les plus belles scènes du film musical éponyme sorti en 2022, l’une des meilleures adaptations de One Piece au cinéma, me dit-on dans l’oreillette. En tout cas une belle façon de découvrir ou redécouvrir l’univers foisonnant d’Eiichiro Oda, ici en couleurs. Et qui dit film musical dit musique. Notre héros international Luffy, accompagné de son équipage, débarque sur l’île d’Élégia pour assister au premier concert de la chanteuse Uta, fille du pirate Shanks Le Roux et amie d’enfance de Luffy. Surprise… la jeune femme prône une « nouvelle ère » sans pirates. (One Piece Red, d’Eiichiro Oda. Glénat. 9,60€ le volume)

Le Bateau-usine de Shinjirô et Shigemitsu Harada est un récit de science-fiction qui nous embarque pour un futur lointain où toutes les mers se sont évaporées, faisant de notre belle planète bleue une planète noire et aride. Les créatures marines se sont adaptées en se déplaçant dorénavant au gré des courants atmosphériques. C’est donc dans le ciel que le bateau-usine navigue pour pêcher des crabes géants. À son bord s’activent pour une misère des ouvriers endettés, des criminels et des gamins orphelins vendus à la compagnie comme Luca et Shû qui ne rêvent que d’une chose : gagner assez d’argent pour acheter leur liberté. Mais ce n’est pas gagné…  (Le Bateau-usine tome 3, de Shinjirô et Shigemitsu Harada. Vega – Dupuis. 8,35€)

Vous avez aimé ReRe : Hello! de Yoko Minami ? Alors, vous devriez aimer 360° Material de la même autrice. Les quatre volumes de la série seront disponibles simultanément aux éditions Delcourt / Tonkam le 13 mars. À l’unité ou en coffret, à vous de choisir pour plonger dans cette histoire d’amour qui commence sur un quai de gare. Mio Ôtaka, lycéenne ordinaire, évite à un jeune garçon, Takin, absorbé dans ses pensées, de finir sous un train. De cet acte de courage nait une amitié entre les deux personnages, une amitié qui se transformera en amour… Une romance au dessin léger comme l’air ! (360° Material, de Yoko Minami. Delcourt / Tonkam. 7,99€ le volume)

Peut-être n’avez-vous pas fait partie des chanceux qui ont pu parcourir la formidable exposition consacrée à Hiroaki Samura lors de la dernière édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême mais pas de panique, il reste ses mangas pour en prendre plein la vue et notamment cette nouvelle édition de L’Habitant de l’infini en 15 doubles tomes accompagnée d’une suite inédite en français baptisée Bakumatsu dessinée par Ryu Suenobu et scénarisée par Renji Takigawa, sous la supervision, bien évidemment, du maître Hiroaki Samura. Les premiers volets sont sortis en septembre, les deuxièmes en novembre, les troisièmes en janvier et les quatrième sont annoncés pour avril. Bref, de quoi retrouver notre samouraï immortel, Manji, dans de sacrés combats de sabre et dans les deux cas avec un graphisme plutôt musclé. (L’Habitant de l’infini, Immortal editions Tome 3, de Hiroaki Samura, Casterman. 13,95€. L’Habitant de l’infini – Bakumatsu tome 3, de Renji Takigawa et Ryu Suenobu. Casterman. 9,45€)

Gen Kinokura, 34 ans, est un amoureux de la nature. Il aime par-dessus s’éloigner de la ville, planter sa tente au milieu des bois, faire un bon feu, respirer le bon air et prendre une bonne dose de solitude. Mais cette fois, Gen ne peut que déchanter. Alors qu’il s’apprête à prendre son repas, surgit de nulle part une jeune-fille, Shizuku Kusano. La rencontre est explosive mais les talents de cuisinière de Shizuku finissent pas apaiser les tensions et le camping en solo se termine à deux. Cette série qui compte déjà 16 volumes au Japon et semble remporter un certain succès se présente à la fois comme une histoire d’amour, un guide du parfait campeur et un livre de recettes. Au menu : poêlée de saucisses et de champignons à l’ail, bouchées de jambon cru au fromage et sauce salsa maison, poulet rôti à la bière ou encore risotto à la tomate et aux palourdes façon plein air, bref de quoi nous en mettre l’eau à la bouche ! (Solo Camping for two, de Yudai Debata. Soleil Manga. 8,50€)

