03 Juin

Salto : un roman graphique époustouflant de Judith Vanistendael et Mark Bellido au Lombard

salto-522-l325-h456-cAu milieu de la foultitude d’albums publiés chaque mois, certaines couvertures nous interpellent plus que d’autres, pour un mot, un dessin, un personnage, une couleur. C’est le cas de Salto. Pour toutes ces raisons et pour une autre encore, essentielle, une atmosphère mystérieuse, un personnage encapuchonné, lunettes noires sous la pluie, transformé en perchoir pour quelques oiseaux locaux. Mais que peut bien nous raconter ce livre ? Une simple histoire de marchand de bonbons, comme le suggère le sous-titre ?

Pas tout à fait. Salto est l’histoire d’un saut périlleux. El Salto en espagnol. Un saut dans le vide, dans l’inconnu. Tout commence sur les bords de la Méditerranée, à Castellón de la Plana précisément, près de Valence. Miquel y est effectivement vendeur-livreur de bonbons mais plus pour très longtemps. Son patron en a assez de ses facéties et finit par le virer. Rêveur limite ado attardé, insouciant, voire parfois inconscient, Miquel se retrouve sans boulot, sans un sou. Lui qui se voyait écrivain mais désespère de ne pas avoir une vie romanesque décide un beau jour d’embarquer femmes et enfants dans une nouvelle aventure, un changement de vie radical. Direction le Pays Basque où Miquel devient garde du corps de personnalités menacées par l’ETA. Un chien comme on les appelle alors dans la région.

« Tout ce que tu dois avoir, c’est du courage… », lui dit son nouveau boss, « le reste, tu l’apprendras sur le tas ». Miquel apprendra surtout qu’avec ce genre de boulot, tu n’as plus de vie privée et au bout d’un moment plus de femme, plus d’enfants. Le vide. Miquel se retrouve seul avec son arme et sa mission quasi-divine. Une descente en enfer qui ne fait que commencer…

© Le Lombard / Vanistendael & Bellido

© Le Lombard / Vanistendael & Bellido

De Judith Vanistendael, nous disions à la sortie de son album David, les femmes et la mort qu’elle explorait l’invisible, l’intime, avec beaucoup de délicatesse, une touche de poésie et un sens de la tragédie exceptionnel. Inutile de changer un mot, une virgule, Salto est un album époustouflant qui commence comme une comédie colorée, enjouée, et se termine dans la tragédie la plus sombre. Cette histoire est celle de Mark Bellido que Judith a rencontré il y a quelques années sur le chemin de Compostelle.

J’ai trouvé son histoire fascinante. Et comme j’avais envie de devoir dessiner des choses que je ne dessine pas normalement, de changer mes horizons, une histoire de garde du corps – avec des voitures et des flingues – me paraissait idéale !

Ne vous méprenez pas cependant, Salto relève plus du psychologique que de l’action. Avec un certain courage, ou un courage certain, Judith nous parle de l’ETA, de cette « terreur généralisée » dans laquelle les terroristes ont maintenu le pays pendant des années. « Cette même terreur… », poursuit-elle, « qui est entrée dans mon quotidien au cours de l’année passée. J’habite Molenbeek, à Bruxelles. Cela a été une expérience assez intense de travailler sur un livre qui parle de la terreur dans ce contexte ».

Un livre radicalement indispensable. Parution le 10 juin.

Eric Guillaud

Salto, de Judith Vanistendael et Mark Bellido. Editions Le Lombard. 22,50€

© Le Lombard / Vanistendael & Bellido

© Le Lombard / Vanistendael & Bellido

02 Juin

Tribute to Otomo : une exposition hommage au créateur d’Akira à la Galerie Glénat

Du 8 eu 26 juin, la Galerie Glénat à Paris vous propose de retrouver l’exposition « Tribute to Otomo » réalisée pour le Festival International de la Bande dessinée d’Angoulême en 2016.

Elle sera présentée dans son intégralité et même augmentée de nouveaux hommages de prestigieux dessinateurs parmi lesquels Virginie Augustin, Bannister, Dominique Bertail, Matthieu Bonhomme, Merwan Chabane, Ludovic Debeurme, Benoît Feroumont, Manuele Fior, Juan Gimenez, Jirô Taniguchi, François Boucq… la liste est longue, 53 auteurs en tout pour un hommage à l’un des maîtres du manga, auteur notamment de la série Akira actuellement rééditée aux éditions Glénat Manga.

