21 Fév

Le sourire d’Auschwitz : le destin tragique d’une résistante bretonne raconté en BD

Journaliste à France 24, réalisatrice de webdocumentaires et scénariste de bandes dessinées, la Nantaise Stéphanie Trouillard continue d’explorer notre histoire et plus particulièrement la seconde guerre mondiale avec le récit d’une vie brisée, entre Port-Louis et Auschwitz, un aller simple pour l’enfer, avec Renan Coquin au dessin.

© Stéphanie Trouillard, scénariste de l’album « Le sourire d’Auschwitz » • © Anthony Ravera

Trois clichés en noir et blanc avec le même visage, de face et de profil. Et à chaque fois le même sourire qui interroge, nous interroge. Et pour cause, les clichés ont été pris à Auschwitz en 1943. La jeune femme devant l’objectif s’appelle Marie-Louise Moru, dit Lisette, une Morbihannaise de 16 ans.

Pourquoi ce sourire ? La bande dessinée Le Sourire d’Auschwitz est née de cette interrogation…

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19 Fév

Dix BD jeunesse pour les vancances d’hiver

À lire sur les skis ou dans son lit, dix albums jeunesse pour rire, vibrer, trembler, rêver… et passer de bonnes vacances.

On commence par un retour qui n’en est pas un, plutôt un changement d’adresse. Seuls, la série phénomène de Bruno Gazzotti et Fabien Vehlmann commence une nouvelle vie aux éditions Rue de Sèvres après quinze ans passés chez Dupuis. Mais pas de panique, les aficionados de la série retrouveront tout ce qui fait son sel, son univers, son ton et bien sûr ses personnages, cinq enfants plongés dans un monde appartenant à la quatrième dimension et demie. Et si vous n’avez pas lu les 13 premiers albums ou si vous avez tout oublié, ce nouvel opus vous offre un petit résumé en BD bien utile. (Les Protecteurs, Seuls tome 14, de Gazzotti et Vehlmann. Dupuis. 12,95€)

Après la Coupe du monde, le Tournoi des 6 Nations ! Et le retour, pour la 22ᵉ fois, des aventures des Rugbymen de Poupard au dessin et Beka au scénario. Au programme : des blagues, du rugby, de l’humour, du rugby, de la rigolade et du rugby. Bref, de quoi contenter tous les amoureux du ballon ovale. Et ils sont nombreux ! (Dans le premier quart d’heure, on joue 20 minutes à fond!, Les Rugbymen tome 22, de Beka et Poupard. Bamboo Editions. 11,90€)

Direction le Far West et plus précisément le Kentucky dans les années 30 du siècle passé. Depuis que ses parents sont morts, la jeune Molly Wind a trouvé refuge avec sa sœur dans la ferme de son oncle et de sa tante. Sa passion ? La lecture. Elle ingurgite les romans d’aventure à la vitesse d’un cheval au galop. Mais son rêve, justement, c’est de devenir bibliothécaire et de parcourir les Appalaches sur son cheval préféré, Carson, pour distribuer des livres dans les fermes isolées. Et malgré son jeune âge, le destin va le lui permettre… Une fiction légère avec des méchants pas très méchants et une héroïne très attachante. (Molly Wind, bibliothécaire du Far West tome 1, de Galmès et Gonzállez Vilar. Dupuis. 12,95€)

Pour gagner une guerre, il faut du courage, de l’audace, de la témérité, de l’ardeur, de l’héroïsme, certes, mais avant tout ça, il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Et de l’argent pendant la seconde guerre mondiale, il y en avait beaucoup du côté de Dakar, des tonnes de lingots d’or provenant de la Banque de France, une partie du trésor national évacué devant l’avancée des nazis. La France libre tentera de le récupérer. Seul hic, Dakar fait partie de l’Afrique Occidentale française restée sous le contrôle de Vichy. C’est dans ce contexte bien réel que se déroule ce troisième tome de la série La Drôle de guerre de Papi et Lucien, avec bien évidemment beaucoup d’action et d’humour. De quoi découvrir un épisode méconnu de notre histoire en s’amusant ! (Mission Sahara ! La Drôle de guerre de Papi et Lucien tome 3, de Erre et Téhem. Auzou. 12,95€)