C’est une histoire d’épicier. Mais d’épicier épicé. Du genre qui ne vend pas que des légumes. Taro Sakamoto, c’est son nom, a beau avoir un léger embonpoint, une moustache à la papa, des lunettes de myope, il est à lui seul un mythe, une légende, un ex-tueur admiré de tous ses congénères, craint par tous les gangsters. Oui, Sakamoto l’épicier avait le flingue facile avant de raccrocher, de se marier, d’avoir un enfant et de s’installer comme épicier. Une vie pépère jusqu’au jour où le jeune assassin télépathe Sin débarque dans la supérette. Vous voulez de l’action ? Alors, vous en aurez, Sakamoto Days est un concentré d’énergie au rythme de parution effréné. Le tome 12 est sorti en février, le 13 sortira en mai. (Sakamoto Days tome 12, de Yuto Suzuki. Glénat. 6,99€)

On continue dans l’esprit culinaire avec What did you eat yesterday. Le premier tome est sorti en janvier en France, une série référence au Japon publiée depuis 2007 (21 tomes à ce jour et plus de 10 millions d’exemplaires écoulés) et adaptée en film, série télévisée et livre de cuisine. Au centre de tout, deux personnages qui forment un couple gay, Shirô Kakei, avocat, et Kenji Kabuki, coiffeur, deux caractères opposés mais qui se retrouvent autour de la cuisine. Entre recettes et instantanés de vie, les deux protagonistes nous font découvrir la culture japonaise. Aux manettes, une autrice multiprimée. What did you eat yesterday a notamment remporté le prix Kodansha Award du meilleur manga en 2019. (What did you eat yesterday tome 1, de Fumi Yoshinaga. Soleil Manga. 15,99€)

Ils en rêvaient, ils l’ont fait ! Et bien fait. es Français Sylvain Ferret, scénariste, et Nevan, dessinateur, signent avec L’Ombre de Moon leur tout premier manga. Un manga ? Des Français ? Oui, exactement, avec sens de lecture à la japonaise, dessin et découpage à la japonaise et même un petit laïus des auteurs sur le rabat de la couverture, comme le font les mangakas. Côté histoire, les auteurs nous embarquent pour l’Ombre, un monde fantastique dans lequel Moon Banning, le protagoniste principal, accompagné d’un jeune garçon, Panpan, et d’un être étrange toujours prêt à balancer des proverbes, Arès, doit affronter des monstres comme autant de ses tourments du passé avec l’espoir d’en sortir grandi. Un scénario efficace, un dessin nerveux, des scènes d’action vertigineuses, un brin d’humour… bref une belle découverte ! (L’Ombre de Moon, de Nevan et Ferret. Delcourt Tonkam. 12,99€)

Nouvelle adaptation en manga d’un classique de la littérature par le studio Variety Artworks pour le compte des éditions Soleil Manga, La Métamorphose. Après La Divine Comédie, Ulysse, Le Rouge et le noir, Le Capital ou encore Du Contrat social, voici donc l’une des œuvres les plus célèbres de Franz Kafka écrite en 1912. Direction Prague pour une histoire absurde, celle d’un représentant de commerce nommé Gregor Samsa. L’hommei se réveille un beau jour métamorphosé en un énorme insecte. Plus qu’un simple récit fantastique, La Métamorphose offre une critique sociale aux multiples lectures possibles. (La Métamorphose, de Franz Kafka et Variety Artworks. Soleil manga. 8,50€)

Bienvenue en enfer ou presque ! Depuis 100 ans, la Terre est plongée dans le noir à cause d’un épais nuage. La plupart des végétaux a disparu et l’humanité place ses derniers espoirs dans la transfloraison, une technique qui consiste à transformer un être humain en plante, comblant ainsi le manque de végétaux. Héros de ce récit vivant dans une grande pauvreté, Toshiro décide de franchir le pas et de subir l’opération nécessaire à sa transformation en plante… Un récit d’anticipation original aux belles ambiances sombres. (Fool Night tome 6, de Kasumi Yasuda. Glénat. 7,90€)

Fin de partie pour Abyss Azure dont le troisième et dernier volume est sorti début février. Inspiré de La Petite Sirène du romancier danois Hans Christian Andersen, Abyss Azure nous embarque dans les profondeurs sous-marines où vivent les ondins, ces créatures mythiques représentées avec un torse humain et une queue de poisson. Ici, aucun contact avec les humains n’est toléré, une consigne respectée jusqu’au jour où l’une de ces créatures, Ryû, tombe amoureuse d’un homme… (Abyss Azure tome 3/3, d’Akhito Tomi. Vega Dupuis. 8,35€)