Eric Guillaud

Plus d’infos sur le site de la galerie Glénat

 

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01 Juin

Le journal de Spirou aux couleurs de l’Euro 2016

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Le groom Spirou aux couleurs de la Belgique, Fantasio supporter de l’Italie et Louca le poing levé pour la France, le journal de Spirou se met à l’heure de l’Euro 2016 dans son numéro du 1er juin. Et pas seulement sur la couverture. Le football est à l’honneur dans plusieurs histoires courtes signées Bouzard, Bertschy, Saive, Runberg, Homs… mais aussi à travers des jeux et du rédactionnel. En cadeau, un sticker à coller sur la voiture des parents, après autorisation 😉

Disponible dans tous les bons kiosques de France et de Belgique. Peut-être un peu ailleurs aussi…

Akira : la réédition d’un monument du manga chez Glénat

Akira 01 FR JEn 1990, lorsque débarque la série Akira en France, la fin des années 2010 qui lui sert de contexte paraît encore bien loin, assez pour imaginer le pire d’ici là, comme une troisième guerre mondiale et l’avénement d’un monde dominé par l’ultraviolence.

2016… 2019, nous y sommes presque. La troisième guerre mondiale n’a pas eu lieu mais rien ne nous en protège encore aujourd’hui. Le pire serait même à venir prédisent les observateurs les plus pessimistes.

En attendant, on croise les doigts et on ouvre (ce qui n’est pas facile je l’accorde !) le premier volume de cette nouvelle édition d’un des monuments du manga et plus largement de la bande dessinée mondiale, édition que l’on dit définitive, pilotée par le patron himself, Otomo, depuis le Japon.

Dans le fond, le récit n’a bien évidemment pas changé. Il conserve la même puissance scénaristique et graphique qu’au siècle passé. Dans la forme, il se veut plus fidèle à l’original. Exit la couleur, retour au noir et blanc, nouvelle traduction, onomatopées sous-titrées, jaquette originale et surtout, surtout, sens de lecture initial respecté, bref de quoi faire saliver les fans de la première heure autant que les nouveaux convertis à la cause. Autant le dire de façon direct, ce premier tome a franchement de la gueule et on attend la suite avec une certaine fébrilité. En attendant, vous pourrez toujours vous calmer en allant voir l’expo « Tribute to Otomo » présentée à la Galerie Glénat du 8 au 26 juin. Toutes les infos ici.

Eric Guillaud

Akira (tome 1), de Katsuhiro Otomo. Editions Glénat. 14,95€

29 Mai

Mon père était boxeur : un récit autobiographique de Barbara Pellerin mis en images par Vincent Bailly et Kris

1507-1Lui c’est Hubert, elle c’est Barbara, un père, sa fille, un boxeur, une documentariste. Entre les deux, à première vue, pas grand chose en commun. L’un et l’autre ne se voient d’ailleurs plus depuis des mois, des années. Et pourtant ! En 2011, Barbara décide de faire un portrait sur son père le boxeur. C’est cette histoire qu’elle raconte ici avec Kris et Vincent Bailly. L’histoire d’une relation père-fille complexe.

Elle s’appelle Barbara mais n’a aucun don pour la musique. « C‘est juste un joli prénom », dit sa mère au moment de sa naissance. Son truc à elle, c’est plutôt l’image, le documentaire. Et c’est justement un documentaire sur l’univers de la boxe qu’elle envisage de réaliser en utilisant son père comme porte d’entrée. À moins que ce ne soit le contraire. Utiliser l’univers de la boxe pour se rapprocher du père, tenter enfin de le cerner, de le comprendre, d’expliquer ses accès de colère qui la terrorisaient lorsqu’elle n’était qu’une enfant et qui ont fini par faire fuir sa mère.

© Futuropolis / Pellerin, Kris & Bailly

© Futuropolis / Pellerin, Kris & Bailly

Cette mère a accompagné le champion dans ses victoires et surtout dans ses défaites. À mesure que le ring s’éloignait, l’alcool se rapprochait. Dangereusement. Le boxeur devient représentant au sein du groupe Berger. Un autre combat commence. Apéro après apéro, colère après colère, le caractère du père change, la vie n’est plus aussi douce.

« J’ai baigné dans la crainte d’un débordement… », explique Barbara Pellerin, « d’un coup de folie, du meurtre. Imprévisible, il se transformait brusquement en un volcan de fureur que rien ne semblait arrêter, même pas moi ».

© Futuropolis / Pellerin, Kris & Bailly

© Futuropolis / Pellerin, Kris & Bailly

A 18 ans, Barbara prend le large. Pas de fâcherie avec ce père mais un besoin de ne plus le voir. Elle ne le retrouve que bien des années plus tard,. Son père sort alors d’un séjour en hôpital psychiatrique.