Lucas fête aujourd’hui son 13ᵉ anniversaire mais on ne peut pas vraiment dire qu’il est à la fête ! Entre les mauvaises blagues de ses copains de collège et les heures de colle qu’il vient de se prendre, le jeune garçon préférerait être au lendemain et disposer enfin de la précieuse pierre de Gloom qui selon une tradition familiale lui revient à ses treize ans. Et que lui donnera cette fameuse pierre ? Tout ! Elle serait en effet capable d’exaucer tous ses souhaits sans aucune limite et ça tombe bien, il en a déjà plus de 3000 notés dans des carnets comme savoir jouer de la flûte avec le nez, donner vie à sa peluche chat, être le plus fort du monde ou n’avoir que des 10/10. Mais le soir, son repas d’anniversaire ne se passe pas vraiment comme il l’aurait souhaité car, oui, avoir des pouvoirs implique de grandes responsabilités. (Atomick Lucas, de Sourcil et Carità. Jungle. 12,95€)

Supers pouvoirs toujours avec un autre album et un autre contexte, Girl on fire, des Américains Andrew Weiner et Williams Britney, d’après une chanson de la chanteuse de Rob Alicia Keys, raconte l’histoire de Loretta Wright, lolo pour les intimes, 14 ans, une jeune fille comme toutes les autres jusqu’au jour où un policier braque une arme sur son frère James. Terrorisée, elle parvient à le neutraliser par la simple force de l’esprit. Ce pouvoir télékinétique qu’elle va devoir apprendre à contrôler intéresse pour le moins le dealer du quartier qui voit là l’occasion d’étendre son domaine. Mais la jeune Lolo n’est pas de cet avis et le combat qu’elle va entreprendre la mènera vers le monde des adultes. (Girl on Fire, d’Andrew Weiner et Williams Britney, d’après l’œuvre d’Alicia Keys. Glénat. 19,95€)

Bienvenue au collège St Joseph. Un établissement en tête des classements, aime répéter sa directrice. Oui, mais à quel prix ! La discipline est ici de fer et ceux qui ne s’y plient pas se retrouvent envoyés dans les sous-sols de la bâtisse où les attend un sacré parcours du cancre, une enfilade de salles de punition qui sont autant d’épreuves à passer. Et quand ils en sortent, les élèves deviennent des Reformatés, des élèves modèle, des moutons. De quoi calmer les plus récalcitrants ? Pas vraiment…  (Sous l’école, Le Monde des cancres tome 1, de Barys, Phillips et Cunha. Dupuis. 13,50€)

Sorti il y a quelques mois, Robfox et le voyage du souvnhir nous embarque dans un univers de cyber-fantasy animalière avec au centre un étrange personnage, moitié renard, moitié robot, qui va de village en village pour proposer ses services avec la fierté de toujours honorer ses contrats. Jusqu’au jour où on lui demande de noyer dans la rivière la plus proche un souvnhir abandonné par un faune. Mais si pour certains, cette petite bestiole est source de catastrophes, pour d’autres, elle aurait le super pouvoir de remémorer à n’importe qui des choses oubliées… Un univers très coloré et bourré de fantaisies. (Robfox et le voyage du souvnhir, de Pothier et Joubert. Delcourt. 19,99€)

Pour son tout premier album, la jeune autrice Anne Quenton nous offre une savoureuse relecture du Livre de la Jungle de Rudyard Kipling avec un personnage de Mowgli féminin et rebaptisé Moogli. Et ce n’est pas le seul changement. L’univers mis en place ici s’inscrit dans un monde post-apocalyptique dans lequel les humains ont pratiquement disparu et les animaux anthropomorphisés ont pris l’ascendant. Moogli, petite d’homme élevée par une famille de loups, a du mal à trouver sa place et l’adolescence sera pour elle l’occasion de partir à la recherche de ses racines humaines. Une belle histoire et un très beau dessin pour cette aventure prévue en trois volumes. (La Meute, Jungle book tome 1, de Quenton. Dupuis. 14,50€)

On termine avec le deuxième tome de Donjon Bonus, un album grand format qui nous immisce dans les coulisses de l’une des aventures graphiques les plus folles de la bande dessinée franco-belge, imaginée par Lewis Trondheim et Joann Sfar en 1998. Cinquante-cinq albums à ce jour, huit sous-séries, deux scénaristes mais une bonne quinzaine de dessinateurs et un imaginaire totalement débridé. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la saga sans jamais oser le demander est là ! 160 pages réunissant les storyboards originels des premiers tomes, des recherches graphiques, le tout avec échanges entre les auteurs et commentaires. Et l’aventure continue… (Création et parchemins, Donjon Bonus tome 2, de Sfar et Trondheim. Delcourt. 39,95€)

