11 Oct

Les super héros oubliés d’avant-guerre de Centaur Publishing reviennent à la vie grâce à une poignée de fans français et grâce aussi à Jean-Michel Ferragatti

CouvertureLa forte popularité des pulps dans l’avant-guerre de Roosevelt et l’arrivée des premiers super-héros ont suscité beaucoup de vocations dans l’Amérique des années 30. Et même si l’Histoire n’a retenu depuis que les mastodontes DC et MARVEL (créées respectivement 1934 et 1939), nombreuses ont été les éphémères maisons d’éditions à se lancer sur ce juteux marché. L’une d’entre elles s’appelait Centaur Publishings mais malgré plus d’une vingtaine de titres différents lancés entre 1933 et 1942, elle a fini par mordre la poussière à cause de problèmes de distribution. Alors que ses personnages sont tombés dans le domaine public en 1992, une poignée de passionnés français ont décidé de ressusciter certains de ses héros les plus emblématiques pour deux volumes regroupant à la fois anciens numéros d’époque et nouvelles aventures inédites réalisées spécialement pour l’occasion. Alors que le premier volume est déjà sorti et que le deuxième, après une campagne réussie sur un site de financement participatif, est sur le point d’être imprimé, le coordinateur du projet Jean-Michel Ferragatti, nous parle de ce projet fait par et pour des fans.

Pourquoi selon vous les personnages de Centaur sont-ils ainsi tombés dans l’oubli ?

Jean-Michel Ferragatti : L’éditeur Centaur a arrêté sa ligne de comics à cause d’une mauvaise distribution de ses publications en 1942, une mauvaise distribution qui a sans doute abouti à des volumes relativement faibles et par conséquence d’exemplaires trop limités pour les collectionneurs. De plus, les lecteurs de comics n’ont réellement commencé à créer des collections à la fin des années 50. Ils n’avaient donc jamais vu les publications Centaur qui en conséquence étaient très peu recherchées tout en étant rares. Or les bouquinistes leur accordaient donc une côte assez chère pour peu de demande, donc le plus souvent ils restaient sans acheteur et leur contenu inconnu. Cela a changé avec la sortie en 1990 de l’ouvrage d’Ernst Gerber regroupant de nombreuses pochettes de comics, dont pas mal de Comics Centaur. Cela a réveillé la curiosité des collectionneurs mais c’est vraiment l’avènement d’internet qui a parachevé cette redécouverte. Reste que certains grands auteurs ne les avaient pas oublié, je pense notamment à Gil Kane, le créateur entre autres d’Iron Fist, qui avait introduit des éléments de la série Amazing Man, notamment le décor de la cité des Immortels K’un- Lun, directement inspiré du lieu de villégiature du ‘Conseil des Sept’ d’Amazing Man.

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Est-ce que l’une des raisons de ce relatif anonymat ne vient pas aussi du fait que les histoires que vous avez incluses dans le premier volume de Centaur Chronicles s’inscrivent au final plutôt dans une certaine tradition du serial US – avec ce que cela implique en terme de rythme, de personnages assez manichéens etc. – que du style ‘super-héros’ proprement dit ?

Jean-Michel Ferragatti : C’est vrai que les histoires de Centaur ont assez peu de continuité telle que l’apprécie le plus souvent les lecteurs de Comics. Pendant le premier Âge d’Or (en gros, entre 1938 et 1954-ndr) il n’y a eu aucun crossover dans les publications Centaur, c’est-à-dire qu’aucun personnage n’en a rencontré un autre, même s’il y avait malgré tout une continuité interne à certaines des séries. Il y a sans doute également un effet lié au fait qu’étant parmi les premiers super-héros publiés, ces personnages ne possédaient pas tous les codes devenus classiques, ce qui les rend un peu atypiques, même pour le lecteur de l’époque. Mais ce qui en contrepartie les rend à mes yeux au contraire passionnants maintenant !

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Il vous a fallu s’y reprendre à trois fois pour mettre vraiment en branle ce projet. Que s’est-il passé ?

Jean-Michel Ferragatti : La première a été un faux départ car nous devions lancer la série dans un titre dont l’artiste Reed Man possédait la licence (Spécial Strange). Malheureusement alors que la couverture du numéro avait déjà été faite, le propriétaire lui annonça qu’il lui retirait. Très déçu, Reed Man a alors abandonné le projet. La deuxième fois, grâce à John Favre qui était l’éditeur du projet initial, deux épisodes ont été publiés dans ses magazines avec l’artiste Fred Grivaud pour toute la partie artistique. Mais John a ensuite eu des soucis avec sa maison d’édition et la suite n’a jamais été publiée. Fred et moi, nous avons alors contacté des éditeurs nationaux mais bien que certains aient montré un certain intérêt, nous n’avons eu aucune proposition ferme et Fred a souhaité s’éloigner du projet. La troisième avec Marti et en autoédition fut la bonne !

Les auteurs impliqués ont-ils dû apprendre à s’adapter en quelque sorte au style Centaur ?

Jean-Michel Ferragatti : Le scénariste certainement… Il faut savoir que les créateurs des personnages Centaur travaillaient à la même époque sur les premiers personnages de ce qui deviendra Marvel Comics (la Torche Humain, Namor) avec lesquels ils ont en commun d’être des un peu atypiques. Donc, il fallait faire ressortir ce côté assez peu formaté et un peu brut. Marti a dû bien entendu s’approprier les personnages graphiquement mais pas spécialement en reprenant un style Centaur mais plus en étant respectueux des designs originaux tout en les mettant au goût du jour.

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Pourquoi être au final passé par une plateforme de financement participatif pour éditer ces deux premiers volumes ? Et quel était le profil des gens qui ont financé l’opération ?

Jean-Michel Ferragatti : On est passé par ce biais là car nous voulions avoir une ‘caisse de résonnance’ facile à mettre en place. La campagne nous a aussi permis de faire de la communication de manière simple et d’avoir une infrastructure de paiement très facile. Les contributeurs sont de trois types : d’abord les amis, relations personnelles et professionnelles des artistes. Puis les fans des communautés de comics sur internet. Et enfin, les curieux intrigués par le projet.

Est-ce dès le départ un projet censé s’étaler sur plusieurs volumes ou est-ce que la réalisation du premier vous a donné envie de retenter ensuite l’aventure ?

Jean-Michel Ferragatti : Oui, dès le départ le projet était prévu sur quatre volumes. Il y a La Renaissance, le deuxième sera Les Origines, le troisième L’Adversité et le dernier L’affrontement. Mais l’une des caractéristiques des comics est la périodicité. Donc, nous avons déjà des projets pour au minimum une autre histoire de deux volumes et quelques projets spéciaux, voire un ‘spin-off’ si le public est au rendez-vous car l’univers Centaur est tellement riche que quatre volumes ne suffiront pas à en faire le tour.

Propos recueillis par Olivier Badin, Octobre 2017