« Au milieu d’un gouffre creusé depuis l’enfance, la boxe deviendra un virage, une virgule, un trait d’union entre mon père et moi », explique Barbara.

Caméra au poing, elle commence à le suivre et passe une partie de l’hiver 2012 au Boxing club de Rouen, quand son père décède subitement.

© Futuropolis / Pellerin, Kris & Bailly

© Futuropolis / Pellerin, Kris & Bailly

« Lorsque je commence à comprendre que ce film prend le chemin d’une quête, celle sans doute impossible de comprendre mon père, la vie s’arrête brusquement un dimanche matin de novembre ».

De cette expérience, Barbara en tire un documentaire et un peu plus tard cette bande dessinée qui montre ce que le documentaire ne montre pas à commencer par la jeunesse de Barbara. Un récit autobiographique au coeur de l’intime, un récit fort et poignant, magnifiquement écrit et mis en images par deux talentueux auteurs du Neuvième art, Kris (Un Homme est mort, Notre mère la guerre…) pour l’adaptation et les dialogues, Vincent Bailly (Un sac de billes, Coupures irlandaises…) pour le dessin, une touche graphique qui rappellera peut-être à certains celui de Baru en un brin plus sauvage, en un brin plus jeté façon croquis.

C’est beau, c’est même très beau, c’est intelligent et sensible. Cerise sur le gâteau, le DVD du documentaire accompagne l’album, un trentaine de minutes avec, c’est un détail mais qui a son importance, une très belle musique de La Maison Tellier sur le générique de fin. Autant de raisons pour se jeter sur l’album.

Eric Guillaud

Mon père était boxeur, de Barbara Pellerin, Vincent Bailly et Kris. Editions Futuropolis. 20€

25 Mai

La Maison : encore un magnifique récit de l’Espagnol Paco Roca

9782756081021_cgEt si on la gardait ? Pour les vacances. Pour les week-ends. Pour les souvenirs. Tant de choses vécues entre ses murs, de petits et grands bonheurs, de petits et grands malheurs aussi…

« Et si on la gardait? » , se répètent José, Vicente et Carla en triant les affaires de leur père, décédé il y a maintenant un an. « Et si on la gardait? ». Mais la maison commence à prendre l’humidité. Trop loin de la ville, trop loin de la mer, trop loin de la famille, personne n’y vient. Alors, José, Vicente et Carla doivent se résigner, nettoyer, faire place nette pour un éventuel acheteur.

Un arbre à abattre, un coup de peinture à donner sur la façade, un volet à réparer, un muret à retaper et, à chaque fois, des souvenirs qui rejaillissent, plongeant les uns et les autres dans un état mélancolique.

« Vendre cette maison, c’est comme renier une partie de notre passé », dit l’un des frères. Et de se remémorer les moments les plus heureux passés ici, l’air qui sentait le pin et la terre mouillée les jours de pluie, les cigales qui n’arrêtaient pas de chanter certains étés, la tonnelle à laquelle tenait tant le père, les jours de bricolage en famille… puis la disparition de la mère, la maladie du père, les visites à répétition chez le médecin, la fin.

© Delcourt / Roca

© Delcourt / Roca

Encore un très bel album signé de Paco Roca ! L’auteur espagnol nous avait déjà conquis avec La Nueve, Les Rues de sable, L’Hiver du dessinateur ou encore et surtout avec Rides publié en 2007, réédité en 2013 sous le titre La Tête en l’air, un succès de librairie vendu à plus de 30 000 exemplaires en Espagne, traduit en 10 langues, récompensé par les prix les plus prestigieux en Europe et au Japon et adapté en film d’animation pour le cinéma. 

La Maison fait partie de ces albums qui ne s’oublient pas la dernière page tournée. C’est un livre qui se déguste, qui se mérite presque, qui demande un peu plus d’attention que les autres. Lire, regarder bien sûr, mais aussi imaginer, écouter les silences, sentir dans l’atmosphère cette mélancolie emprunte de nostalgie, la fameuse saodad que chantait Cesaria Evora.

Sur un peu plus de 120 pages au format à l’italienne, Paco Roca nous parle de la mort, de ce qui reste, de ce qui se transmet, de cet héritage non monnayable, non palpable. En faisant le vide dans la maison, les deux frères et la soeur font le ménage dans leurs têtes, reviennent à l’essentiel, et en même temps ont l’impression de redécouvrir le père, ce père qui les aimait, les attendait parfois. Magnifique !