Eric Guillaud

17 Fév

Le Lierre et l’araignée : de la Résistance à la Wehrmacht, Grégoire Carlé retrace la guerre de son grand-père alsacien

Après « Il était 2 fois Arthur  » réalisé avec Nine Antico au dessin, le Strasbourgeois Grégoire Carlé nous revient avec un album hanté par l’histoire de son grand-père dans une Alsace annexée par l’Allemagne nazie. Une histoire intime, une histoire de filiation et d’identité dans une des périodes les plus sombres de l’humanité…

Nous avons tous, un jour ou l’autre, interrogé nos grands-parents sur leur vie pendant la seconde guerre mondiale. Avec plus ou moins de réussite à l’arrivée. Secrets de famille, tabou, honte, pudeur… les raisons de ne pas étaler une vie enfouie sous des décennies passées sont multiples.

Grégoire Carlé, lui, n’a pas eu le temps de le faire. Si, durant son enfance, il a partagé avec son grand-père de longues parties de pêche dans la montagne et des promenades en forêt, ce n’est que bien plus tard qu’il a ressenti le besoin, l’urgence comme il dit, de recueillir sa parole, ses souvenirs. Malheureusement, le grand-père meurt à ce moment-là.

Un rendez-vous manqué qui est un de ses plus grands regrets, avoue Grégoire Carlé. Commence alors pour lui un long cheminement intime, cherchant dans ses souvenirs les moindres bribes de témoignage de ce grand-père disparu, avant d’élargir ses recherches aux proches, aux livres, aux archives publiques et privées, une enquête de deux ans nécessaire pour atteindre la rigueur historique visée par l’auteur.

© Dupuis / Carlé

Et d’écrire l’histoire de ce grand-père, sa jeunesse dans une Alsace annexée par l’Allemagne nazie avec l’objectif de la défranciser, de la décléricaliser, de la germaniser, de la nazifier, en un mot ou presque de la mettre au pas. L’araignée nazie tissait sa toile !

Le grand-père ne s’y est pas laissé prendre, fondant avec quelques autres le réseau de résistance Feuille de lierre, participant à quelques actions d’éclats avant d’être finalement arrêté, interné au camp de Schirmeck puis incorporé de force dans la Wehrmacht comme des dizaines de milliers d’Alsaciens et Mosellans. Les fameux « malgré-nous ». L’humiliation suprême !

© Dupuis / Carlé

C’est cette histoire d’homme entré en résistance au péril de sa vie que raconte aujourd’hui l’album de Grégoire Carlé. C’est aussi l’histoire d’une filiation et d’une transmission entre un grand-père et son petit-fils. Et au final, un regard intime sur une époque sombre pour l’humanité et peut-être plus encore pour cette région meurtrie jusqu’au plus profond de son identité.

Pour mettre en images ce récit intime aux résonances universelles, où la folie des hommes côtoie la beauté de la nature, un sacré contraste, Grégoire Carlé a opté pour la couleur directe, une douceur d’aquarelles sur des noirs tranchants qui donnent aux planches un petit côté ancien bien vu. Une merveille !

Eric Guillaud

Le Lierre et l’araignée, de Grégoire Carlé. Dupuis. 29,95€

14 Fév

L’œil d’Ódinn : en route pour le Ragnarök

Lorsque l’un des meilleurs dessinateurs, jadis dévoué à la cause de Conan le barbare, s’attaque à la mythologie scandinave, cela donne un résultat épique et sanglant, mais aussi de toute beauté où les femmes, une fois n’est pas coutume, mènent la bataille jusqu’au bout du monde…

De tous les dessinateurs qui se sont penchés sur le berceau de Conan le barbare depuis le début 2000, avec Cary Nord l’argentin Tomás Giorello fut sûrement celui qui a réussi le mieux à renouer avec une certaine authenticité et le côté animal sans foi ni loi du cimmérien, propulsant ainsi la série à des hauteurs pas atteintes depuis la grande époque de John Buscema dans les années 70. Donc forcément, on a gardé un œil sur lui. Autant dire que l’excitation était à son comble lorsqu’on a appris qu’il avait signé chez l’éditeur Bad Idea, récemment passé sous la coupe de Valiant, pour un one-off ancré dans la mythologie scandinave et un monde d’heroic fantasy rappelant fortement celui crée par Robert E. Howard.

