12 Fév

Pourquoi Jirô Taniguchi était-il autant apprécié en Europe ?

© Jirô Taniguchi / Casterman

© Jirô Taniguchi / Casterman

L’auteur de bande dessinée japonais est décédé samedi 11 février à l’âge de 69 ans. Depuis 1995, ses albums traduits en français rencontrent un succès considérable, bien au delà du cercle des amoureux habituels du neuvième art, un peu à l’image d’un Bilal, d’un Bourgeon ou d’un Pratt. Mais quelles sont les raisons de ce succès ?

Jirô Taniguchi n’est pas le seul auteur de mangas à avoir percé sur le territoire européen, bien évidemment. Ils sont des centaines à s’y être fait un nom avec des personnages et des séries aujourd’hui mythiques. Dragon Ball hier (plusieurs millions d’exemplaires vendus), One-Punch Man (265 000 ex. en 2016 pour le 1er tome) ou  Ki & Hi (230 000 ex.  en 2016 pour le 1er tome) aujourd’hui, les mangas font partie de notre paysage culturel depuis maintenant une trentaine d’années, depuis que, pour simplifier, Glénat a publié Akira d’Otomo. C’était en 1990.

Pour le grand public de l’époque, le manga se résume alors à des aventures violentes. Akira et Dragon Ball l’étaient effectivement mais pas seulement. Dans le flot des titres qui vont littéralement inonder le marché francophone, Jirô Taniguchi apparaît comme un extra-terrestre. En 1995, les éditions Casterman publient son premier ouvrage traduit en français, L’Homme qui marche. Rien à voir, absolument, avec ce qui est alors produit massivement. Son dessin, son univers, influencés par la bande dessinée européenne, parlent aux lecteurs de BD mais aussi aux lecteurs de mangas, de romans graphiques et de littérature classique. Ils parlent aussi de façon homogène aux hommes et aux femmes, aux jeunes et aux plus âgés. Un public large en somme conquis dès le début, dès L’homme qui marche, où la contemplation est à la base de l’aventure. 

Suivent Le chien Blanco, Le Journal de mon père, Au temps de Botchan, Quartier lointain, L’orme du Caucase, Le Sommet des dieux, Le Gourmet solitaire… plus récemment Les Gardiens du Louvre, Elle s’appelait Tomoji… tous des petits chefs d’oeuvre de récits intimistes, poétiques, mélancoliques.

Mais pas que ! Benoît Peeters, qui a eu la chance, comme il dit lui-même, de rencontrer Jirô Taniguchi dès le milieu des années 90, de le filmer en 2004 dans son atelier pour un documentaire produit par Arte, écrit dans une préface à son livre d’entretiens Jirô Taniguchi L’homme qui dessine : « S’émancipant peu à peu des contraintes et des standards de la production industrielle, Jirô Taniguchi est devenu l’un des principaux passeurs entre le monde des mangas et celui de la bande dessinée. Mais il est surtout, tous domaines, confondus, l’auteur d’une des oeuvres les plus fortes et les plus universelles de notre temps ».

Universelle ! C’est bien là qu’il faut chercher les raisons de cette popularité. Jirô Taniguchi ne parle pas que de lui, de son pays, il parle de l’homme et de notre monde. Avec curiosité, avec calme, avec sérénité.

Car en plus d’être talentueux, Jirô Taniguchi était un homme « profondément bienveillant et doux », comme l’écrivent les éditions Casterman à l’annonce de son décès. « Si l’humanisme qui traverse toute son œuvre est familier de ses lecteurs, on connaît beaucoup moins l’homme, d’un naturel réservé et plus enclin à laisser ses récits parler à sa place ».

Jirô Taniguchi était étonné de l’engouement suscité en Europe par ses albums. Au journal Les Inrocks qui lui demandait ce que signifiait pour lui la rétrospective présentée au festival d’Angoulême en 2015, Jirô Taniguchi répondait : « C’est un événement qui me fait profondément plaisir et m’honore, bien sûr. Mais je suis aussi un peu inquiet de la façon dont cette exposition sera reçue. Je me demande si mon travail est à la hauteur de l’honneur qui lui est ainsi rendu ».

Eric Guillaud