Eric Guillaud

La Maison, de Paco Roca. Editions Delcourt. 16,95€

© Delcourt / Roca

© Delcourt / Roca

20 Mai

Lâchez-moi la traîne! : Clara Cuadrado nous donne sa vision du mariage

LACHEZ MOI LA TRAINE C1C4 OK.inddElle rêvait d’un mariage intime, sans chichi, genre barbecue chic, champêtre quoi, écolo branché, un poil bobo, une trentaine de personnes à tout casser, sans enfants, dans un endroit original après une messe à l’église. Et tant pis si elle n’est pas croyante et ne connaît pas une seule prière.

Mais bon, finalement, Clara dût faire comme tout le monde et se plier aux exigences des uns, aux finances des autres, aux parents qui ont un avis sur tout, à ceux qui ont un avis sur rien, à la météo qui a décidé de se la jouer capricieuse, aux invités de dernière minute qui chamboulent les plans de table…

Et rien que ça… ça occupe ! Presque un an pour Clara, qui n’est autre que l’auteure. « Il se trouve que l’été précédent… », confie-t-elle sur son blog, « je me suis fiancée, et que j’étais en plein préparatifs de mariage (prévu en juin 2014). Et sachant qu’un mariage, c’est bien plus compliqué que ce qu’on croit à organiser, je me suis dit que ça valait peut-être la peine de raconter tout ça en BD ».

Et de la suivre étape après étape. Jour J- 242 : la préparation religieuse. J-150 : la robe de mariée. J-69 : l’enterrement de la vie de jeune fille…

Rien de neuf me direz-vous ? Le mariage de Clara et sa préparation ressemblent à quantité de mariages et de préparations. Lâchez-moi la traîne! a juste le mérite de répondre au goût du jour avec des personnages modernes, un trait dynamique et un ton vivifiant. Et c’est déjà pas mal !

Eric Guillaud

Lâchez-moi la traîne, de Clara Cuadrado. Editions Delcourt. 10,95 €

12 Mai

Un Tout petit bout d’elles de Beuchot et Zidrou: une histoire d’amour pour dénoncer l’excision

1507-1Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), plus de 200 millions de femmes sont actuellement excisées dans le monde, 500 000 en Europe, 53 000 en France et 13 000 en Belgique. Des chiffres qui font peur et des pratiques qui restent tabou jusque dans nos sociétés européennes. Un Tout petit bout d’elles lève le voile sur cette réalité sous la forme d’une fiction…

Direction le Congo, pas forcément le pays africain le plus touché par ces pratiques mais, malgré tout, des femmes y sont excisées au nom d’une culture et d’une tradition. Impossible de trouver un mari sans s’y plier, se plaisent à répéter les partisans de cette coutume qui n’est en rien un phénomène religieux, nous rappellent les auteurs. Antoinette fait partie de ces femmes mutilées, une belle Congolaise amoureuse d’un Chinois, Yue, venu travailler dans le parc national de la Salonga. « Quand on mélange du noir et du jaune, on obtient toujours du noir », dit le boss méprisant de Yue, « quand on mélange du noir et du jaune, on obtient de l’amour », rétorque Yue.

Et c’est bien d’amour dont il s’agit entre Yue et Antoinette. Quand tous les hommes du chantier courent à la maison close la plus proche dès la permission venue, Yue, lui, retrouve son amoureuse, Antoinette, et sa fille, Marie-Léontine, qu’elle protège de l’excision jusqu’au jour où…

C’est avec beaucoup de délicatesse et d’intelligence que Zidrou et Beuchot abordent l’excision dans ce récit. Mais aussi sans détour. Même si l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté en 2012 une première résolution dénonçant ces pratiques et même si plus de 110 pays ont soutenu et ratifié cette résolution, toutes les 4 minutes dans le monde, une fillette subit encore une mutilation génitale.

Qu’est ce que l’excision précisément ? Quelles en sont les conséquences ? Comment combattre ces pratiques ? Où s’adresser pour trouver soutien et aide ? Un cahier rédactionnel très complet d’une dizaine de pages en fin d’album répond à toutes ces questions.

Un livre à mettre entre toutes les mains…

Eric Guillaud

Un Tout petit bout d’elles, de Beuchot et Zidrou. Editions Le Lombard. 17,95 € (parution le 20 mai)

© Le Lombard / Beuchot & Zidrou

© Le Lombard / Beuchot & Zidrou

11 Mai

Luisa : des espoirs d’une ado aux désillusions d’une adulte, une BD de Carole Maurel

album-cover-large-29671Que celui qui n’a jamais rêvé de remonter le temps pour infléchir le cour des choses me jette la première pierre. Enfin pas trop fort quand même…

Luisa aurait bien aimé croiser l’ado torturée qu’elle était. Au moins pour la rassurer. Mais bien sûr c’est impossible. Impossible dans la vraie vie, pas dans la fiction. Le livre de la Nantaise Carole Maurel permet cette audace un peu à la manière du film Camille redouble auquel il est fait allusion dans les premiers instants du récit.