Clairement, le tout, scénarisé par ce grand habitué de l’écurie Valiant qu’est Joshua Dysart (Harbinger, Bloodshot etc.), a été taillé sur mesure pour Giorello. D’ailleurs, plusieurs dessins prennent une pleine page, histoire de sublimer un peu plus son trait qui a pris, ici, une épaisseur supplémentaire, souligné par une mise en couleur à l’ancienne et chaleureuse. Même si l’héroïne est ici une jeune fille, difficile de ne pas voir de nombreux parallèles avec le monde de Conan. D’ailleurs, ce n’est pas une coïncidence si le personnage borgne d’Odin (d’où le titre, utilisant l’orthographe d’origine du nom) rappelle beaucoup le portrait d’un Conan vieillissant réalisé par Giorello pour la série King Conan, récemment rééditée dans son intégralité dans un sublime omnibus chez Marvel.

© Bliss / Giorello, Dysart & Rodriguez

De plus, l’histoire fait ici écho à de nombreuses thématiques chères au créateur de Conan, comme la prédestination ou l’incompréhension de son entourage face à son propre potentiel. Jeune paysanne, Solveig a plusieurs visions terrifiantes où le père des dieux, Odin, lui apparaît, la sommant de partir en quête, mais sans qu’elle ne réussisse vraiment ce qu’il attend d’elle. Elle décide donc d’aller à la recherche de réponses, accompagnée par un vieux guerrier et une sorcière.  

© Bliss / Giorello, Dysart & Rodriguez

Si ces visions apocalyptiques, où le dessinateur ne lésine pas sur la violence mais sans qu’elle ne soit jamais gratuite non plus, sont flamboyantes, elles ne prennent jamais le pas sur la psychologie des personnages. Aidé par un Dysart qui sait éviter les clichés, Giorello ne cède pas à la facilité,  c’est-à-dire se lâcher complètement graphiquement grâce au tapis rouge déroulé, quitte à zapper à tout le reste. Non, il n’oublie jamais ses personnages et fait même preuve, oui, d’une sensibilité inattendue teintée de féminisme, les femmes (Solveig bien sûr, mais également les valkyries qui la rejoignent) étant dans le récit les seules à sembler vouloir aller vers la lumière.

Seule source de frustration : la fin un peu abrupte qui semble appeler une suite, même si lors de son passage à Paris en début d’année, l’argentin nous a confié avoir déjà démarré son travail sur une nouvelle série pour Bad Idea, mais cette fois-ci dans un style plus science-fiction…

Olivier Badin

L’œil d’Ódinn de Tomás Giorello, Joshua Dysart & Diego Rodriguez. Valian/Bliss. 25€

13 Fév

Bobigny 1972. Une date-clé de l’histoire des droits des femmes en France racontée en BD

C’est le genre de procès qui vous change une société, un procès historique qui fut une étape décisive vers la loi Veil encadrant la dépénalisation de l’avortement en France. La Nantaise Carole Maurel au dessin et la Marmandaise Marie Bardiaux-Vaïente au scénario nous le racontent dans une BD parue aux éditions Glénat

© France 3 Pays de la Loire / Eric Guillaud

On pouvait espérer l’affaire réglée une fois pour toutes avec la promulgation de la loi historique portée par Simone Veil et votée le 17 janvier 1975, une loi qui autorisait l’interruption volontaire de grossesse avec peut-être, pour ambition première, d’endiguer les avortements clandestins et moins de reconnaître cette liberté comme un droit fondamental des femmes.

Mais le monde est ainsi fait qu’aujourd’hui encore, près de cinquante ans après, l’IVG est toujours confrontée à de nombreux obstacles et la France n’est pas à l’abri d’un revirement brutal, comme on a pu déjà le vivre de l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis.

La constitutionnalisation pourrait être une réponse, un rempart, mais en attendant, le combat continue sur tous les terrains, y compris sur celui de la bande dessinée. 

Activiste féministe confirmée, la scénariste Marie Bardiaux-Vaïente travaille quasi exclusivement sur la thématique de l’injustice, mais elle ne l’avait jamais abordée sous l’angle de la lutte pour les droits des femmes, c’est chose faite avec Carole Maurel au dessin.