Changement de style et d’univers avec Blue Giant Explorer et la sortie du troisième volume, une série signée Shinichi Ishizuka. Suite directe de Blue Giant et de Blue Giant Supreme, cette nouvelle série, dont le premier tome a figuré dans la sélection officielle du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2024, nous permet de retrouver notre saxophoniste Dai Miyamoto à la conquête des États-Unis. Blue Giant Explorer nous offre non seulement un regard sur le monde de la musique et plus spécialement le jazz mais aussi sur la culture nippone et américaine, le tout avec une approche graphique du plus bel effet. Et si vous regrettez le silence du manga, vous pourrez toujours vous rabattre sur l’adaptation cinéma actuellement sur les grands écrans et sa BO signée Hiromi Uehara. (Blue Giant Explorer tome 3, de Shinichi Ishizuka. Glénat. 7,90€)

On termine avec la réédition de deux anthologies consacrées à Moto Hagio, l’une des premières mangakas femmes à avoir investi dans les années 70 le registre de la bande dessinée féminine, le shojo, et bousculé au passage les codes en usage qui imposaient des histoires sans profondeur. Moto Hogio, à laquelle le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême a consacré cette année une rétrospective et décerné un Fauve d’honneur, a tout au long de sa longue carrière cherché à imposer à travers la fiction des récits ambitieux sur des thématiques diverses, notamment autour de l’identité de genre. Une autrice à découvrir ou redécouvrir ! (Anthologie de l’humain et Anthologie de la rêverie, de Moto Hagio. Glénat. 14,95€ le volume)

Eric Guillaud

08 Mar

Tepe, La colline : un conte préhistorique, philosophique et poétique de l’auteur turc Firat Yasa

Beau comme l’univers, violent comme le monde ! Tepe, la colline est le premier récit turc pour les éditions ça et là, un conte bourré de fureur et de poésie, ancré dans la préhistoire mais terriblement actuel proposant, en creux, une réflexion sur nous les hommes, notre rapport à l’environnement et à la religion…

il y a du Bambi dans l’air ! Pourtant, Tepe, la colline n’a rien d’un conte à la Disney. Ici le Bambi est une gazelle et s’appelle Murr. Promise avec sa mère à un sacrifice en l’honneur de Père-Ciel, la divinité de la tribu Göbekli Tepe, Murr parvient à s’échapper mais se perd dans l’immensité de la nature. À bout de forces, désormais seule, Murr s’allonge, pleure cette mère protectrice disparue, quand surgit Râht, un humain un peu différent qui voit d’un mauvais oeil la sédentarisation en cours des hommes et l’apparition des divinités.

« Les humains sont des menteurs, ils sont agressifs, égoïstes, je ne peux pas vivre avec eux…. », dit-il à la gazelle.

Et de fait, depuis la mort de sa propre mère, Râht, qui parle le langage des animaux, vit loin des hommes en compagnie d’un renard. Devant le désarroi de la gazelle, Râht se propose de l’aider à retrouver sa mère même si la route s’annonce longue et périlleuse…

Aussi universelle et intemporelle qu’elle soit, cette histoire réalisée par l‘auteur turc Firat Yasa s’inscrit dans le contexte de la préhistoire, aux alentours de 9000 av. J.-C., du côté de Göbekli Tepe. Site archéologique turc reconnu pour son caractère exceptionnel, Göbekli Tepe renfermerait le premier temple de l’Histoire avec des centaines de piliers mégalithiques couverts de bas-reliefs animaliers. Tepe, la colline s’inspire des recherches faites autour de ce qui reste malgré tout une énigme, ouverte de fait à l’imaginaire et à la poésie.

Et Tepe, la colline n’en manque pas d’imagination et de poésie, tant d’un point de vue scénaristique que graphique avec des planches de toute beauté, qui rappellent parfois les peintures rupestres, et des couleurs envoûtantes. Un hymne à la nature, à la vie, en même temps qu’un regard critique sur l’homme. Magique !

Eric Guillaud

Tepe la colline, de Firat Yasa. Editions çà et là. 25€

© çà et là / Firat Yasa