Luisa, 33 ans, se retrouve donc un beau jour nez à nez avec Luisa, 15 ans. Les mêmes yeux ronds, les mêmes cheveux noirs, aucun doute, elles ne font qu’une, même si dix-huit années les séparent, que l’une a des interrogations et des rêves d’ado, l’autre, des désillusions d’adulte.

Et que se racontent-elles sur plus de 270 pages ? Beaucoup de choses, l’amitié, l’amour, les frustrations, le boulot, les compromissions, les sentiments refoulés, l’homosexualité, les années qui passent, la vie quoi… le tout avec la légèreté imposée par ce procédé temporel pas révolutionnaire mais parfaitement bien maîtrisé par l’auteure.

Diplômée des Gobelins, Carole Maurel a précédemment signé Les Chroniques mauves, Comme chez toi, L’Apocalypse selon Magda, des romans graphiques qui parlaient déjà d’adolescence et/ou de sexualité.

Eric Guillaud 

Luisa, De Carole Maurel. Editions La Boîte à bulles. 32 €

© La Boîte à bulles / Maurel

© La Boîte à bulles / Maurel

09 Mai

Macaroni! : Thomas Campi et Vincent Zabus évoquent avec une très grande sensibilité l’immigration italienne

macaroni-couv-555x728Il est vieux, malade, chiant, antipathique mais quand il pense à l’Italie, il retrouve sa jeunesse et sa bonne humeur.

Rien que de très normal pour un « Macaroni », comme on appelait les immigrés italiens entre les deux guerres, des ritals écrira Cavanna un peu plus tard, des déracinés dans tous les cas qui acceptaient les boulots les plus ingrats, parfois les plus dangereux, en se convainquant qu’ils leurs offriraient au bout du compte une place au soleil. Mais bien souvent, le soleil était resté en Italie.

Ottavio quitta son pays au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Direction la Belgique, comme beaucoup. Le paradis ? Pas vraiment. Pendant des mois, il dut supporter les baraquements en tôle sans eau ni électricité, il dut aussi accepter de descendre à la mine, de gratter pour une misère, de survivre loin de sa famille, loin de sa maison, loin de son pays.

Une vie de merde, « vita di merda », avec bien sûr en prime pour la retraite un parachute noir, la silicose. Merci patron !

De quoi être chiant c’est vrai. Même pour son petit-fils qu’il voit une fois par an et qui déboule sans crier gare un beau jour d’été. Son père a besoin d’avoir les coudées franches et confie Roméo au grand-père quelques jours, assez de temps pour que les deux se regardent d’abord en chien de faïence, s’amadouent et, finalement, commencent à se parler. Le vieux chiant et le jeune con apprennent à se connaître, à se comprendre, à s’aimer…

Macaroni! est un bijou graphique mais aussi scénaristique. L’éditeur ne s’est pas trompé en laissant entière liberté de pagination aux auteurs. Résultat : Thomas Campi et Vincent Zabus nous offrent 130 pages époustouflantes de beauté, 130 pages au rythme narratif suffisamment lent pour laisser au récit le temps de s’installer, de nous emmener dans le passé du vieux, de nous parler de l’immigration italienne en Belgique, du travail dans la mine, du déracinement, des rêves brisés, de la solitude, de la vieillesse, de la famille…

C’est beau, c’est fort, c’est inspiré, ça sent le vécu. Macaroni! est  une histoire vraie, celle d’Ottavio Rossetto, celle de milliers d’Italiens, une histoire initialement adaptée au théâtre. Pour la réalisation de l’album,Vincent Zabus a retrouvé le dessinateur italien Thomas Campi avec qui il a auparavant réalisé Les Larmes du seigneur afghan et Les Petites gens, album que nous avions déjà adoré sur ce blog.

En préface, quasi un bonus, Salvatore Adamo apporte son témoignage. Le chanteur de « Tombe la neige » ou de « Mes mains sur tes hanches » raconte son enfance d’immigré en Belgique et surtout nous dit tout le bien qu’il pense de ce livre et de ce personnage, Roméo, dans lequel il se retrouve pleinement.

Un album remarquable !

Eric Guillaud

Macaroni!, de Campi et Zabus. Editions Dupuis. 24 €

© Dupuis / Campi & Zabus

© Dupuis / Campi & Zabus

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