Bobigny 1972 raconte un événement clé dans l’histoire de l’avortement, le procès de la jeune Marie-Claire Chevalier, 15 ans, jugée pour avoir avorté. Son avocate, Gisèle Halimi, trouva là une tribune idéale pour porter la lutte pour l’avortement libre et gratuit au plus haut niveau.

Nous avons rencontré Marie Bardiaux-Vaïente et Carole Maurel pendant le festival d’Angoulême fin janvier, interview…

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08 Fév

« J’y vais mais j’ai peur », quand la navigatrice Clarisse Crémer se fait autrice de BD et raconte son Vendée Globe

Dans neuf petits mois, le Vendée Globe s’élancera à nouveau des Sables d’Olonne. Sur la ligne de départ, une quarantaine de skippers et skippeuses, parmi lesquelles très certainement Clarisse Crémer, arrivée 12e de la précédente édition. Avant de reprendre la mer, la navigatrice nous raconte son parcours dans une bande dessinée parue chez Delcourt.

© Delcourt / Crémer & Bénézit

« J’y vais mais j’ai peur « . C’est avec ces mots que Clarisse Crémer a dit oui. Oui à Ronan Lucas, directeur de la Team Banque Populaire. Oui pour être sur la ligne de départ de la plus belle course autour du monde, une course à la voile, en solitaire, sans escale, et sans assistance.

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07 Fév

La rencontre sanglante entre deux créatures de la nuit, Batman et Spawn

Si la création de Bob Kane n’a jamais été aussi populaire, dans les années 90, sa suprématie est contestée, notamment par Spawn, soldat de l’enfer qui a vendu son âme au diable en espérant revoir sa femme. Forcément, les deux étaient amenés à se rencontrer, ce qui finit par arriver en 1994 lors de trois récits enfin réédités.

On l’a (un peu) oublié mais les années 90 furent une sale période pour les comics. D’accord, c’était peut-être un peu le grand n’importe quoi durant la décennie précédente, mais ça foisonnait, de partout. Ce n’était pas tout le temps de la qualité et nous étions encore loin du professionnalisme des années 2000 mais c’était vivant. Sauf qu’au mitan des 90s, tout le monde fait un peu la gueule, aussi bien sur le plan commercial qu’artistique et cela commence à sentir le sapin… Jusqu’à ce qu’une bande de jeunes loups vienne un peu secouer le cocotier, sauvagement. À la tête de la horde, Todd McFarlane et son Spawn, anti-héros maudit jusqu’au bout et dont les lecteurs et les lectrices lisent les aventures avec un plaisir coupable, tout en sachant que cet ex-tueur à gages de la CIA devenu un monstre au service de l’enfer ne réussira jamais à sauver son âme…

© Urban Comics /DC Comics / Image Comics – collectif

Avec ses couleurs chatoyantes mais aussi son ton plus adulte, sa description d’un quotidien urbain où l’homme est un loup pour l’homme et surtout sa violence, Spawn a alors révolutionné le monde des comics, le faisant entrer dans un nouvel âge. Et très vite, les grandes maisons mères, telles DC, ont compris le message : s’adapter ou mourir. Voire s’allier avec celui sur le point de vous donner le baiser de la mort s’il le faut… Ce fut fait grâce à cette bonne vieille tactique de sioux qu’est le crossover, tour de passe-passe scénaristique où les chemins de deux héros issus de deux séries différentes se croisent opportunément. Et qui de mieux adapté à Spawn que le chevalier noir, Batman himself ?

Comme le rappelle l’excellente introduction du premier de ces deux volumes, le marché est équitablement réparti entre DC Comics et Image Comics, aboutissant à trois histoires indépendantes, réparties ici sur deux volumes. La première est la plus faible du lot : bien que se déroulant chez lui à Gotham et dessinée par Klaus Jenson – au style très proche de celui dont il a longtemps assuré l’encrage, Frank Miller (Sin City) – l’alter-ego de Bruce Wayne ne semble n’être qu’un spectateur un peu balourd dans cette histoire horrifique basique et très lovecraftienne, le Spawn y prenant toute la place.

© Urban Comics /DC Comics / Image Comics – collectif

En fait, les vrais joyaux sont les deux autres histoires, bien au-dessus à tous les niveaux. Il faut dire qu’avec Todd McFarlane aux dessins et Frank Miller, justement, au scénario, cela paraissait difficile de se planter. Même si, objectivement, c’est encore une fois la créature de McFarlane qui prend l’ascendant, la complémentarité entre le dessin flamboyant de l’un et l’écriture ciselée de l’autre, l’alliance est quasi-parfaite, les névroses de l’un et de l’autre se complétant bien. Certes, le tout n’est pas dénué de certains tics d’écriture et graphique propres à leur époque. Et les bonus, comme la version noir et blanc et en VO de War Devil, semblent avoir été rajoutés pour éviter une pagination trop faible.

© Urban Comics /DC Comics / Image Comics – collectif

Mais autant certains crossover mériteraient de rester dans les poubelles de l’histoire (non, on n’ose pas vous parler de cette rencontre improbable entre Batman, justement, les Tortues Ninja, même si cela a hélas bien existé !), autant ces deux-là méritaient, non, DEVAIENT se rencontrer. Et même si c’est trop court (ah quand une vraie saga ?), ça claque !

Olivier Badin

Batman/Spawn 1994 & Batman/Spawn, collectif. Urban Comics / DC Comics  Image Comics. 17 & 19 €

05 Fév

Rencontre avec Bea Lema, lauréate du Fauve d’Angoulême Prix du public France Télévisions 2024 pour son album Des Maux à dire

Après Chloé Wary, Léonie Bischoff, Léa Murawiec et Sole Otero, le très convoité Fauve d’Angoulême Prix du Public France Télévisions a été remis à Beatriz Lema à l’occasion du dernier Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Retour sur un moment important pour la jeune autrice espagnole…

Bea Lema © Vanessa Rabade

Bea Lema est originaire de La Corogne dans le nord-ouest de l’Espagne, mais c’est en France, à Angoulême plus précisément, à l’occasion d’une résidence à la Maison des auteurs, qu’elle a réalisé son premier roman graphique baptisé Des Maux à dire.

Coup d’essai, coup de maître, son album a été retenu dans la sélection officielle 2024 du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême et a reçu le 27 janvier dernier le Fauve d’Angoulême Prix du Public France Télévisions des mains d’un jury composé de lecteurs et lectrices passionnés du neuvième art et touchés par « la poésie graphique » qui se dégage de son album et par son « traitement sensible de la santé mentale ».

Après quelques jours de repos bien mérités auprès de ses amis et de sa famille en Espagne, Bea Lema a accepté de partager avec nous son ressenti autour de cette très belle aventure et de revenir sur cet album singulier, séduisant et à la thématique universelle.

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L’Œil du marabout de Jean-Denis Pendanx : un plaidoyer contre les enfants soldats avec l’Unicef

Le 12 février est la Journée internationale des enfants soldats. À cette occasion, les éditions Daniel Maghen en partenariat avec l’Unicef publient L’Œil du Marabout, un récit de Jean-Denis Pendanx au cœur de l’un des plus grands camps de déplacés du Soudan du Sud, Bentiu…

Ils ont encore l’âge de l’innocence, mais la guerre en a décidé autrement. Georges et sa jeune sœur Nialony font partie des dizaines de milliers de réfugiés du camp de Bentiu au Soudan du Sud et la vie n’y a rien d’un conte de fée. Au moins sont-ils ici en sécurité, peuvent-ils penser, protégés par les soldats de l’ONU, les fameux Casques bleus.

En sécurité relative tant les conditions de vie sont précaires, la misère totale, la violence omniprésente et les attaques des rebelles encore possibles malgré la présence militaire. Georges et Nialony vont d’ailleurs en faire les frais, enlevés en plein sommeil par un groupe armé. Objectif : faire de Georges un soldat…

© Daniel Maghen / Pendanx

Grand connaisseur de l’Afrique pour y avoir vécu quelques années, Jean-Denis Pendanx l’a régulièrement illustrée dans ses bandes dessinées, que ce soit dans la trilogie Les Corruptibles, le diptyque Abdallahi ou le one shot Au bout du fleuve. Avec L’Œil du Marabout, l’auteur livre un récit fort et poignant inspiré par une action qu’il a menée dans le camp de Bentiu en 2016, invité alors par l’Unicef.

« Ce séjour a été une grande expérience émotionnelle pour moi… », explique Jean-Denis Pendanx en conclusion du livre, « et, durant ces dernières années, j’ai voulu la faire partager sous la forme d’un livre, d’une bande dessinée. Il a fallu pas mal de temps et de réflexion avant de trouver la façon la plus limpide de faire connaître ce monde fermé, en pleine savane, et d’évoquer la vie difficile de ces habitants oubliés de tous ».

© Daniel Maghen / Pendanx

Et cette façon sera une fiction mais une fiction aux personnages bien réels. Georges et Nialony existent, d’autres personnages du récit existent. Et bien sûr, cette guerre était à l’époque une réalité sombre. Jean-Denis Pendanx, sans la montrer de manière frontale l’évoque à travers ce qu’elle induit forcément, les familles dispersées, les populations déplacées et réfugiées dans des camps, les enfants embrigadés, la misère… mais aussi la solidarité avec l’aide humanitaire, l’action des ONG et celle de l’Unicef pour sauver les enfants.

Un graphisme de toute beauté, un récit d’une humanité réconfortante et au final une belle cause à soutenir, celle de l’Unicef qui recevra 0,80€ pour chaque album vendu.

Eric Guillaud

L’Œil du marabout de Jean-Denis Pendanx. Éditions Daniel Maghen. 26€

03 Fév

Mukanda Tiodora de Marcelo D’Salete ou l’histoire vraie d’une esclave dans le Brésil du XIXe siècle

C’est l’un des drames humains parmi les plus abominables, des millions d’hommes et de femmes arrachés au continent africain pour être vendus comme esclaves en Amérique. La bande dessinée évoque régulièrement la traite transatlantique à travers des œuvres de fiction ou documentaires. L’album Mukanda Tiodora de Marcelo D’Salete dépasse les genres pour nous offrir un véritable témoignage de femme esclave dans le Brésil du XIXe siècle…

Lorsqu’on entend le mot esclavage, l’image des Noirs exploités dans les champs de coton au sud des États-Unis nous vient immédiatement à l’esprit. Pourtant, la traite négrière n’a pas concerné que l’Amérique du Nord, loin de là. Le Brésil a à lui-seul importé 4 à 5 millions d’esclaves, soit 40% d’entre eux et il sera le dernier pays à abolir l’esclavage en 1888.

Esclave parmi les esclaves, au service d’un chanoine, Mukanda Tiodora, vivait, ou du moins survivait, à São Paulo, dans le quartier réservé aux personnes noires. Née en Afrique au début du XIXe siècle, prise dans les mailles de la traite transatlantique, elle survit aux terribles conditions de la traversée, débarque au Brésil où elle se voit séparée de son fils et de son mari. 

© ça et là / D’Salete

Dans le Brésil du milieu du XIXe siècle, une importante partie de la population noire a gagné sa liberté. Tiodora non ! Mais elle en rêve, tous les jours, toutes les nuits. Son objectif est clair : tout faire pour obtenir sa lettre d’affranchissement. Analphabète, Tiodora demande à un autre esclave de lui écrire des lettres pour son mari et son fils. Ces lettres, qui ne sont pas toutes arrivées à destination, ont été conservées. Elles témoignent de sa volonté d’acheter sa liberté et de retrouver sa terre natale. Elles offrent aussi une photographie du São Paulo et du Brésil de l’époque, de plus en plus confrontés au mouvement abolitionniste.

© ça et là / D’Salete

C’est en s’appuyant sur cette correspondance et notamment sur les écrits de l’historienne Cristina Wissenbach que Marcelo D’Salete a réalisé Mukanda Tiodora, une œuvre à haute valeur de témoignage tant l’auteur a eu à cœur d’approcher au plus près de la réalité historique, à l’image de ce qu’il a fait dans ses récits précédents parus aux éditions ça et là, Angola Janga et Cumbe (Eisner Award 2018, catégorie meilleur œuvre étrangère), tous deux nous transportant déjà dans le Brésil esclavagiste.

Le juste poids des mots, le choc des images, les planches en noir et blanc de Mukanda Tiodora sont aussi belles que puissantes, il n’en fallait pas moins pour raconter ce passé sombre du Brésil et au-delà de l’humanité. Une œuvre précieuse pour la mémoire historique collective complétée d’un volumineux et riche dossier d’une cinquantaine de pages réunissant une contribution de Cristina Wissenbach, des reproductions et transcriptions des lettres de Tiodora, de nombreuses photos d’époque, une chronologie de la lutte contre l’esclavage à São Paulo ainsi qu’un glossaire et des références bibliographiques.

Eric Guillaud

Mukanda Tiodora de Marcelo D’Salete. Éditions ça et là. 23€

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